The Jayhawks – Back Roads And Abandoned Motels
Legacy Recordings
2018
Thierry Folcher
The Jayhawks – Back Roads And Abandoned Motels
L’Amérique fascine encore aujourd’hui mais pas forcément celle, clinquante et tape à l’œil, qui s’accroche désespérément au rêve américain. Non, ce serait plutôt celle de Jonathan Dayton et Valérie Faris dans Little Miss Sunshine ou de David Lynch dans The Straight Story. Une Amérique plus humaine, qui prend son temps, qui emprunte les back roads et fréquente des motels un peu délabrés. Une Amérique dont la bande son inclurait à coup sûr The Jayhawks le groupe du génial Gary Louris. Cette formation vient de sortir le bien nommé Back Roads And Abandoned Motels, un dixième album dont la country alternative est parfaitement calibrée pour un road movie plus vrai que nature. La photo de la pochette, prise à Terlingua au Texas par Wim Wenders, vient encore appuyer cette sensation de déclin et d’abandon. On y voit une lumière vespérale envelopper un motel hors du temps et, au dos, le groupe photographié en sépia. Le livret, à l’intérieur, représente un sous-verre taché et même la police de caractère est loin d’être régulière. Le décor est planté, il ne reste plus qu’à mettre des notes de musique pour que la magie opère. Et ça va fonctionner à merveille.
Les onze chansons de Back Roads And Abandoned Motels ont été enregistrées en 2017 au Flowers Studio de Minneapolis « in two soulful sessions » comme le dit Gary Louris et ça se sent à l’écoute. On n’est pas loin d’une captation live mais avec un mixage (Londres) et une masterisation (New York) haut de gamme. Attention, cette nouvelle parution qui fait suite à un honnête Paging Mr. Proust paru en 2016, n’est composée que de deux nouveautés. Les neuf autres chansons, déjà enregistrées, sont le fruit d’une collaboration entre Gary Louris et les Dixie Chicks, Natalie Maines, Jakob Dylan, Ari Hest, Scott Thomas, Emerson Hart, Carrie Rodriguez et Wild Feathers. Tout ce matériel va donc passer sous l’appellation « The Jayhawks » et on est en droit de se demander si ce n’est pas un manque d’inspiration ou un raclage de « fond de tiroir » qui a motivé cette entreprise. Après une première écoute, on est vite rassuré. Non seulement c’est un excellent album mais en plus il pousse la différence encore plus loin en offrant le chant à Karen Grotberg et au batteur Tim O’Reagan sur plusieurs morceaux. Du coup, l’ensemble est plus varié et certainement plus accrocheur pour le grand public. Les réactions outre Atlantique sont très positives, à tel point que Back Roads… est déjà comparé à la référence du groupe : Rainy Day Music. A titre personnel, j’avais trouvé Paging Mr. Proust sans grand relief, assez loin de l’énergie et de la spontanéité des débuts où le duo Louris/Olson faisait merveille. Une prise de risque était donc nécessaire et Gary Louris l’a bien compris, exit Peter Buck (REM) à la production bien trop lisse, et retour aux fondamentaux : La route, le public et les enregistrements sans fioritures.
Je ne sais pas vous, mais j’ai souvent constaté que les premières minutes d’écoute sont révélatrices de la qualité d’un album. Lorsque j’ai inséré le CD, le son de la basse et de la batterie puis la voix – oh surprise !- de Karen Grotberg ont donné un élan extraordinaire à ce Back Roads And Abandoned Motels. Cette première chanson « Come Cryin’ To Me », originellement enregistrée sur l’album Mother de Natalie Maines, est une formidable entrée en matière. Les deux versions sont assez proches l’une de l’autre même si celle des Jayhawks est un peu plus punchy et agrémentée de quelques cuivres. L’enchaînement avec « Everybody Knows » est vraiment bien foutu avec le retour de Gary au chant. Ce morceau, que n’auraient pas renié les Traveling Wilburys, est paru en 2006 sur l’album Taking The Long Way des Dixie Chicks, célèbre trio vocal féminin de country music. Là aussi la production est beaucoup plus dynamique et moderne permettant au titre de sortir d’un étiquetage country contraignant. Bon, je vais arrêter de comparer à chaque fois les deux enregistrements, mais je tiens à préciser que tous ces albums valent la peine d’être écoutés et que les versions Jayhawks sont à prendre comme de véritables compositions du groupe. « Gonna Be A Darkness » le morceau suivant est un « Soundtrack » que Gary Louris a écrit avec Jakob Dylan (le fis de …) pour la série True Blood. C’est Tim O’Reagan qui prête sa voix à cette jolie ballade folk qui parle de cette éternelle question de la vie après la mort.
Après « Bitter End », extrait lui aussi de l’album Taking The Long Way des Dixie Chicks, c’est au tour du formidable « Backwards Women » d’offrir un autre grand moment du disque. Ce titre écrit en collaboration avec The Wild Feathers commence comme du America façon « A Horse With No Name » puis nous propose des harmonies vocales dignes des Eagles ou de Poco. Une superbe chanson qui devient vite entêtante comme avait su le faire « Tailspin » sur Rainy Day Music. The Jayhawks et son mentor possèdent un savoir-faire indéniable, capable de produire des mélodies qui font mouche à tous les coups. Les autres titres de l’album vont confirmer cette impression, à commencer par le très doux « Long Time Ago » superbement chanté par Tim O’Reagan puis par « Need You Tonight » lui aussi dans un registre plutôt calme où les voix de tous les musiciens s’accordent à la perfection. Changement de climat avec « El Dorado » paru en 2008 sur l’album She Ain’t Me de Carrie Rodriguez. C’est Karen Grotberg qui reprend le chant avec un timbre plus grave sur ce titre assez éloigné de la palette habituelle du groupe de Minneapolis. « Bird Nerver Flies » que l’on retrouve sur l’album The Break-In du New-yorkais Ari Hest est particulièrement bien (mieux?) chanté par Gary et ses acolytes. Jolie folk song pour s’arrêter au bord de la route et contempler le paysage. L’album va se terminer avec les deux inédits. Tout d’abord « Carry You To Safety » avec toujours les mêmes qualités d’un bon produit de la fabrique Jayhawks et ensuite « Leaving Detroit » pour finir tout doucement en beauté. On peut alors revenir au début et recommencer le voyage sans jamais devoir se lasser.
Beaucoup de guitares acoustiques, quelques mandolines, un soupçon de violon et de pedal steel, de belles harmonies vocales et bien sûr le talent de The Jayhawks, voilà le parfait cocktail pour illustrer les petites saynètes de Back Roads And Abandoned Motels. Ces chansons sont universelles et intemporelles, elles traitent de sujets de la vie quotidienne offrant ainsi une proximité avec ceux qui les écoutent. Un bel album taillé pour la route et chaudement recommandé pour tous ceux qui empruntent les back roads de France ou d’ailleurs.
http://www.jayhawksofficial.com/