Il était un 1er album de… Pink Floyd (1967 : The Piper At The Gates Of Dawn)
Pink Floyd – The Piper at the Gates of Dawn (Columbia 1967)
A toutes les époques, il y a eu ceux qui étaient bien trop en avance sur les autres (et que beaucoup considéraient comme des fous) et ceux qui agissaient comme les premiers, mais plus tard et que d’aucun considéraient comme des sages. Pink Floyd a été de ces groupes qui traçaient la voie pour d’autres formations suiveuses, et j’ai l’impression que des générations de musiciens vont encore s’inspirer avec raison de Pink Floyd et son style unique, flamboyant et so british. Alors, au moment où Pink Floyd sort son album ultime (« The Endless River« ), revenons sur le premier opus de ce combo désormais légendaire. Le titre intrigue, déjà. Il se réfère au septième chapitre d’un livre de… Peu importe au fond, c’est juste un indice destiné à nous faire savoir que Pink Floyd, ce n’est pas juste quatre copains et leurs instruments, c’est un groupe qui a de l’érudition, de la finesse, et qui sait même réfléchir. Et le chef de la bande, c’est Syd Barret, clairement. Il écrit les paroles des chansons, compose la plupart des musiques et met les autres en condition de donner le plus fou d’eux-mêmes. Car en cette année 1967, le mot d’ordre c’est « no limit ». Bon, ok, 1967 a été une sacrée bonne année dans ce genre-là. On explosait les barrières, quoi. Que ce soit dans le domaine du jazz, du blues ou du rock, c’était l’ère de la grande révolution. Imaginez-vous que les Beatles enregistraient leur « Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band » dans le studio n°2 d’Abbey Road pendant que Pink Floyd s’affairait dans le studio n°3. Et pour les Beatles aussi, c’était no limit. Bref, ce fut une époque formidable, un ouragan d’inventivité qui continue encore de nous irradier et à nous inspirer.
Mais pour en revenir plus spécifiquement à « The Piper At the Gates Of Dawn », je voudrais juste pointer sur « Interstellar Overdrive ». L’album n’en propose qu’une version écourtée d’une durée de 9 minutes 40. A son écoute, on subodore facilement l’impact de celle-ci lors de la sortie de l’album. Mais imaginez la claque si toute la face B du disque avait été consacrée à la version intégrale d’une durée de 16 minutes 42 de cette fantastique et dantesque improvisation. On la trouve aisément sur internet. C’est pour moi une référence absolue d’imagination au pouvoir et de folie dans toute sa gloire. D’aucun pensent que ce premier album a été la période bénie de Pink Floyd, la seule, avant que Roger Waters ne prenne le pouvoir et impose la noirceur de son imaginaire pourri par la guerre et la mort de son père, que David Gilmour (un ami d’enfance de Barrett tout de même) ne fasse de Pink Floyd un groupe de rock planant vaguement « new-age », et que Richard Wright n’ait plus son mot à dire. Bien sûr, il y en aura d’autres pour remercier Roger Waters d’avoir redonné une colonne vertébrale à un groupe qui risquait de partir en sucettes après l’incapacité de Syd Barrett à poursuivre son rôle en son sein, à remercier David Gilmour pour avoir placé le groupe sur orbite grâce à ses solos d’exception, et à remercier aussi Richard Wright pour tout son travail discret mais si essentiel.
Ah, j’oublie Nick Mason. Lui, ça a toujours été le sage, celui qui ne fait pas d’histoires mais qui observe l’histoire se faire. Un sacré bonhomme aussi quand il s’assied derrière sa batterie. Mais bon, qui aurait pu prédire un avenir aussi considérable à Pink Floyd à l’époque de son premier opus ? Sans doute pas ses membres eux-mêmes. Et comment prédire aussi qu’un groupe aussi versé dans le genre psychédélique bordélique allait devenir pour longtemps la référence absolue du réglage des chaînes Hi-Fi ? Il y a là un mystère étincelant, un destin en béton. Et pourtant, dès les premières secondes d’”Astronomy Domine”, tout était en place, à la fois la délicieuse étrangeté du climat et la beauté immédiate de la mélodie. Il n’y avait plus qu’à suivre dans cette voie, ce qui fut fait de la plus parfaite manière. Mais de là à prédire un succès mondial, il y avait encore de la marge, beaucoup de marge. Après des succès d’estime, même si bizarrement la B.O. de « More » se classe très vite en deuxième position dans le Top 10 français, c’est « Atom Heart Mother » qui signera pour la première fois un numéro un dans les charts anglais avant que « Meddle » n’enfonce sévèrement le clou et que « The Dark Side of the Moon » ne ravage tout sur son passage. On n’est alors si loin du “Lucifer Sam” ou du “Matilda Mother” des débuts.
Mais Pink Floyd pouvait-il en rester là ? On peut bien sûr se mettre à rêver et se demander ce que serait devenu Pink Floyd si Syd Barrett n’avait pas lâché mentalement la rampe. Il est probable que Pink Floyd serait resté un groupe adulé d’une certaine intelligensia et qu’il ne serait pas devenu le mammouth qu’il est devenu. Personne n’y est pour rien dans cette triste histoire, mais c’est quand même dur d’avoir à se dire que la destinée d’un groupe tient parfois aux ennuis psychiatriques de son ex-leader…
Frédéric Gerchambeau
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