Leviathan – Scar Sighted

Scar Sighted
Leviathan
2015
Profound Lore Records

Leviathan-Scar-Sighted

J’ai éteint les lumières et j’ai mis le skeud. Rien que la pochette me titillait l’oreille, avec ces dessins bruts qu’on imagine gravé sous la peau, ces cartes qu’on observe, qu’on retourne avant de les remettre dans l’ordre… On est ici dans le domaine du tactile, de l’introspection même. J’ai les yeux fermés, toujours, puis vient l’enivrement. De cette introduction mélancolique au premier déferlement, je presse mes paupières. Ce que je voyais sur des cartes prend forme dans mon petit esprit névrosé, je visualise, je perçois les mouvements, je communique, un espace d’inquiétante étrangeté en Dolby Stereo. Mettons les choses au point, Jef Whitehead (ou Wrest), c’est un taré, du genre cosmique et authentique. Et ça va loin. Possession de drogue en Thaïlande, tentative de viol avec une machine à tatouage (sérieux ?). Aussi, le mec évite de péter un câble alors que sa compagne s’est tiré un pruneau dans la tête pour ne pas souffrir d’un cancer du cerveau. Au même moment, il pose avec sa fille sur une couv’ de magazine, et… Arrêtez tout !

Je sens que ça s’emballe dans les réseaux perfides. Je dois appeler Gala ou BFMTV ? Épineux dilemme. Vin ou bière ? Autant de questions entre voisin témoin de Jéhovah bruyant et sucrages de RTT. Le black metal, c’est comme la street, ça s’assume, gros. Ça tombe bien, comme une envie de déféquer du glaire, le mecton torturé du jour, cette merde, ça l’a rendu plus fort, plus créatif, vicelard aussi. Il fait tout, joue tout, et bien en plus. Et il te dégueule à la face sa haine qui titille le poil du menton. Mais, comme je l’ai dit, Jef est un vicelard doublé d’un punk. Mais plus que ça, il est torturé (vu son CV), le regard vague, on ne sait pas trop d’ailleurs ce qui se cache sous ses globes oculaires. Si c’est juste en écoutant son dernier album longue durée, je dirais qu’on en devine bien la surface, mais qu’en plus, le bougre te le fait remonter direct sur la coque. Et t’imagines même pas la taille du glaçon. Tudieu que ça fout les frissons.

Wrest

Pour la déco, faites simple : une petite bougie, le reste suivra quoi. La disharmonie, les vocaux complètement perchés, l’atmosphère sanguine et possédée, la variété des intonations tellement rampantes que je regardais sous ma couette si un truc se tortillait pas entre mes mollets. Oui, il y a ça, et surtout, écoutez le tout d’un bloc. N’essayez même pas la pause, non, non, non dis-je. Une telle noirceur, elle se doit d’être dégustée en entier. C’est simple comme chou, les premières fois, j’étais infoutu de saisir les transitions, les passages d’un titre à un autre. Les cartes illustrées m’ont aidé. Car en plus d’en faire un bel objet que j’expose fièrement après l’avoir changé de place une douzaine de fois, le packaging sert de guide dans cette traversée bien noire.

Tatatata, cherche pas, les vignettes, tu les regardes, tu les scrutes et tu y trouves un bon chemin dans ses formes cauchemardesques que je crève d’envie de me faire tatouer sur l’avant-bras. Et ça fait quinze ans que Jef construit son monde, sans maquillage de panda, sans recherche ou héritage historique de ses cousins Norvégiens, sans autre repère que la solitude américaine. De sa haine, de ses clivages et de sa misère sous-jacente, il en ressort juste, je dis bien juste, une réalité déformée, celle d’un cauchemar permanent, putride et malsain. « Scar Sighted », vu que je ne parle que de ça depuis le début, en est le reflet, le même que celui de la nouvelle de H.P Lovecraft, « Je suis d’ailleurs« .

Jef est américain, il fait partie de la troisième vague du black metal (après le Brésil et la Norvège) et il montre, plus que tout (depuis quinze ans), qu’il n’est pas d’ici, un laissé pour compte, un freak associable, un monstre punkoïde qui souffle dans les courants d’airs. « Scar Sighted » est terrifiant, imprenable, narratif et ensorceleur. Je ne sais pas vous, mais, pffiiooouuu, j’ai chaud dans cette marée glaciale. À n’en pas douter, un de mes coups de cœur de 2015, les lumières éteintes…

Jérémy Urbain (9/10)

https://www.profoundlorerecords.com/

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