Dead Can Dance – Anastasis

Anastasis
Dead Can Dance
2012
Pias

Dead Can Dance – Anastasis

16 ans ! Il aura fallu attendre 16 longues années avant que le duo mythique Dead Can Dance, inventeurs et maîtres indépassables de la « Darkwave » et ses nombreux dérivés, ne se décide enfin à donner suite à « Spiritchaser », leur dernier album en date mi-figue mi-raisin, qui avait en effet laissé à l’époque plus d’un fan sur sa faim. Durant cette interminable période de disette, l’extraordinaire vocaliste australienne Lisa Gerrard n’aura quant à elle pas chômé, se faisant  même une véritable renommée à Hollywood en signant quelques scores tels que cet écolo et spirituel « Whale Rider » (« Paï » en version française), et en participant à de nombreuses bandes originales de films parmi lesquels « Gladiator », « La Chute Du Faucon Noir » ou encore « Le Royaume de Ga’Hoole : La Légende Des Gardiens ». Elle aura par ailleurs publié entre temps quelques albums solos d’excellente facture, avec en point d’orgue un magnifiquement sombre « The Silver Tree »  (2006) qui restera à jamais dans les annales de l’artiste, ainsi qu’une collaboration aussi réussie qu’inattendue avec Klaus Schulze, maître incontesté de la musique électronique planante allemande. En ce qui concerne l’anglais Brendan Perry, le planning n’aura pas été aussi chargé, puisque durant cette longue période d’absence de son groupe au statut largement mérité de « culte », il n’aura édité qu’un seul et unique ouvrage en solitaire (le sympathique mais pas génial « Ark » en 2010), vivant reclus en Irlande, dans sa fameuse chapelle de Quivvy Church, bâtisse historique qu’il a entièrement restauré puis reconverti en studio d’enregistrement et en école de percussions.

En 2005, Dead Can Dance avait cependant laissé espérer sa renaissance lors d’une reformation éphémère du duo Gerrard et Perry, à l’occasion d’une tournée à succès en Europe et en Amérique du Nord. Les 21 concerts joués avaient d’ailleurs tous été intégralement publiés en CD via le label The Show, cadeau fortement apprécié par les hordes de fans en manque cruel de leur groupe adulé ! Et puis, silence radio jusqu’en 2011, où Brendan Perry avait officiellement annoncé la reformation du duo, avec à la clef un nouvel album studio qui paraîtra enfin, c’est confirmé, le 9 août prochain (mais écoutable d’ici là en intégralité sur youtube !) ainsi qu’une tournée qui passera par le Rex à Paris le 27 septembre.

Alors, qu’en est-il de ce tant attendu « Anastasis » ? Autant l’annoncer de suite, pour moi, si on a affaire ici à un bon disque dans l’ensemble, à mon sens un cran au dessus de « Spiritchaser », on est loin du choc que l’on aurait pu espérer après une si longue période de latence. Fort heureusement, le plaisir de retrouver l’univers si personnel et mystique de Dead Can Dance, aux effluves liturgiques, incantatoires et délicieusement orientalisantes, reste quant à lui parfaitement intact. Ouf ! L’album s’ouvre sur « Children Of The Sun », avec en introduction d’amples et jolies nappes orchestrales sur lesquelles viennent se poser une rythmique répétitive (marque de fabrique de DCD !), d’envoûtantes séquences de dulcimer, et la voix profonde de Brendan Perry, toujours noyée dans la reverb, et appuyée sur le refrain (mais alors vraiment au second plan !) par le timbre unique de Lisa Gerrard. Pas de doute, nous naviguons bien en territoire familier, l’identité du duo est intact, et ce premier titre donne envie de poursuivre le voyage sans plus attendre.

L’album comporte 8 morceaux d’une durée comprise (en gros) entre 6 et 8 minutes, ce qui permet à l’auditeur de pouvoir s’immerger pleinement dans l’ambiance pénétrante de chacun d’eux. Et puisque je parle d’ambiance, la seconde plage intitulée « Anabasis » est peut être la plus réussie dans ce domaine, avec sa rythmique douce et sensuelle exécutée au « hang » (instrument de percussion mélodique en métal, aux sonorités fascinantes !), l’entrée en scène des rythmes orientaux et, cette fois-ci en soliste, la voix féérique et le langage imaginaire de l’elfique Lisa Gerrard. S’en suit « Agape », composition très typée « world-music », qui aurait parfaitement pu trouver une place de choix dans le très bon « Duality », album de Lisa Gerrard signé en duo avec Peter Bourke, et paru en 1998 sur le célèbre label de cold-wave 4AD. On trouvera également dans ce remarquable titre un petit clin d’œil au premier essai solo de Brendan Perry, le délicieusement folk et intimiste « Eye Of A Hunter » (1999, toujours chez 4AD), sous la forme d’un petit phrasé reconnaissable joué au violon ancien. Puis, en abordant « Amnesia », on entre dans ce que j’appellerais le « ventre mou » de l’album. Cette compo un peu banale se rapproche quant à elle davantage du registre de la chanson mélancolique qui dominait sur « Ark », son dernier disque solo, qui personnellement ne m’avais pas plus emballé que ça, car trop froid, sans surprise, et, surtout, trop « synthétique » dans ses arrangements.

Après un « Kiko » qui ne décolle jamais (et les mélopées de guitares de Brendan n’y changeront rien, malheureusement), la haute qualité revient au rendez-vous avec l’enivrant « Opium », qui voit sur fond de nappes enveloppantes le retour du fameux « hang » (une grande idée que d’avoir incorporé cet instrument encore trop méconnu à la palette sonore d' »Anastasis » !) et des percussions en tous genres, au service d’une mélodie forte, imparable, portée par la voix d’outre tombe de Brendan Perry. Dépaysement garanti également vers d’autres contrées fantastiques lointaines à l’écoute de « Return Of The She-King » et ses nuances celtiques, qui trouverait parfaitement sa place dans le soundtrack de « Games Of Thrones », la plébiscitée série TV « médiévale-fantasy » actuellement en cours de production chez l’écurie HBO, tirée des livres fleuves de Georges R.R Martin (histoire de changer un peu des références incessantes à J.R.R Tolkien !) Et c’est ici la voix de Lisa Gerrard qu’on retrouve à l’honneur, en inversant une nouvelle et dernière fois les rôles sur « All In Good Time », qui conclue l’album de manière on ne peut plus apaisée et intimiste.

En conclusion, je dirais que ce « Anastasis » sonne un peu comme la synthèse de toutes les différentes périodes du groupe, ni trop « gothique », ni trop « world », souvent proche dans l’esprit et la couleur de leur génial « Into The Labyrinth », l’effet de surprise en moins. Aussi, j’ai un peu de mal à comprendre pourquoi Brendan et Lisa ne chantent quasiment JAMAIS ensemble sur cet album pourtant bien publié sour le nom de Dead Can Dance ! Pour ne citer qu’un exemple, exit ici l’alchimie d’un « Rakim » (l’énorme ouverture de leur définitif live « Toward The Within », indispensable à toute collection qui se respecte), où les parties vocales des deux complices se complétaient à merveille ! On a parfois l’impression que cet album est le résultat de 2 œuvres en solo recombinées en une seule à des fins purement mercantiles (sans toutefois donner dans le bancal de l’injustement décrié « Union » du groupe rock Yes. Ici, il y a au moins une vraie cohérence de style et d’esthétisme). Enfin, il manque à cet ouvrage l’empreinte instrumentale chaleureuse et authentique qui caractérisait justement le génial « Toward The Within », où les boites à rythmes, samples et autres effets électroniques étaient réduits à leur plus strict minimum, décuplant de ce fait la magie, la puissance et l’impact émotionnel de cette musique venue d’ailleurs.

Pas un nouveau chef d’œuvre à espérer ici donc, mais juste le bonheur de retrouver en bonne forme un duo qui aura innové en son temps comme si peu d’autres l’auront fait, en marquant de leur empreinte indélébile et si singulière la musique pop au sens large, à tout jamais…

  Philippe Vallin (7/10)

http://www.deadcandance.com/

2 commentaires

  • Merci pour cette chronique pleine de bon sens, pleine d’un juste sens critique fondé sur une vraie connaissance du groupe et sur une vraie connaissance de La Musique et des particularités qui
    font toutes la singularité de la leur en particulier. J’écoute l’album en vous lisant et je tombe d’accord, je finis cet album triste de ne pas avoir eu un duo, mais heureux de les avoir
    retrouvé. Ils m’avaient incroyablement manqué.

  • Clair & Obscur Webzine

    Bonjour Vince ! Merci à toi pour ce commentaire bien sympa. Je viens de jeter un oeil sur ton blog et le contenu me plait bien, à tel point que je l’ajoute illico dans la rubrique « liens » de
    Clair & Obscur. Au plaisir te te lire également. A bientôt. Musicalement, Philippe

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