Marillion – Anoraknophobia

Anoraknophobia
Marillion
2001
EMI

Marillion – Anoraknophobia

En 1998, Marillion jette un gros pavé dans la mare avec la publication du déconcertant « Radiation », album très inégal qualitativement et à la production terne indigne de leur renommée. Autre défaut majeur : le groupe anglais affiche ici trop ouvertement ses influences du moment (écurie Radiohead en tête) , même s’ils veulent (et quelque part je les comprends) en finir une bonne fois pour toute avec l’étiquette « néo-progressive » qui leur colle à la peau depuis le début des eighties. Les vieux fans crient au scandale, beaucoup d’entre eux jettent l’éponge, et les nouveaux ne se bousculent pas au portillon : ils ont bien assez à faire avec les pop-bands de leur génération, dans un contexte musical en plein bouillonnement créatif, et ne souhaitent pas se tourner vers une formation au dénominatif aussi stigmatisé « has been » que Marillion (vilain préjugé, confirmé par la sortie du nouvel opus). Chronique d’une mort annoncée ? Personnellement, je suis loin de le penser, et je dirai même avec le recul que ce disque de transition était nécessaire (encore une fois, « Anoraknophobia » ne fait que renforcer cette conviction personnelle).

L’année suivante, « .com » confirme la démarche du groupe à vouloir faire autre chose. La production reprend un certain éclat (merci Mr Steven Wilson), les morceaux de bravoure sont de retour, mais l’ensemble, encore un fois entre deux eaux, ne suffira pas à raccrocher les fans sur le départ et à redorer le blason de la bande à Steve Rothery. Marillion réussi tout de même une fois de plus à surprendre en publiant un album différent du précédent, comme c’est le cas depuis l’heureuse intégration de Steve Hogarth (l’un des tout meilleurs chanteur rock actuel à mon humble avis).  En effet, il est clairement affiché d’opus en opus que le groupe ne tient pas à faire marche arrière, ni à se répéter. Sont ils à blâmer pour cela ? Certes pas !  Preuve établie deux ans plus tard avec « Anoraknophobia », qui voit le groupe de retour chez EMI, et le come-back inespéré de Dave Meegan à la production, l’homme à qui on doit les chefs d’œuvre que sont « Brave » et « afraid of sunlight ».
Et voilà Marillion qui nous pond et de très loin son meilleur album depuis ce dernier ! Rien à jeter ici, même les titres les plus conventionnels obtiennent la mention « écouté et approuvé » haut la main. Et ne vous laissez pas abuser par la pochette au design à mi chemin entre South park et Playmobil (que je trouve plutôt gonflée et amusante d’ailleurs), car le contenu ne tape pas dans l’esthétique supermarché affiché sur l’emballage !

Petit tour d’horizon : le disque démarre en fanfare avec « Beetween you and me », sorte d’hymne rock’n roll que n’aurait pas renié U2 dans ses débuts (idem pour le pétaradant « Separated out » qu’on retrouve quelques plages plus loin). Parfait et efficace  pour ouvrir les festivités, même si le meilleur reste à venir. Et le meilleur ne se fait pas attendre avec les neufs minutes de « Quartz » qui représente sûrement ce que Marillion à fait de mieux depuis des années ! le parti pris musical est ici résolument moderne et groovy, pour un résultat assez proche du meilleur Massive attack (on pense aussi au travail de Positive light sur l’excellentissime « Plague of ghost » de Fish). Jamais la basse de Pete Trewavas n’a été autant à son avantage, jamais Rothery ne s’est montré aussi inventif à la guitare (wah wah, riff, arpèges, tout y passe, même si exit pour de bon il semblerait les longs soli mélodiques qui ont fait la réputation et le style du gratteux). Quant à Steve Hogarth, celui ci ne s’est jamais montré aussi bon et culotté dans son style de chant (il s’essaye même quasiment au rap, c’est vous dire). Pour moi, ce morceau est l’incarnation même du rock progressif moderne, celui qui se tourne résolument vers le 21ème siècle.

Transition idéale pour évoquer le deuxième temps fort de l’album, le fabuleux « This is the 20th century », qui poursuit dans la voix du groove électronique et planant, en réhabilitant le style romantique de Marillion : montée en puissance, sentiments exacerbés, lyrisme… Très grand ! Mêmes commentaire pour le magnifique « When I meet good », où le raffinement mélodique poussé à l’extrême côtoie l’émotion à fleur de peau. Une nouvelle fois la magie Marillion opère alors que plus personne n’y croyait, et pourtant ! Impossible non plus de ne pas évoquer  dans la liste des incontournables l’étonnant et groovy (eh oui, encore ! Décidément !) « The fruit of the wild rose », titre le plus « progressif » de l’album dans sa conception, tout en contre-temps et  en changement de thèmes, malgré ses (trop ?) courtes six minutes. Surprenant également que le morcau qui clôture l’album (à l’image de son titre : « If my heart were a ball it would roll uphill « ), au son volontairement sale et au tempérament violent.Aurais-je oublié quelque chose dans cette courte visite guidée  ? Ah oui ! L’inévitable rengaine « poppy » que Marillion semble affectionner tant, ici incarnée avec un certain brio dans le très accrocheur « Map of the world ». La chanson pop calibrée et millimétrée par excellence, qui si elle n’apporte rien à l’ensemble, est ici loin de faire tâche (un peu comme le « beautiful » du disque que vous savez). Voilà, tout cela pour dire que cet album m’a réconcilié avec le Marillion que j’aime, celui qui va de l’avant, qui se montre innovant en privilégiant ce qu’il sait susciter le mieux : l’émotion. Avec  » Anoraknophobia », Marillion redevient la machine à rêver qu’il était. Merci les gars, et bravo !
Philippe Vallin (7,5/10)
 

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