Il était un 1er album de… Emerson, Lake & Palmer (1970)
Emerson, Lake & Palmer – Emerson, Lake & Palmer (Island Records 1970)
ELP fut à sa grande époque le groupe de tous les extrêmes, de toutes les splendeurs et de toutes les folies. Il symbolisera pour toujours le rock progressif au sommet de sa gloire jusqu’à en être boursouflé de ses propres excès. Des concerts incroyables dans des stades immenses, 40 millions d’albums vendus, ELP, ce n’est plus du rock, c’est une épopée. La fin sera piètre et amère, comme une sorte de long naufrage, mais tant pis, que d’inoubliables chefs-d’oeuvre jusque là ! Il faut dire que dès le départ, ELP aura été un super-groupe fait de super-musiciens. Il y aura d’abord Greg Lake, rien moins que le chanteur/guitariste/bassiste du premier album de rock progressif de l’histoire, j’ai nommé l’extraordinaire « In the Court of the Crimson King ». Il y aura aussi Keith Emerson, rien moins que le fabuleux organiste et pianiste de The Nice. Keith et Greg s’étaient déjà croisés lors de plusieurs festivals, alors quand ils furent tous les deux en mal de groupe, ils décidèrent de former le leur. Mais il leur fallait un batteur, un gars qui assure vraiment derrière sa batterie. Ils pensent d’abord à Mitch Mitchell, le batteur de Jimi Hendrix. Mais il décline l’offre. Ils entendent alors parler de Carl Palmer, alors batteur d’Atomic Rooster. Bonne pioche, ce sera lui, le trio est formé. Il s’appelle en toute modestie Emerson, Lake & Palmer. La fête va pouvoir commencer.
Et quelle fête ! Leur premier album n’est même pas encore terminé que le trio est déjà à l’affiche du festival de l’Ile de Wight de ce bel août 1970. Leur concert débuta par… deux coups de canon tirés de chaque côtés de la scène ! Puis ils enchaînèrent par « The Barbarian », une composition commune qui fera aussi l’ouverture de leur premier album intitulé… « Emerson, Lake & Palmer ». Pourquoi se compliquer la tâche à trouver un titre alambiqué, hein ? Bon, j’ai l’air de rigoler mais cet album, lui, ne rigole pas du tout. Il est juste… wow ! « Take A Pebble » est à lui seul un monument.
« Just take a pebble and cast it to the sea,
Then watch the ripples that unfold into me,
My face spill so gently into your eyes,
Disturbing the waters of our live… »
Combien de fois ai-je écouté ces paroles ? Des centaines ? Plus de mille ? Je ne saurais même pas le dire. La voix chaude et vibrante de Greg Lake y est parfaite, sublime, envoûtante. Mais il y a aussi le piano de Keith Emerson, fluide, virevoltant, magique. Je n’arrive même pas à considérer ceci comme une chanson. C’est un jardin sonore, une aventure musicale de plus de douze minutes. Cela s’arrête, cela reprend, cela change tout le temps, c’est étourdissant et merveilleux à la fois. Merci les gars pour ce morceau-là ! C’est mon grand frère qui avait acheté l’album dès sa sortie, en novembre 70. Il ne l’aura pas écouté beaucoup, j’ai mis la main de dessus tout de suite ! Il a ensuite bercé mes nuits pendant des mois. Et même encore maintenant, je me remets souvent un bon « Take A Pebble » avant de m’endormir.
Mais sur ce premier album, il y a aussi « The Three Fates », un morceau épique au-delà du possible et tout à la gloire de Keith Emerson qui commence par des accords d’orgue d’église aussi monstrueux que pompeux. Ok, Keith est complètement mégalo, mais c’était le jeu à l’époque, non ? Et que penser de « Tank » ? Alors là, c’est tout le groupe qui s’y met et nous asperge les oreilles de tout ce qui lui est possible d’emettre dans le genre virtuose et couillu. Avec une grosse mention spéciale à Carl Palmer pour son solo de batterie aussi affolant qu’admirable.
Mais c’est « Lucky Man », la petite chansonnette mignonnette qui clôt ce premier album, qui fera sa célébrité. Une sorte de double accident heureux comme il en existe peu. Voici l’histoire, qui ressemble un peu à un conte pour adultes. A la fin des sessions d’enregistrement prévus, l’album n’était pas assez long. Alors tout le monde se creuse les méninges pour y apporter un morceau de plus. Les idées fusent mais c’est Greg Lake qui trouve la bonne chanson. Et c’était en vérité une ancienne bluette à deux balles écrite quand il avait douze ans, qui commençait ainsi :
He had white horses and ladies by the score
All dressed in satin and waiting by the door
Ooh, what a lucky man he was
Remise au goût du jour, la chanson avait maintenant assez de force et de charme pour terminer l’album. Enfin, presque. Car l’ingénieur du son trouve que celle-ci, telle qu’en elle-même, n’est pas encore à la hauteur des autres titres, plutôt redoutables, de l’album. Il est urgent de lui ajouter un gros quelque chose qui la mette à niveau. Mais quoi ? C’est l’ingénieur du son qui trouve lui-même le bon concept en disant à Keith Emerson un truc de ce genre-là : « T’as un super synthé, pourquoi tu nous jouerais pas un petit solo à la fin de la chanson, histoire de la finir en beauté ?«
Et le temps de trouver le bon son, Keith Emerson lâche alors sans même trop y réfléchir un solo d’anthologie, en réalité le premier solo de synthé digne de ce nom dans la longue histoire de l’humanité. Lucky Man n’est plus une bluette, c’est devenu un morceau énorme qui clôt désormais un album de légende.
Frédéric Gerchambeau
http://www.emersonlakepalmer.com/
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