Frank Zappa – Hot Rats

Hot Rats
Frank Zappa
Ryko/Zappa Records
1969
Thierry Folcher

Frank ZappaHot Rats (Ou comment une chronique se transforme en plaidoirie ?)

Frank Zappa Hot Rats

Je fais partie de cette génération dorée qui a côtoyé les plus grandes célébrités du rock allant des Beatles à Led Zeppelin en passant par les Beach Boys, les Kinks, Zappa, Joplin, Morrison, Hendrix, etc, etc…Et tout ça nous paraissait normal. A tel point que lorsque les vagues punk et disco ont déferlé sur les ondes, on n’a pas compris. Toute cette jeunesse privilégiée est alors entrée en clandestinité en attendant que l’orage passe. Malheureusement, ce qu’on n’avait pas pigé, c’est que ce n’était ni le public ni les artistes qui dictaient les choix. Le commerce ! Voilà le moteur de toutes choses et souvent au détriment de la qualité. Pour vendre plus, il faut renouveler sans cesse la marchandise en laissant s’installer une pauvreté créatrice sans nom. Aujourd’hui, la musique « kleenex »  doit se danser à tout prix. C’est pas avec ça qu’on va éduquer et orienter les plus petits vers les belles pages musicales que l’homme a su créer. Il faut que les parents (et maintenant les grands parents) servent de contre-poids au despotisme des forces commerciales. Le problème c’est que nos enfants sont pris très jeunes et quand le ver est dans le fruit… Rendez-vous compte, je n’avais pas dix ans et j’écoutais Count Basie ou Duke Ellington ! Et chez moi il n’y avait rien d’élitiste ou de bourgeois, bien au contraire. C’était la norme voilà tout. En 1969, Frank Zappa publiait son deuxième album solo intitulé Hot Rats. Allez faire écouter ça aux enfants ou aux ados d’aujourd’hui. A l’époque, Hot Rats était un album qui circulait sans problèmes sous le bras des collégiens. Là aussi, un fossé s’est creusé. Nos trouvailles s’affichaient avec fierté. Les pochettes en format vinyle servaient la découverte et le partage. Nous étions les meilleurs VRP des artistes et mes souvenirs de disques en balade sont innombrables. C’est comme ça que j’ai vu passer Atom Heart Mother, Machine Head, Electric Ladyland, Recorded Live (Ten Years After), des albums fascinants avant même d’être écoutés. Bon, certains vont dire que je suis atteint de « vieuconite » aiguë et que je promène mon spleen en mal de nostalgie. Pas faux et pas vrai, j’ai seulement eu la chance de vivre une époque (la seule à mon sens) ou l’homme avait de l’espoir en toutes choses. C’est loin d’être le cas de nos jours.

Allez-y, mettez du Zappa à la maison (à petites doses au début) et boycottez toutes ces chaînes à lobotomie assurée. Je sais ce n’est pas facile, mais le papy que je suis a vécu une drôle d’expérience avec sa petite Alexine (moins de 2 ans) qui est restée scotchée devant un concert d’Hans Zimmer. Pourtant elle n’est pas différente des autres enfants, entre les matraquages « ad nauseam » des chansons Disney ou les gargarismes de Maître « machin », elle n’échappe pas à la règle. Ce que j’essaie humblement de dire, c’est qu’il faut s’efforcer de leur faire découvrir autre chose sans pour autant les marginaliser. Si vous êtes un habitué des chroniques de Clair & Obscur, vous avez déjà certaines tendances aux découvertes de qualité et aux bons échanges constructifs. Alors je vous le dis, notre responsabilité est énorme et j’ai confiance en vous. Maintenant, je pense aux fans de Frank Zappa qui doivent s’impatienter avec ce début de chronique pas forcément habituel. J’y viens. Hot Rats est un disque fondateur. Au même titre que le Getz/Gilberto de 1963 pour la bossa nova, Hots Rats fait figure de pierre angulaire du jazz rock ou jazz fusion. Un genre hybride qui a permis de moderniser un style musical (le jazz) bien trop codifié et qui n’attirait pas forcément les amateurs de rock en pleine consommation de décibels. Cet album est tout bonnement génial. Parfait de bout en bout avec une écriture qui a permis à l’ami Frank de se hisser au plus haut des grands inspirateurs de l’époque (pour l’école de Canterbury notamment). Mais ce n’est pas tout. Si le bonhomme a pu séduire la jeunesse des sixties et seventies, c’est qu’il avait la stature d’un héros, d’un « guitar hero ». Ce besoin de personnages hors du commun allait se concrétiser avec l’émergence de divinités musicales plus ou moins extravagantes mais toujours fascinantes. C’est pour cela que le rock progressif a si bien fonctionné. Des guitares double manche, triple manche, des empilades de claviers, des tenues excentriques et des shows à la théâtralité appuyée. C’était notre façon à nous de sortir de la réalité et de croire au merveilleux.

Frank Zappa Hot Rats Band1

Zappa, avec ses côtés avant-gardiste et homme orchestre iconoclaste ne combattait pas forcement dans cette catégorie mais avait lui aussi de quoi séduire. A commencer par une attitude provocatrice bien marquée dans ses prises de parole et dans ses chansons. Hot Rats est un album instrumental à l’exception de la partie chantée de Don Van Vliet (Captain Beefheart) sur le monumental « Willie The Pimp » (Willie le proxénète). Une intervention un peu « spéciale » qui ne pourrait pas passer partout aujourd’hui. Décidément, les temps ont bien changé et il n’est pas certain que Zappa comme beaucoup d’autres puissent s’exprimer aussi facilement de nos jours. A l’époque il faisait le buzz car personne ne l’avait vu venir et puis, la société était artistiquement moins liberticide. Il a fallu rapidement remédier à tout ça… Si vous voyez ce que je veux dire. Hot Rats est intemporel car sa musique peut passer les ans sans aucune difficulté. A l’image des grandes pièces classiques (au sens large du terme), l’album s’écoutera encore longtemps et se transmettra aisément d’oreilles averties à oreilles curieuses. Hot Rats est un déluge de notes que le magicien zappa a su organiser, parfois sur le fil du rasoir (« The Gumbo Variation ») mais toujours en bon équilibriste pour ne pas chuter. Le titre le plus accrocheur a la chance de débuter l’album et le mérite de mettre l’auditeur en confiance pour la suite. « Peaches En Regalia » est d’une évidence confondante. Cette mélodie devait exister et Zappa nous l’a cuisinée. Il faut plonger dans la discographie de l’homme de Baltimore quitte à se perdre et ne plus trouver la sortie. Cette quête vous révélera des mélodies sublimes (l’immense « The Wet T-Shirt Contest » sur Joe’s Garage entre autres) et des parties de guitare décoiffantes (Shut Up ‘N Play Yer Guitar). Ne voir Zappa qu’à travers Hot Rats est bien trop réducteur et faussement indicatif. Ce touche à tout de génie a pratiquement tout abordé, du classique au jazz en passant par le rock, le prog, le funk, le reggae, le pastiche et même la musique dite « cérébrale » en association avec Pierre Boulez. Il y en a pour tous les goûts je vous l’assure. Pour finir, il faut bien parler des musiciens qui l’accompagnent sur ce disque et faire une ovation à son complice des Mothers, Ian Underwood, contre-poids clavier/saxo indispensable. Saluons aussi les talentueux Max Bennett à la basse et John Guerin à la batterie, sans oublier la participation de Jean-luc Ponty au violon sur « It Must Be A Camel ».

Frank Zappa Hot Rats Band 2

Voilà, je me suis un peu lâché, mais il y a un bon bout de temps que j’avais ça en tête. J’ai pris Hot Rats en otage mais beaucoup d’autres albums auraient fait l’affaire. A bien y réfléchir, la barre Zappa est un peu haute pour nettoyer les cerveaux formatés de nos chères têtes blondes, elle ne sera atteinte que plus tard, quand du Beatles, du Bowie, du Queen ou même du Nirvana auront fait sauter les verrous posés par les marchands de soupe tyranniques. Je vous le redis, notre mission est essentielle, sinon l’humanité est foutue. Dernier petit grognement (j’ai hésité pour celui-là, mais je m’en fous car je suis aussi un amateur de ballon rond). Alors voilà, sur mon ordi quand je tape Frank sur un moteur de recherche, Zappa n’arrive qu’en sixième position et c’est notre cher Frank Leboeuf qui soulève la coupe…
Bien sûr tout ça n’est pas à prendre trop au sérieux (quoique), la seule politique à retenir c’est le plaisir de croire en ce qui est beau et de partager ses émotions avec les plus affamés, ils ne demandent que ça.

PS : Une édition pharaonique 50ième anniversaire de Hot Rats vient de sortir en coffret 6 CD et livret 28 pages. Une version ultime pour les plus accros, ou les plus fortunés, c’est à vous de voir.

https://www.frank-zappa.fr/biographie.html

 

Un commentaire

  • MIGNON

    Je ne peux que souscrire à ce beau coup de gueule…malheureusement!
    …et les choses ne semblent pas prête de changer! quand je pense qu’à une époque (et oui, vieux con moi aussi), on
    dansait même sur du Dire Straits, du Supertramp, voire du Yes en boite…

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