Emmanuel Reuzé & Jorge Bernstein – Discongraphie

Discongraphie
Emmanuel Reuzé & Jorge Bernstein
Fluide Glacial
2021
Jean-Michel Calvez

Emmanuel Reuzé & Jorge Bernstein – Discongraphie

Discongraphie-Emmanuel Reuzé & Jorge Bernstein

Discongraphie, jeu de mots-calembour certes un peu bourrin, est un livre-disque sans musique ou, plus exactement, une pochade jouissive épluchant la discographie du siècle passé (artistes, mais aussi titres d’albums et visuels de pochettes de disques cultes) pour en concocter des mutations et autres détournements déconnants, impertinents et saugrenus (improbables, en un mot), bien dans l’esprit de Fluide Glacial. Avec son format super carré 16×16, ce Discongraphie annonce clairement la couleur, fusionnant les deux formats que connait bien tout collectionneur de musique « à l’ancienne » pas encore dématérialisée.

Les newsletters de Clair & Obscur ont aussi pratiqué de temps à autre ce type de bricolage photoshopé illustrant une idée ou singeant un musicien (Hello, Jéré Mignon, tu vois de qui je veux parler ?).Le concept est porté ici à son plus haut niveau de transformations tous azimuts. Ces transformations portent sur le visuel révisé d’une pochette, mais aussi sur le titre et/ou le nom de l’artiste, tout cela accompagné, sur chaque page de gauche, de commentaires parodiques d’un disquaire fictif (lui aussi), jouant sur les mots et accentuant encore par une chronique bidon, le clin d’œil et la parodie jusqu’à l’absurde. Un concentré de fake news, en somme, bien dans l’air du temps de notre millénaire.

Discongraphie-Supertrump Emmanuel Reuzé & Jorge Bernstein
Ouvrant le bal, la pochette de Break First in America, d’un certain Super Trump, relecture hilarante et méritée d’un album culte de 1979 qu’il est impossible de ne pas connaître, ou alors, vous n’avez rien à faire sur le site de Clair & Obscur ! Tout est dans cette veine, allant chercher jusque dans les années 60, voire encore avant : Piaf, avec « La vie En Cirrhose », Boy George Brassens, Ray Charles Aznavour (« Je m’voyais pas déjà »), ou encore Jacques Brel et son improbable « Valse à mi-temps », avec ses duos de footballeurs dansant sur la pelouse. Le classique est aussi ciblé (Beethoven, avec sa « Lèpre à Elise », Satie, Mozart, etc.) mais si l’on se borne aux registres mieux connus des lecteurs de ce site, on citera la transformation de la cruelle photo originale de Rage Against The Machine (on n’en dit pas plus, allez voir ça !), à celle d’un certain Emmentallica / Munster of the Puppets (avec visuel fondant associé), ou encore « Oui Oui Rock You », complété en face 2 par « We are the Champignons » (oui oui, ils ont osé ! Le regretté Freddy s’en retournera dans sa tombe !). Allez, je vous en livre encore un ou deux pour la route : Songs For The Deaf, de Queens Of The Sonotone Age (avec visuel médico-suggestif), un certain Jimiandrix massacrant sa lyre en concert ou, dans le même registre à cordes pas sympathiques et concluant ce livre-album très impertinent, un Aretha Franquin, dont chacun reconnaîtra l’instrument vibrant, maléfique et destructeur, mis entre les mains de notre célèbre jazzwoman.

Discongraphie-Emmentalica Emmanuel Reuzé & Jorge Bernstein
Tout n’est pas parfait, le mauvais goût assumé a ses limites… ou peut-être pas, tout compte fait ? Chacun décidera jusqu’à quel point on est autorisé à écorner l’image de ses artistes préférés, surtout les disparus, tel Bashung qui en prend pour son grade, Brel déjà cité, etc. Une des réserves formelles à faire à cet objet-livre est de regrouper ici et là, sur une même double page, douze pochettes transformées ; sans doute pour rendre l’ouvrage plus compact (à peine 100 pages) de même que son prix (environ 10 euros). Mais trop, c’est trop, et « trop petit , c’est trop petit » : l’impact et la lisibilité des visuels en vignette et des commentaires associés en souffrent beaucoup sur ces pages compilées.

Discongraphie Indochien Emmanuel Reuzé & Jorge Bernstein
Sur les sites marchands, on parle de Tome 1, ce qui laisse espérer (…ou craindre ?) une suite à cette impertinence graphique aux dépens de nos idoles vivantes ou décédées. Il est vrai que le détournement créatif et récréatif n’a pas de limites : un siècle de pochettes de disques offre un réservoir infini de possibilités pour détourner les codes et les titres, et pour remixer tout ça en nouvelles versions ludiques, plus ou moins de mauvais goût, mais qui nous arracheront forcément un sourire, ou parfois une grimace quand l’outrage-hommage est excessif. Bref, voilà un opuscule sans prétention qui ne peut laisser tout à fait indifférent quiconque a suivi l’histoire de la musique du XXème siècle à travers les objets-cultes qui la représentent le mieux, à savoir les pochettes de disques.

https://www.fluideglacial.com/album/emmanuel-reuze/discongraphie/ean/9791038200975

 

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