L’Islande, la nouvelle terre promise du metal extrême ?

Islande

Le black metal est un genre dorénavant universel. Né en Angleterre, il a gagné en bestialité en Amérique du Sud, puis est apparu de manière fracassante aux yeux du grand public dans ce pays qu’est la Norvège et s’est égrené, par la force des choses, telle une traînée de poudre sur le monde. Il y a quelque chose d’étrange dans l’appréhension du genre black metal. Ceux qui ont l’habitude de lire mes chroniques savent que j’apprécie le metal extrême au sens large et doivent se douter que le black metal y tient une place particulière. Et pour cause, comment échapper à ces rythmes belliqueux, à ces voix d’outre-tombe ou à ces envolées de guitares dissonantes, dans une ambiance souvent qualifiée de malsaine, épique ou cosmique ? Le black metal donne autant l’envie de se lover dans un cocon que de prendre un crayon pour dessiner des formes abstraites, occultes et/ou environnementales, qui pourraient finir comme tatouage ou exposées dans une galerie d’art contemporaine. Mais voilà, le black metal, c’est sale, ambigu et sujet à controverses. Il reste distant autant qu’il est visible, et cette fascination lui sied bien. Mais outre que le genre s’est démocratisé avec l’outil Internet, rendant le nombre de parutions juste im-po-ssi-ble à écouter, un pays semble sortir son épingle du jeu dans ce fourre-tout où il est question de nouvelle-vague allemande (Der Weg Einer Freiheit, Downfall Of Gaia, Unru etc…), d’avant-garde française (Deathspell Omega, Blut Aus Nord) ou de ces excroissances tel Paramnesia ou The Great Old Ones, des américains du cascadian black metal (Wolves In The Throne Room, Ash Borer, Addaura, Fell Voices) ou de racolage pur et dur (Deafheaven) quand ce n’est pas une guerre ouverte entre tradition et « hipsterisation » du genre.

Ce pays, c’est l’Islande. Oui, bon, rien de bien exotique à première vue quand ça vient de la terre natale de Björk, Sigur Rôs, Sölstafir et consorts. Mais imaginez un instant, ce panorama désertique, cette étendue volcanique éloignée de tout, une île perdue entre les aurores boréales et les mers de l’hémisphère nord, la solitude comme première compagne. Au final, y voir des groupes émerger, ça ne casse pas trois pattes à un mouton. Non, le plus étonnant serait : pourquoi on en parle maintenant ? Climat nordique, une cartographie sauvage, un peuple captivant, du fantasme en barre ? Alors quoi ? La dernière fois, c’était avec Sölstafir, et bien d’autres combos ont toujours existé, restant dans l’ombre underground d’un public restreint.

Trois groupes actuels sont à mon sens (et à d’autres) les porteurs d’une vague « nouvelle » dite islandaise : Misþyrming, Naðra et Zhrine. Déjà ces projets sont récents de moins de cinq ans et, de plus, les sorties ont été quasi unanimement encensées.

 

Misþyrming – Söngvar Elds Og Oreiðu (Fallen Empire Records/Terratur Possessions 2015)

MisþyrmingCommençons par Misþyrming (originaire de Reykjavík) dont le premier album Söngvar Elds Og Oreiðu, sorti en février 2015, a créé un frémissement dans la scène ainsi qu’un plébiscite foudroyant. Avec sa pochette rougeâtre et brumeuse où brille l’absence de toute forme organique (un détail d’une œuvre du peintre romantique John Martin illustrant un passage du Paradis perdu de Milton), le groupe tape d’entrée très fort. Une vision de l’enfer au creux d’un cratère millénaire, ni plus, ni moins (l’œuvre gravée originale en question s’intitule d’ailleurs Satan Arousing The Fallen Angels). Les accords de guitare sont autant délicieusement dissonants qu’aérés, la production organique redonne un cachet étouffé à une époque où les productions s’uniformisent. L’ambiance générale y est sombre et éthérée, les accès de violences dosés sont entrecoupés de pistes instrumentales ambiantes permettant tout autant de souffler un bon coup que de préparer le terrain pour une nouvelle charge. Le tout étant supporté par les voix de D.G aussi déclamatoires que rugueuses et plaintives, donnant un cachet fantastique, voir ésotérique, se fondant au chaos organisé. Une voix d’ailleurs qui rappelle l’aspect le plus orthodoxe du black metal, c’est-à-dire l’aspect le plus théologique. Le terme passe par différentes interprétations allant d’une approche liturgique globale des croyances à une certaine « pureté » musicale. Ce qui est en soi une aberration, le genre ayant très vite montré qu’il n’en avait strictement rien à foutre d’une quelconque forme d’orthodoxie et de tradition stylistique.

Misþyrming band

Le groupe varie son tempo, tantôt entraînant et lent, tantôt vociférant, foudroyant l’auditeur dans une éruption de lave avec toujours ce fond de brume opaque plus contemplatif que guerrier. La force de Söngvar Elds Og Oreiðu, c’est de garder un pied dans une forme de black metal primitive, sauvage et tellurique, tout en osant les ruptures de tons, les variations mélodiques couplées à une technicité contemporaine, ce qui n’empêche pas une part de mystère bienvenue. Mais ça encore, ça fait partie du manuel. Le plus fort reste la capacité de l’album à s’engouffrer dans ces paysages torturés, de zigzaguer entre les flammes et les geysers d’eau brûlantes, de buter contre ces terrains caillouteux à l’horizon infini sans apercevoir la quelconque trace d’être vivant. Et nul doute là-dessus, Misþyrming a pondu un album efficace qui évite les clichetons du genre : voix de goules putréfiées « parce qu’un micro pourri ça le fait » et production rachitiquo-punk à la Darkthrone (bien que le groupe se soit bien amélioré depuis) qui, en prime, impose une atmosphère prenante aussi morbide qu’évanescente. Pour un combo n’ayant même pas sorti de démo, passant directement par la case album, comme ça sans prévenir, c’était risqué mais dans ce cas doublement payant. À noter que le groupe a été à l’affiche du festival Roadburn en avril dernier à Tilburg. Si ce n’est pas un signe.

https://misthyrming.bandcamp.com/

 

Naðra – Allir Vegir Til Glötunar (Fallen Empire Records 2016)

NadraSecond combo, Naðra. Encore plus récent puisqu’il vient de sortir son premier album (en téléchargement libre en attendant les versions physiques) au début d’année en même temps qu’une invitation au Roadburn. On pourrait dire, on prend les mêmes et on recommence. Perdu ! Naðra est tout aussi guerrier que Misþyrming est sombre et oppressant. Avec Allir Vegir Til Glötunar, on entre dans un chapitre aventurier, composé d’escalades coupantes, de chemins arides, de ciel traversé par des créatures fantomatiques (Dragon ? Lombric volant ? Haha !) et d’hiver bien implanté sur les épaules. Ici, le soleil est présent mais blafard et aveuglant. Il empêche de voir et se révèle au final tout aussi menaçant. Là encore, le groupe ne sort pas des sentiers battus avec un tempo constamment véloce, une voix éructée à la gueule du ciel et ses guitares incisives sachant broder, ici et là, d’intenses mélodies. Mais, à la différence d’un Misþyrming volontairement obscur, Naðra se montre plus humain et vindicatif, tels ses cris semblant se répercuter à la surface des falaises. D’où cette impression plus frontale ressentie tout le long de l’écoute, car une fois lancé, l’album se montre imperturbable et va droit devant lui. Je pointerais en avant cette voix rageuse qui, sans elle, rendrait cet album plus conforme et moins surprenant.

Nadra Band

En plus d’enrichir en arrondissant copieusement les angles, même si ça peut paraître anecdotique, la voix de monsieur Örlygur arrive à traduire un mal-être englué qui semble hurler sa colère face aux éléments désertiques en place. Il est possible qu’on soit tatillon sur une apparente linéarité des morceaux, le tempo ne variant que rarement finalement, et que les moins courageux butent sur la couche « classique », ce qui ne veut pas dire grand chose, nous sommes d’accord, étant donné que le style mute aussi rapidement qu’une couleuvre change de peau, n’en déplaise aux puristes.

https://nadra.bandcamp.com/

Deux albums, donc, qui ont fortement accentué le regard du public vers cette île perdue sur les deux dernières années. Et n’allez pas croire que ça en reste là.

 

Zhrine – Unortheta (Season Of Mist 2016)

ZhrineTerminons cette épopée en ces terres nordiques par le premier album de Zhrine, jeune combo de Kópavogur (banlieue de Reykjavik), sorti début d’avril sur le label marseillais Season Of Mist (année parfaite les gars ! Continuez comme ça). Alors oui, on braconne un peu sur les terrains labourés du death metal. Un peu, (si on retire les voix majoritairement growlées) parce que l’ambiance développée ici se rapproche d’avantage d’un Deathspell Omega tout en dissonances peaufinées à l’extrême, voire d’un Morbid Angel que de la barbaque en pleine cuisson pendant un barbecue en Franche-Comté. Alliant donc black et death en une seule entité, Unortheta donne l’impression d’entendre l’album de jeunes fous qui ont tout compris trop vite. Après maintes écoutes de l’objet, je suis toujours sidéré par la cohérence de ces 40 minutes alliant passages contemplatifs qui font méditer sur une cascade d’eau et impulsions agressives donnant l’impression d’être face à un mur de vent faisant plier les genoux sous l’effort. Fort de ces rythmiques à contretemps, le quatuor y montre une habilité certaine à manœuvrer du stylet sur ces gravures surréalistes, entre masses montagneuses en lévitation et autres digressions métaphoriques rappelant les paroles de Salvador Dali soutenant que les paysages représentaient un état d’esprit. Ici, je crois que le fantasme a atteint son point le plus brûlant. On y sent chaque goutte tomber sur une alternance désordonnée, on y discerne chaque frémissement de roche millénaire, chaque écho de présence se répercuter.

Zhrine band

Zhrine comble le vide, celui d’horizons volcaniques et de routes trop rares. Ces notes semblent se disperser autant qu’elles cartographient un espace imaginaire resté au stade primitif de son environnement auquel l’auditeur pourra y construire sa propre civilisation. Puissantes et atmosphériques, voire aliénantes, les compositions rappellent les accents avant-gardistes que promeuvent les canadiens de Gorguts depuis plus de 25 ans sur une production moderne et précise. Un mélange adroit et payant évitant la référence obséquieuse qui permet au groupe de s’imposer quasi-naturellement.

https://zhrine.bandcamp.com/album/unortheta

 

Islande Black Metal

Une sortie, au final, qui résonne dans mes oreilles comme un déclencheur après les deux albums précitées montrant bel et bien que le renouveau d’une scène extrême est en train d’émerger, relayée par les webzines et les réseaux habituels. Je ne m’avancerai cependant pas sur la désignation d’une nouvelle scène, d’autres le feront à ma place. Mais force est de constater qu’il s’y passe quelque-chose là-bas. Une sortie conjuguée d’albums prenants, agressifs, aux atmosphères travaillées, parlant tout aussi bien aux récepteurs cognitifs qu’à l’intériorité de chaque individu.

L’Islande, nouvelle terre promise ? Un pays à suivre, sûr, pour tous ceux recherchant de nouvelles aventures sonores extrêmes et commençant à se lasser des sorties d’Amérique ou d’Europe, l’outil Internet aidant plus que de raison à la découverte de ces paysages sauvages et fascinants. Pour la suite ? Seul le temps dira si nous voyons seulement le pic d’un hypothétique iceberg qui remonte à la surface, ou si tout ça (cet article, ces albums) ne sont que quelques bulles remontant à la surface…

Voici, en plus de ce papier, une liste d’albums à découvrir de pleines dents montrant que l’Islande n’en est pas à son coup d’essai. Merci aussi de votre indulgence, je suis loin d’avoir la science infuse.

Árstíðir lífsinsJötunheima dolgferð (2010)
SvartidauðiFlesh Cathedral (2013)
SólstafirMasterpiece Of Bitterness (2005)
Carpe NoctemIn Terra Profugus (2013)
SinmaraAphotic Womb (2014)
DynfariVegferð Tímans (2015)
VansköpunAlsæla Gegnum Endurfæðingu (2011)
WormlustThe Feral Wisdom (2013)
SkendödVanskapt (2008)
FortíðPagan Prophecies (2012)

Jéré Mignon

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