David Bowie – Station To Station

Station To Station
David Bowie
1976
RCA

David Bowie Station To Station

Station To Station est sorti le 23 janvier 1976, il y a donc maintenant 40 ans presque jour pour jour. C’est le dixième album studio de David Bowie, l’un des plus impénétrables, l’un des plus réussis aussi, et le dernier dans lequel il se glissera dans la peau d’un personnage, ici le Thin White Duke. Dans le même temps, il s’agit également d’un n-ième revirement – mais qu’aurait été David Bowie sans ses éternels revirements ? – sauf que celui-ci le mènera bientôt à l’une des périodes parmi les plus emblématiques de sa carrière, je veux parler de cette fameuse trilogie berlinoise, dont il ignorait encore tout mais qui s’amorçait déjà en filigrane. Reprenons et expliquons.

Impénétrable. Oh que oui ! Pour justifier ceci, il suffit de se replonger dans le contexte du David Bowie de cette époque-là. Il est drogué jusqu’à la pointe des cheveux et consomme notamment des quantités faramineuses de cocaïne. Ça en est à un point où il avouera lui-même quelques années plus tard n’avoir presque aucun souvenir de l’enregistrement de Station To Station. En réalité, c’est même encore pire que ça. Reclus dans sa maison de Los Angeles, David Bowie vit dans un état de terreur psychique, ne se nourrit plus que de poivrons et de lait à la lumière de bougies noires, accuse des sorcières de voler son sperme, voit régulièrement des cadavres tomber devant ses fenêtres et est englouti dans une passion dévorante pour l’occultiste anglais Aleister Crowley. Preuve que tout ceci n’est pas que de la pure affabulation, David Bowie dira plus tard de Los Angeles : « Ce putain d’endroit devrait être rayé de la surface du globe. » (« The fucking place should be wiped off the face of the earth. »).

David Bowie

Réussi. Eh oui ! Malgré tout ce qui précède, David Bowie est encore plus au top et lui-même que dans son précédent album Young Americans. Forcément, lui l’anglais jusqu’aux bouts des ongles s’était imaginé en américain parfait shooté à la gloire, le tout sur une bande-son digne d’American Graffiti. L’erreur de casting était évidente quoique plutôt pas mal musicalement parlant. Station To Station, de nouveau enregistré aux Etats-Unis en reste encore pour partie à une musique parfaitement calibrée pour les radios FM. Se référer par exemple à « Golden Years », ou à « Wild Is The Wind » où David Bowie joue au crooner. Sauf que c’est l’optique étrange et décalée de ce nouvel album qui change la donne. David Bowie ne fait plus de la musique américaine aux Etats-Unis, il enregistre un album de David Bowie aux Etats-Unis, la nuance est plus qu’essentielle. Fini de mouler sa musique dans un style qui n’est pas le sien et qui ne le sera jamais malgré tout son amour pour ce style, il reprend la main et assume de nouveau son style personnel fait d’inattendu, de bizarreries et d’inspirations géniales.

Thin White Duke. « It’s the return of the Thin White Duke, throwing darts in lovers’ eyes ». Dès la première phrase de l’album, on est déjà au coeur du concept ! C’est durant le tournage de son premier grand film, L’homme qui venait d’ailleurs, que David Bowie commence à écrire une pseudo-autobiographie intitulée The return Of The Thin White Duke. Ceci devait d’ailleurs être originellement le titre de cet album. Il compose également des morceaux pour la bande originale du film, mais celle-ci est finalement assurée par John Phillips, un ex-Mamas and the Papas, sur la recommandation de David Bowie lui-même. Le réalisateur Nicolas Roeg le prévient cependant que le rôle de Thomas Jerome Newton va probablement continuer à le suivre un certain temps après la fin du tournage. Avec son accord, le chanteur développe lui-même le look de son personnage. C’est ainsi que l’apparence fragile et hautaine de Newton devient peu à peu celle du Thin White Duke, littéralement le Maigre Duc Blanc. Impeccablement vêtu d’une chemise blanche, d’un gilet et d’un pantalon noir, le Thin White Duke est un homme creux en dedans de lui-même, chantant des airs romantiques avec intensité sans rien ressentir lui-même. On finira par qualifier ce personnage de surhomme aryen dépourvu d’émotion. David Bowie le qualifiera d’ailleurs un jour de sale type.

Revirement. C’est là, enfin et surtout, l’aspect fondamental de Station To Station. Rien que les premières secondes du premier titre éponyme de cet album nous démontrent qu’on est réellement passé à tout à fait autre chose, même si ce quelque chose ne fait encore que montrer le bout le son nez sans encore se montrer vraiment. Ce sera l’objet des trois albums suivants, même si David Bowie l’ignore encore à ce moment-là. Par les premières secondes, je veux évidemment parler de ce rythme ferroviaire synthétisé. Mais la durée de ce premier titre est aussi hors-norme, plus de 10 minutes ! Après tant d’explorations stylistiques et souvent autant de débordements assumés, l’expérimental est devenu de plein droit le pain quotidien d’un David Bowie prêt – comme toujours me direz-vous – à prendre tous les risques dans cette nouvelle aventure musicale. Sauf que celle-ci va le mener vraiment plus loin que prévu, jusqu’à Berlin en vérité, jusqu’à son terrible Mur.

Pas très loin de là, à Düsseldorf, les quatre musiciens allemands de Kraftwerk synthétisent aussi dans leur studio le rythme d’un train pour leur futur album Trans-Europe Express. Synchronicité ? Transmission de pensée ? Même si Station To Station ne ressemble en rien à Trans-Europe Express, la coïncidence est néanmoins remarquable au niveau des titres, et ceci ne restera pas sans lendemain. Un proverbe mystique dit que quand l’élève est prêt, le maître apparaît. En l’ocurrence, il s’agira de Brian Eno. Mais ceci est déjà une autre histoire…

Frédéric Gerchambeau

http://www.davidbowie.com/

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