The Mute Gods – Tardigrades Will Inherit The Earth
InsideOut Music
2017
The Mute Gods – Tardigrades Will Inherit The Earth
Les dieux muets, les dieux mêmes ! J’avais déjà beaucoup aimé leur premier album, Do Nothing Till You Hear From Me, l’an dernier. Et voilà qu’ils nous reviennent déjà. De quoi se demander où ils trouvent le temps de vaquer à leurs multiples occupations… D’autant que le groupe, qui s’était entouré de nombreux invités sur son premier album, a ici décidé de serrer les rangs, les guitares se retrouvant singulièrement réparties entre les membres du trio. Petit rappel pour les retardataires, The Mute Gods, ce sont Nick Beggs (Steven Wilson, Steve Hackett…), Roger King (Steve Hackett…) et Marco Minnemann (Joe Satriani, The Aristocrats, Levin Minnemann Rudess, Steven Wilson…), rien que ça ! Alors, bien entendu, les aficionados du prog s’attendent à ce que leurs dieux ne fassent jamais acte hérétique, encore moins en cas de parousie ! S’ils avaient été partiellement comblés à la naissance de cette sainte trinité, j’entends déjà, ici ou là, certains de ces prédicateurs grincer des dents. Eh bien, au risque de passer pour un apostat, je dois bien avouer que ce Tardigrades Will Inherit The Earth, s’il semble moins progressivement convenu, est à mes oreilles et à mes sens en général, encore meilleur que Do Nothing Till You Hear From Me. Tentons de voir pourquoi…
« Les tardigrades vont hériter de la Terre », voilà un titre qui interpelle, surtout celui ou celle qui ne connaît rien à ces oursons d’eau ou marcheurs lents… Capables de survivre dans le vide spatial (on en a retrouvé à l’extérieur de la station spatiale internationale) ou dans des conditions extrêmes (dans un réacteur nucléaire ; à des températures comprises entre le zéro absolu et pratiquement 150°…), ces charmantes petites bêtes pourraient effectivement devenir bientôt maîtresses de notre planète si nous continuons à faire les conneries que nous multiplions sans coup férir ! Et le placement du titre éponyme au milieu de l’album (6 sur 11) marque bien son importance, ainsi que celle de son thème : les tendances autodestructrices de l’humanité ! C’est d’ailleurs ainsi que s’ouvre l’opus, avec un instrumental signé Roger King, « Saltatio Mortis », sorte de marche funèbre pour le genre humain. Les titres s’enchaînent alors sur des thématiques connexes, avec un côté pop et mélodique marqué (par exemple, les voix proches de XTC et la basse à la McCartney de « Animal Army »). Ou encore sur ce « We Can’t Carry On » en forme d’avertissement sur l’inéluctabilité de notre chute si nous continuons de la même manière, avec de splendides chœurs féminins (Lula Beggs et Lauren King), un break splendide d’émotion (quelle voix ce Nick Beggs quand même…) et ce passage chaloupé sur un refrain digne de… Lazuli ! « The Dumbing Of The Stupid » insiste sur notre propension à aimer la futilité de ce qui brille sous l’influence des médias. La voix trafiquée de Beggs est portée par un énorme travail à la batterie de Minnemann sur un 7/8 d’où s’extrait un solo de guitare dantesque (du même Minnemann ?) et des finesses rythmiques successives. Le musicalement doux « Early Warning » met en valeur le stick de Beggs et les guitares en arpèges avec des voix doublées dignes d’un Ten CC. Le point d’équilibre de l’album est donc ce « Tardigrates Will Inherit The Earth » dont on appréciera la vidéo quelque peu montée à la manière d’un film de science-fiction des années 50, avec un Nick Beggs convaincant et des tardigrades monstrueux. Le sujet a beau être grave, la musique balance, comme une fusion entre Depeche Mode, Devo et The Buggles. D’ailleurs, je vous mets au défi de ne pas vous secouer à l’écoute de ce titre, ou encore de ne pas reprendre le refrain. Un tube dramatique, à l’instar du « We Can’t Carry On » (judicieusement placé en 3).
La seconde partie de l’album ne s’essouffle guère. « Window Onto The Sun » aborde le thème de la technologie et de notre capacité à la mettre à notre service ou à nous mener à notre (pas très) propre destruction. Beggs montre de belles capacités vocales, très pop. On remarque encore une subtile utilisation des guitares (et pourtant, aucun des trois artistes n’est en priorité guitariste), un mixage et une production de grande qualité (écoutez cette petite guitare à la fin du titre). « Lament » est un bel et court instrumental qui met en avant le Chapman Stick (si, si) sur une orchestration de King. « The Singing Fish Of Batticaloa » reprend des enregistrements de la BBC de « poissons chantants » captés au Sri Lanka, comme si ces animaux voulaient nous avertir. Plutôt axée sur les claviers et les orchestrations, on croirait entendre une composition de Geoff Downes, avec ce côté légèrement pompeux et pompier qu’il affectionne tant. La seconde partie du titre laisse place aux mélodies vocales et aux guitares acoustiques, pour une reprise du thème initial en conclusion ; la construction la plus prog de l’album et un résultat magnifique. « The Andromeda Strain » est le troisième instrumental, basé sur le roman de Michael Chrichton (La Variété Andromède en français), où une bactérie, tombant sur Terre avec un satellite, coagule le sang humain. « Stranger Than Fiction » est la note d’espoir qui conclut l’album, morceau très West Coast, un peu à la Toto, avec, encore, des harmonies vocales particulièrement réussies. Ne manque à cet inventaire qu’un « Hallelujah » placé en dixième position sur l’édition deluxe et que je n’ai pas eu l’occasion d’entendre…
Il n’y a décidément pas une seule faute de goût sur ce Tardigrades Will Inherit The Earth ! (La pochette est magnifique, on accordera éventuellement une mention passable aux photos de Hajo Muller qui accompagnent la promotion de l’album.) Non seulement The Mute Gods ont franchi l’obstacle délicat et souvent casse-gueule du deuxième album, mais ils l’ont fait avec brio, proposant un opus à la thématique grave posée sur des compositions tour à tour douces, menaçantes, dansantes et popisantes. Leur très grande maîtrise technique est pleinement mise au service de leur propos et d’une production cohérente et équilibrée. Le résultat place The Muse Gods au cœur du Panthéon musical actuel (normal, non ?) et Tardigrades Will Inherit The Earth parmi les albums qui marqueront sans doute l’année 2017. La seule limite que j’y verrais, c’est l’espoir que les visions prémonitoires développées dans ce splendide album ne se transforment pas en réalités concrètes trop rapidement…
Henri Vaugrand
http://themutegods.com/tmg/