Neurosis – Fires Within Fires

Fires Within Fires
Neurosis
2016
Neurot Recordings

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Quelque soit le chemin que l’on choisit, quelque soit le confluent impliqué, la lumière ascendante ou l’ombre épaisse, on termine toujours dans l’œil du cyclone. Cet endroit, c’est la quintessence du clair et de l’obscur, de la brise et de la bourrasque. Cet interstice, c’est le noyau du frais et de la chaleur, le point de rencontre de la matière et de l’indicible, un nouvel espace en mutation constante au milieu des éléments abrasifs, des changements constants des particules dans l’atmosphère, la tension au milieu d’un silence gêné, et ce calme pesant camouflé dans la consistance d’une apocalypse prête à éclore. Ce dont on parle là, cet emplacement précis, c’est le terreau de Neurosis, du haut de leurs trente ans d’activité. Fracas organique, mystère, prenez une inspiration, fermez les yeux. Un terrain où se mêle l’attente d’un paysage cinétique et contemplatif se transformant en un maelstrom incandescent. L’air est solide, l’eau vaporeuse, l’atmosphère, elle, glisse ostensiblement d’un réalisme poissard et mélancolique vers cette décharge abstraite faite de lourdeur, de puissance et de catharsis en barre. Une sensation qu’un ensemble de mots aura toujours du mal à retranscrire. Et pour cause, Neurosis a su forger un style inimitable aussi attendu et craint que respecté. Une manière d’apprivoiser le son et de se l’approprier.

Mais revenons à l’essentiel. Si le précédent album Honour Found And Decay a été critiqué (entre autres) par la lenteur de ses morceaux, celui-ci préférant contempler un temps qui passe, ne le brusquant qu’en de rares occasions, la nouvelle sortie a préféré jouer la carte de « l’urgence ». Une urgence, voire une précipitation dans l’écriture. Dorénavant éloignés géographiquement, les membres du groupe n’ont mis que quelques heures pour composer Fires Within Fires. Excitation mêlée à l’obligation entropique d’aller vite et de laisser parler ses tripes, laissant de côté toute forme d’intellectualisme. Le résultat ? Une fresque à 360°, un bloc de granite dont on aime observer au plus près lignes, cisaillements et imperfections. Écouter du Neurosis, c’est quasiment une occupation géologique, une recherche sur le terrain, un geste, un toucher, une sensation au creux d’une main et de l’esprit, tordant les agrégats d’une réalité trop dure et implacable. Nulle trace d’un fatalisme pervers, non, mais la préparation à une transe quasi chamanique où des arpèges, d’une simplicité confondantes, se conjuguent avec les errements électroniques de Noah Landis brouillant des pistes déjà à peine perceptibles avant que n’explose un chaos, certes lent, mais avant tout émotionnel et implacable. Le mental et la physique en une seule incarnation. Sensation unique jouant du temps d’attente et d’une fausse précipitation se terminant d’une façon abrupte, voire arbitraire, ne laissant que le silence, le vide dans l’œil d’un cyclone existentiel.

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Ce vide, justement, Neurosis ne cherche pas à le combler mais il lui donne une forme, une raison d’être, un point de vue peut-être, une conscience qui fait tourner la tête, de gauche à droite, et plisser les yeux. Il ne remplit pas mais sculpte, élague, écarte, colorie, malmène et caresse dans un flux qui n’a presque plus rien de musical mais qui se rapproche au plus près d’une sensation, pure. Soyons clair, les notes d’un album de Neurosis, les agencements, tout ça, ne comptent pas et n’ont aucune putain de signification. Neurosis, c’est un trauma sous contrat, une empreinte sur une impression, un trouble dans la conscience si on en accepte les termes. Fires Within Fires ? Quarante « petites » minutes et toujours cette envie de remettre l’album à zéro, de découvrir ses détails, son énergie enfouie, sa hargne salvatrice et sa mélancolie héritée des apartés folk de Steve Von Till et de Scott Kelly, comme autant d’échos fantomatiques de plus en plus affûtés rappelant furieusement A Sun That Never Sets.

Sur le précédent album, on pouvait penser à une mort qui refusait de venir et qu’on emmerdait gentiment comme le vieil indien du film Little Big Man. Ici on assiste à l’ascension d’une montagne sous une tempête, le vent contre la gueule, les bras entourant la taille. Parce que, vaille que vaille, Neurosis reste une confrontation, une partie de cache-cache métaphorique, un ébranlement, une plongée dans l’inconscience d’un Freud de l’Inquiétante Étrangeté sous l’emprise de champignons en pleine redescente. Et peut-être qu’il est encore trop tôt pour parler véritablement de Fires Within Fires. Trop peu de temps ? Trop d’impatience ? Trop de quoi en fait ? Ici, c’est du corps meurtri, des blessures béantes, une vie qui s’accroche à la puissance d’un regard qui se relève et marche. The Revenant… peut-être bien, car ce nouvel et onzième opus de Neurosis a plus à voir avec la puissance évocatrice d’un plan séquence que de l’assemblement de plusieurs pièces d’un vitrail.

Et au milieu de tout ça ? L’œil, le cyclone et cette pression tenace d’avoir été saisi par le col et d’avoir été plongé dans le feu. Et plus important que ça… Suis-je encore capable d’être objectif sur le contenu d’un Neurosis ? Sûrement que non. Et vous savez quoi ? Je m’en fous…

Jéré Mignon

Coup de Coeur C&Osmall

http://www.neurosis.com/

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