Kolman Skupp – 77

77
Kolman Skupp
Autoproduction
2017

Kolman Skupp – 77

Kolman Skupp 77

Kolman Skupp est une formation aussi solide musicalement qu’hybride quant à son ou plutôt ses styles, s’inspirant aussi bien de Depeche Mode, de Massive Attack, de Portishead, de Beak, de GusGus ou encore de Who Made Who, mélangeant sans prendre de gants les beats de batteries surpuissants, les belles nappes de synthés, les sons triturés en tous genres, les guitares rythmiques ou solos, les grosses basses et le chant. Et quel chant ! Puisque Kolman Skupp est un groupe palois, une région où le rugby est roi, disons que leur EP de 2015 était l’essai et que leur album 77 en est la transformation.

De mon point de vue très personnel, l’album n’est pas meilleur que l’EP, tous les deux étant d’un niveau stratosphérique. Le plus de l’album 77 est juste qu’il montre mieux l’étendue du savoir-faire, extraordinaire, de chacun des membres du groupe et de ce qu’ils peuvent faire ensemble : de véritables merveilles. Car, je ne vais pas en faire mystère plus longtemps, Kolman Skupp m’a réellement scotché. Chaque musicien possède sans déni possible une sur-maîtrise de son instrument qui lui permet de se balader avec une aisance folle dans des partitions hallucinantes mais toujours pétries d’intelligence.

Kolman Skupp 77 band1C’est un plaisir sans fin que de détailler d’une oreille chaque atome du jeu des musiciens et d’une autre oreille la qualité ahurissante du résultat global. Ce qui fait bien plaisir aussi de la part de Kolman Skupp, outre le fait déjà évident que la formation ne côtoie jamais la facilité, bien au contraire, c’est qu’elle ne prend jamais non plus ses auditeurs pour un public moyen qui n’aurait ni le courage ni le désir d’aller plus loin dans ses goûts et ses limites. Pas plus l’EP que 77 ne peuvent laisser l’auditeur dans une écoute tranquille et facile. Il se passe forcément quelque chose entre le public et la musique, ce quelque chose dépendant des oreilles concernées. 

Il y a néanmoins un changement radical entre l’EP et 77. Là où l’EP proposait des titres forts mais épars, dont les excellents « Phantasmagorical Girl » et « God Of U », 77 est à l’inverse un concept-album contant la crise de la quarantaine d’un personnage imaginaire d’une manière aussi allégorique qu’énigmatique, si bien qu’il prend les apparences d’un minotaure ne pouvant être libéré de son labyrinthe intérieur que par une providentielle Ariane. C’est là où on se demande quel attachement personnel chacun des membres de Kolman Skupp possède avec ce récit un tantinet obscur étant posé que trois des musiciens de la formation sont nés en 1977 et qu’en 2017, ils avaient donc précisément quarante ans. Ont-ils donc mis leur expérience de cette crise de la quarantaine en musique ou ont-ils sublimé cette crise pour en faire une sorte de mythologie bien moderne et bien rock’n’roll ? Sûrement un peu des deux. Mais où la frontière se situe-t-elle ? Toujours est-il que Kolman Skupp vient de taper très fort sur son 77, avec audace et énergie, d’une manière originale et marquante, humaine et touchante. Quant au son de ce 77, il est totalement top niveau. La production de ce disque revient essentiellement à Jean-Baptiste Salles, le bassiste, qui a travaillé avec Alain Brunet, guitariste du quatuor noise hardcore palois Dead Like Me.

 Kolman Skupp 77 band2

De fait, une bonne partie de Kolman Skupp, et plus précisément Fred Baleix-Vignau à la guitare, Franck Basly, au chant, et Jean-Baptiste Salles à la basse et aux claviers, sont des anciens de Kaligaré. Bon, je ne vais pas me lancer ici dans une étude complète et documentée de Kaligaré, mais retenez juste qu’il fut, c’est unanime, l’un des meilleurs groupes pop français de sa génération, un groupe d’amis pour la vie qui se sont connus sur les bancs de l’école. Dès lors, mon hypothèse est la suivante. Le 77 de Kolman Skupp serait l’album d’une belle bande de jeunes potes fous de musique qui à force d’audace ont réussi à se faire une place dans le rock français et qui à force d’excellence sont toujours dans la place au cap de la quarantaine, luttant pour ne jamais être « Old Fashioned », militant à jamais pour le « Sex Drive And Rock’n’Roll », chacun se retournant parfois vers le « Child I Was » afin de mesurer le chemin parcouru, l’amitié indéfectible restant leur fil d’Ariane. Et quand viendra le grand tournant de la cinquantaine, quel superbe album nous sortiront-ils, hein ?

Frédéric Gerchambeau

https://www.facebook.com/kolmanskupp/

5 questions à Franck Basly 

Frédéric Gerchambeau : Quels ont été les débuts, les influences et l’histoire jusqu’à Kolman Skupp, en passant par Kaligaré ?

Franck Basly : Et bien il faut remonter assez loin puisque on s’est rencontré, JB et moi, au lycée en 1993. Il avait déjà l’ambition de monter un groupe. Notre rencontre s’est faite naturellement car nous écoutions tous les deux The Cure. J’avais alors les cheveux en pétard, look de « coldos », c’était très identifiable ! Donc on s’est fait les dents sur des reprises, puis on a formé assez rapidement Kaligaré. Un power trio s’est dégagé, simple et puissant comme la musique des 90’s. Nos influences puisaient d’abord dans la cold-wave et le post-punk de la fin des 70’s et début des 80’s, mais aussi dans le courant noise rock indé de notre génération : My Bloody Valentine, Fugazi, Sonic Youth pour ne citer qu’eux. Compils et Tributes mis à part, on a sorti cinq albums en quinze ans, la plupart en français. A titre personnel, j’ai écouté pas mal de chanson française. Plus celle à textes que la variété. Le challenge d’écrire en français était un sacré défi à relever, surtout dans une veine indie ! Compliqué… Mais le pari a fonctionné. La formule a duré dans le temps. On a fait un bon paquet de concerts dans le grand sud et sur Paris. Dans les 150 à peu près. Les lois n’avaient pas encore muselé la vie nocturne. La musique était encore à l’état sauvage. La plupart des concerts étaient dans des bars, des clubs, des caves… Mais à côté de ça, on faisait aussi de mémorables premières parties : Interpol, Luke, Romain Humeau, Daran, Virago, Portobello Bones, Sleepers et j’en passe ! On faisait tous les jobs de A à Z : composer, produire les disques, les distribuer, monter un label (Oblique Productions), chercher des dates, des chroniques, des collaborations pour des clips… Le prix de l’indépendance ? A vrai dire ça n’a pas changé aujourd’hui, on s’occupe encore de tout. A la seule différence qu’il y a aujourd’hui moins de lieux de live et plus de mails dans les boîtes des programmateurs ! A partir de 2000, la rencontre avec Fred Baleix-Vignau fut un tournant. Il venait de spliter avec Peter Plane. C’était le frontman. Il a accepté d’intégrer Kaligaré en tant que guitariste. On a tourné en quatuor pendant dix ans. En point d’orgue, Vitae et Galaxy Club, deux albums très aboutis. Après Kévin Legoff et Nicolas Duffo, Olivier Pelfigues a pris les baguettes en 2006 mais décida de les rendre en 2009. Faute de batteur, nous avons alors réfléchi. On voulait depuis longtemps laisser plus de place à l’électro dans nos compositions. C’était l’occasion de franchir le pas en stoppant Kaligaré. C’était aussi l’occasion de s’affranchir de nos « postures » cold-rock et d’ouvrir de nouveaux espaces de liberté. 2010 : quatre musiciens de Kaligaré (Fred, JB, moi et Guillaume Pratdessus au clavier et machines) tuent la bête pour en créer une autre.

FG : Parlez-nous maintenant de Kolman Skupp, le nom et sa signification, le projet, l’évolution que ce nouveau groupe représente, les membres, les attentes…

FB : Nous cherchions pour ce nouveau projet un nom de groupe. C’est en me documentant sur des cités fantômes que j’ai noté le nom de Kolmann Skuppe. Une ville diamantifère de Namibie, exploitée puis abandonnée par les allemands entre deux guerres. C’est le désert qui s’est emparé des lieux sans que ceux-ci ne se détériorent. Cela donne des images sensationnelles. Comme si le temps s’était échappé sans crier gare. De l’ordre du surréalisme. Nous cherchions à donner un angle énigmatique à cette nouvelle formation, proche des films de David Lynch par exemple. Du coup la question des apparences, celle de la fiction et du réel entremêlés, devaient être notre nouvelle porte d’entrée. On a créé une dizaine de titres pour monter un set et vite remonter sur scène. Au début sans batterie, très électro, puis avec Olivier Pelfigues qui est venu compléter les performances live. Aujourd’hui, l’ossature du groupe, c’est JB, Fred et moi. Guillaume et Olivier nous rejoignent pour préparer les concerts. C’est la formule actuelle mais on se refuse à rester figés. On veut garder notre liberté artistique. Si on veut faire de l’électro-punk en binôme ou un big band avec orchestre à cordes, on peut le faire ! Ce qui est intangible, c’est cette liberté. Pour ce qui est des aspirations, on aimerait collaborer avec des structures pros afin de mieux diffuser notre musique, et ainsi de notre côté être plus focus sur l’artistique.

FG : Il y a eu l’EP et à présent 77, racontez-nous. Comment passe-t-on d’une « Phantasmagorical Girl » à un minotaure mélancolique en costume-cravate ? 

FB : Comme une crise qui se pointe comme ça. Celle dite de la « quarantaine » ! Comme tu le dis bien dans ta chronique, l’EP rassemblait des morceaux qui n’avaient pas forcément de lien narratif entre eux. « Phantasmagorical Girl » est déjà un personnage symbolique, celui de la femme du XXIème siècle, décrit par l’homme. A l’heure de plancher sur un LP, on s’est dit qu’il fallait donner vie à un concept. L’idée de raconter la tranche de vie d’un personnage a émergé avec le middle life crisis en toile de fond. Peu par peu, les contours du labyrinthe se sont dressés. Tout s’est déroulé sous nos pieds, comme un tapis rouge. Le personnage devait subir une crise violente, dans une vie grise, puis se transformer, se sublimer. On se rapprochait peu à peu d’une dimension mythologique. Le minotaure nous est alors apparu, telle une évidence. En costard-cravate, sa tenue de travail. L’album serait la plongée d’un homme en son labyrinthe intérieur. Voilà ! Et Ariane viendra lui donner le fil pour qu’il sorte vivant de son propre dédale. Final.

FG : Il y a un son Kolman Skupp, tout comme il y eut un son Kaligaré, d’une immense qualité, avec une énorme exigence quant au niveau musical, et traversé de multiples courants stylistiques. Quels sont les secrets de votre sonorité ?

FB : Merci ! A vrai dire on n’a jamais cherché à sonner « lo-fi ». Et sur de l’autoprod, c’est encore une fois un sacré défi à relever que de vouloir se rapprocher de grosses productions. Dès la genèse des titres, nous anticipons pour que chaque élément puisse exister, avoir une place dans le spectre audio. JB a beaucoup travaillé la partie mixage, car on n’est finalement jamais mieux servi que par soi-même ! Le travail réalisé avec Alain Brunet puis le mastering de Nick Zampiello ont rendu l’ensemble puissant et dynamique, fourni, mais aéré !

FG : Je suppose qu’il y a eu des hauts et des bas, des larmes et des joies, des remords et des regrets, non ? Et l’avenir, comment le voyez-vous ?

FB : Oui, aucun groupe n’échappe à la règle. Toutefois l’armature de Kaligaré puis de Kolman skupp n’a jamais été mise en danger. C’est de notre propre gré que nous avons arrêté l’aventure Kaligaré, il y a huit ans maintenant. Ca fait 25 ans que JB et moi produisons de la musique ensemble. C’est bien cette musique et l’amitié qui cimentent le groupe. En prenant un peu de recul, on pourra regretter de n’avoir à ce jour pas pu ou pas su trouver un public plus important. C’est difficile de trouver des dates et de mobiliser du public. Nous sommes libres, mais un peu isolés. Géographiquement déjà, le sud-ouest ne correspond pas à la musique que nous faisons, qui est plus anglo-saxonne. Pas dans l’esprit local dirons-nous. Aurions-nous dû rallier une grande ville pour émerger plus vite ? Peut-être que oui mais l’heure n’est ni au remords ni aux regrets car nous avançons. On se retournera plus tard, le plus tard possible ! L’avenir est toujours porteur d’espoir. En tout cas, pas d’inquiétude concernant la musique, no stress. Par contre une énorme d’envie de créer, de collaborer, de découvrir de nouvelles personnes et de nouveaux territoires artistiques, de transporter physiquement notre musique en France, et partout ailleurs.

Propos recueillis par Frédéric Gerchambeau

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