King Creosote – Astronaut Meets Appleman

Astronaut Meets Appleman
King Creosote
Domino Recording
2016
Thierry Folcher

King Creosote – Astronaut Meets Appleman

King Creosote Astronaut Meets Appleman

Si vous êtes amateur de folk traditionnel, d’ambiances atmosphériques, de rythmes pop/rock bien sentis, de poésie au discours souvent engagé ou seulement de bonne musique, vous pourrez difficilement passer au travers des multiples enregistrements de King Creosote. Un jour ou l’autre vos chemins vont se croiser et à ce moment-là, c’est un ancrage à vie. Un peu comme pour Sufjan Stevens ou Richard Hawley. Pour ma part, la rencontre a eu lieu en 2011 avec le splendide Diamond Mine qu’il a coécrit avec Jon Hopkins (la partie finale de « Bubble » fait partie des plus belles choses que j’ai entendues). Un coup de foudre instantané et absolument irrésistible. C’était nouveau, très mélodieux avec un parfait équilibre entre musique et chant, une alchimie pas toujours simple à réaliser mais qui est la marque des grands albums. Kenny Anderson alias King Creosote est un type vraiment à part. Depuis le milieu des années 90, ce natif de de la région de Fife en Écosse a accumulé une impressionnante collection d’enregistrements en solo ou en collaboration. J’avoue humblement ne pas connaître la majeure partie de ses œuvres (plus d’une quarantaine de réalisations !) mais cela ne semble pas être un problème. Entrez dans la maison Creosote et servez-vous, c’est à mon sens le comportement le plus approprié. Vous y trouverez, à coup sûr, de quoi vous régaler. Alors c’est certain, vous devrez vous contenter de ce qui est commercialement accessible car bon nombre de ses œuvres n’ont été disponibles qu’en CD-R à la sortie des concerts. Cela dit, les principaux jalons de l’artiste comme Rocket D.I.Y. (2005), Bombshell (2007) ou plus récemment From Scotland With Love (2014) sont à la portée de tous. Tout comme, Astronaut Meets Appelman, sa toute dernière création qui date de 2016.

Mais que devient-il notre stakhanoviste de l’écriture ? Eh bien, pas beaucoup d’infos. Mis à part qu’il a sillonné les routes avec son groupe et qu’il a passé beaucoup de temps à bricoler dans sa maison, les nouvelles sont plutôt rares. En mars 2020 Kenny, accompagné de neuf musiciens, a tout juste eu le temps de présenter From Scotland With Love sur scène. Cet enregistrement qui servait de bande originale au documentaire du même nom de Virginia Heath était joué pour la première fois en public. Et le succès fut au rendez-vous. Depuis, le virus est passé par là et la vie culturelle a dû s’adapter. Le successeur à AMA n’est toujours pas annoncé à moins que je ne sois passé au travers, à vous de me le dire si vous avez l’info. Retour donc en 2016 avec cet étonnant album dont la pochette et le titre furent librement inspirés par sa fille en train de jouer avec une figurine d’astronaute et une poupée à tête de pomme. Comme souvent, certaines choses s’éclairent par accident sans qu’on s’y attende. Par contre, le contenu musical fut mûrement réfléchi. Kenny concède avoir mis de côté l’impact des mots pour laisser plus de place à la musique. Et c’est vrai qu’il va innover pas mal sur ce disque en enrichissant sa palette sonore de cornemuse, de violon, d’accordéon et de harpe pour un résultat aux couleurs celtes marquées et revendiquées. Enregistré en Irlande, en Écosse et plus particulièrement sur l’île de Mull, Astronaut Meets Appleman offre parfois une revisite savoureuse et convaincante de la musique traditionnelle.

King Creosote Astronaut Meets Appleman Band 1

Les neuf chansons de AMA vont se balader de difficultés bien terrestres sur la relation à l’autre (« Faux Call », « Surface », « You Just Want ») à de désabusées envolées cosmiques (« Betelgeuse »). Mais les paroles semblent ici secondaires et ne servent qu’à mettre en valeur la jolie voix de Monsieur Anderson. Le véritable voyage est musical et porteur à lui seul d’images où les mots deviennent accessoires. Côté musique, King Creosote possède une inspiration sans limites et une capacité à nous amener un peu où il veut. Pour l’auditeur attentif, il faut s’attendre à tout et ce n’est pas en écoutant « You Just Want », le morceau qui ouvre l’album, que les choses vont changer. On décolle avec délice pour plus de sept minutes de danse hypnotique qu’il faudra bien arrêter pour passer à la suite. Un titre envoûtant et totalement inédit à ma connaissance. Les adorables soupirs de la violoniste Hannah Fisher servent à la fois de rythme et de présence sensuelle sur cette entrée en matière qui va faire office de tremplin à l’étonnante transe techno de « Melin Wynt ». Sur cette chanson anti-éolienne, la cornemuse de Mairearad Green se taille la part du lion dans un registre très rock mais tout aussi captivant. La suite sera plus terre à terre avec un « Wake Up To This » pas forcément à la hauteur mais sauvé in-extremis par un joli chant choral qui fleure bon les gigs des pubs irlandais ou écossais. King Creosote a su accrocher à son groupe habituel un casting de la scène traditionnelle qui vit la musique avec un état d’esprit allant beaucoup plus loin que la simple distraction et ça se ressent tout au long de l’album.

On enchaîne avec les séduisantes parties philharmoniques de « Faux Call », la belle construction cosmique de « Betelgeuse » et le rock’n’roll à la mode Creosote de « Love Life » pour une partie centrale de bonne qualité mais qui nous laisse un peu sur notre faim. La suite sera plus exaltante et plus recherchée à l’image de cette délicate rêverie nommée « Peter Rabbit Tea » et déclamée par la petite Louie Vren Anderson, vous savez, la conceptrice involontaire de la pochette. Et puis il y a « Surface », à mon sens le point culminant de l’album avec son tempo soutenu, lui aussi très rock’n’roll. L’intensité va crescendo jusqu’à la mise en action de la cornemuse qui va tout arracher. Difficile de rester de marbre sur ces six minutes parfaitement actionnées pour faire se soulever les foules. Enfin, AMA se termine officiellement avec le curieux « Rules Of Engagement » qui part sur des bases folk classiques pour devenir petit à petit une pièce ambient inattendue. En bonus on a droit à dix minutes de passage au pub avec « The Long Fade » où l’ami Kenny va s’éclater sur son accordéon forcément celte. Une jolie fiesta qui résume la volonté de faire de la musique avant tout et de passer un agréable moment en bonne compagnie.

King Creosote Astronaut Meets Appleman Band 2

Kenny Anderson est un insatisfait chronique et quelque part nous aussi. Pas que Astronaut Meets Appleman soit un album décevant, loin de là, mais c’est un peu les montagnes russes et certains passages font vraiment de l’ombre à d’autres. On se prend à rêver d’une dizaine de titres du calibre de « Surface » ou de « You Just Want » pour ressembler au recueil parfait. Je sais, c’est facile de dire ça, mais il est tellement doué le bonhomme qu’on souhaite toujours plus. Alors, qui sait ? Peut-être le prochain ouvrage ? Je suis persuadé de ne pas être seul à espérer un bel uppercut en pleine poire, mais il se fait attendre le bougre. En solo ou en duo, on prend tout, du moment que le roi Creosote retrouve la fibre créatrice et soit disposé à venir nous enchanter.

https://www.kingcreosote.com/

 

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