Mark Wingfield & Al – Zoji

Zoji
Mark Wingfield & Al
Moonjune Records
2021
Lucas Biela

Mark Wingfield & Al – Zoji

Mark Wingfield & Al Zoji

Le clavecin a dominé le monde de la musique aux XVIème et XVIIème dans ce qu’on appelle aujourd’hui la musique baroque. Il a été boudé à l’ère «classique» puis «romantique», avant de voir surgir un regain d’intérêt dans la 2ème moitié du XXème siècle. Il est vrai que le piano, avec l’étendue des émotions qu’il pouvait susciter et son intégration aux grands orchestres, avait supplanté les sonorités «métalliques» très propices aux démonstrations de force dans un cadre plus restreint de l’instrument de prédilection de Johann Sebastian Bach. C’est surtout la redécouverte de la musique du sus-mentionné Bach, et la volonté d’interpréter les oeuvres baroques sur instruments d’époque qui a favorisé sa réintroduction dans la musique au XXème siècle. Mais, même si quelques compositeurs l’ont plébiscité, force est de constater que sa présence est bien moindre que celle du piano ou des synthétiseurs dans la musique contemporaine.

Mais pourquoi est-ce que je vous parle tellement de clavecin ? Eh bien, la raison est simple, c’est ce qui m’a attiré dans cet album. En effet, Jane Chapman, une claveciniste britannique qui a fait ses armes à la Royal College of Music de Londres, a enregistré, outre ses participations à des projets contemporains, des albums consacrés à des compositeurs de l’ère baroque. Elle a par ailleurs étudié sous la direction de Ton Koopman, un collaborateur de Jordi Savall bien connu pour ses albums de musique baroque sur instrument d’époque. Vous voyez donc que mon introduction n’était pas inutile. Sur l’album qui nous concerne, Jane Chapman est accompagnée de son compatriote, Mark Wingfield, à la guitare, avec qui elle avait déjà collaboré plus de dix ans auparavant. L’album est à son nom, puisqu’il en est le compositeur. Passionné par le jazz, il tente également des incursions dans la musique classique contemporaine. Pour compléter le trio, c’est le percussionniste de renom Adriano Adewale qui a rejoint nos deux compères. Brésilien installé au Royaume-Uni, il est influencé par ses racines africaines.

Mark Wingfield & Al Zoji band1

Comment ces musiciens au parcours si différent parviennent-ils à créer un univers cohérent ? Leur curiosité d’esprit y est très certainement pour beaucoup puisque chacun d’eux est attiré par les sons nouveaux dans sa carrière respective. C’est donc tout naturellement que l’alchimie opère. Il n’est pas question pour chacun de jouer dans son coin, les trois parvenant à créer une symbiose, où chaque instrument constituerait un des rouages sans lesquels le mécanisme ne pourrait se mettre en mouvement. Là où le clavecin plante le décor, les percussions donnent du relief à l’ensemble et la guitare les soubresauts. Par ailleurs, Adriano, à l’instar du regretté Nana Vasconcelos, use également de sa voix pour alimenter l’intrigue. Il le fait à la manière d’un rituel, sous forme d’onomatopées et à la limite du murmure, toujours pour participer à la cohésion et non à la mise sous les projecteurs de sa propre personne. Tantôt insistante, tantôt plus intimiste, la musique du trio est très cinématique. Sous les doigts de Jane se déroule un paysage très riche, avec de nombreuses teintes (les couleurs vives peuvent donner place à des couleurs plus sombres) et de nombreux contrastes (le propos moderne côtoie l’univers baroque). Délicatesse et dynamisme se conjuguent à merveille. Adriano quant à lui fait preuve de beaucoup d’imagination avec sa très large panoplie d’instruments qui apportent aussi bien de la tension («Seven Faces Of Silence» nous ferait presque nous perdre dans une forêt vierge) que de l’allégresse («Sun Court» nous inviterait presque à une danse gitane). Mark quant à lui se pose en digne héritier de deux influences majeures de la guitare contemporaine, son regretté compatriote Allan Holdsworth, et le norvégien Terje Rypdal. A la manière de ces deux figures emblématiques, il fait chanter ses notes, et tout en leur imprimant du rythme, il les dorlote avant de les relâcher, créant une proximité avec l’auditeur. Toujours dans l’optique de créer des atmosphères, le trio parvient à nous subjuguer par un langage mélodique et cinématique, une invitation au voyage où nous traverserions diverses contrées, entre steppes arides et forêts équatoriales humides. Il faut saluer le fondateur du label Moonjune Records, Leonardo Pavkovic, qui, à l’instar du label allemand ECM, aime à faire cohabiter des univers différents pour créer un univers unique à son tour.

Même si c’est la présence du clavecin qui a attiré mon attention sur cette oeuvre unique, le travail de Mark Wingfield et d’Adriano Adewale y est admirable en tout point. J’ai découvert ainsi deux artistes hors pair, dont je ne manquerai pas de suivre les carrières respectives. Par ailleurs, même si, comme précisé, Leonardo Pavkovic oeuvre à faire collaborer des musiciens de tous bords, ce genre de rencontre entre musique classique aussi bien contemporaine que plus ancienne, musique traditionnelle et jazz, n’est pas si fréquent. En même temps qu’elle permet de créer un lien entre musique baroque et musique contemporaine, cette oeuvre constitue un pont entre les cultures et les civilisations.

https://markwingfield-moonjune.bandcamp.com/

https://moonjune.com/

2 commentaires

  • Pascal

    Terje Rypdal et Alan Holdsworth ? 2 de mes guitaristes préférés! Je comprends mieux pourquoi j appréciais ce monsieur. le clavecin en revanche qui m avait aussi interpellé au départ a fini par user mon interpellation au point de me faire abandonner l idée d écrire à ce sujet.

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