The Far Meadow – Foreign Land
Bad Elephant Music
2019
Thierry Folcher
The Far Meadow – Foreign Land
Revoilà enfin le rock progressif anglais que j’attendais, je n’y croyais plus. Je commençais vraiment à désespérer de dénicher enfin un groupe actuel marqué de cette empreinte britannique si caractéristique qui révéla les monumentales formations que nous connaissons tous. Car les londoniens de The Far Meadow font dans le progressif « old school » à la manière des Genesis, Yes, ELP, Camel et autres avec une tendance appuyée pour les belles envolées de clavier et de guitare. Cela dit, ce n’est ni un « cover band » ni à un clone juste intéressé de sonner plus vrai que leurs illustres aînés. L’intérêt pour The Far Meadow repose en premier lieu sur la voix atypique de Marguerita Alexandrou dont le timbre rappelle les performances vocales haut perchées de David Surkamp ou de Geddy Lee. Il faut leur reconnaître aussi une volonté de ne pas reproduire un son désuet tout droit sorti des musées et de proposer une partition énergique, bien ancrée dans l’époque actuelle. Foreign Land possède la double étiquette prog-symphonique pour les constructions typiques du genre et néo-prog pour la tonalité générale des cinq titres. Marguerita est entourée de Denis Warren à la guitare, Eliot Minn aux claviers, Keith Buckman à la basse et Paul Bringloe aux percussions. Un groupe solide et talentueux qui fit sa première apparition en 2012 avec Where Joys Abound, un premier album plein de promesses mais assez décousu, puis récidiva en 2016 avec Given The Impossible un deuxième effort fondateur avec l’arrivée de Marguerita dont le chant étonnant va offrir une véritable identité à la formation.
Trois ans plus tard, nous arrive donc ce Foreign Land dans un emballage soigné à dominante verte et à l’aspect aussi accueillant qu’inquiétant. Cette terre étrangère va se révéler bien familière pour la musique avec des sonorités et des constructions qui font ressurgir de troublants souvenirs. L’ensemble du groupe s’est attelé à l’écriture avec, chose étonnante, la participation de Nok leur première chanteuse. On constate assez rapidement que Foreign Land est nettement un cran au-dessus, plus compact, plus maîtrisé et incontestablement mieux écrit. La principale difficulté pour l’auditeur est d’accepter la voix de Marguerita. Comme pour Rush ou Pavlov’s Dog, certains risquent d’être irrités par ce timbre aigu et de déclarer forfait rapidement. Eh bien, quel dommage ! C’est un peu comme pour n’importe quelle création artistique non conventionnelle, on est en manque de repères et le premier réflexe est de lâcher prise. Pourtant comme je le disais, la voix de Marguerita possède le don de se démarquer des autres chanteuses et de donner à The Far Meadow une résonance unique. D’entrée de jeu, le grand format de « Travelogue » avec sa basse tonitruante et ses percussions épileptiques va nous propulser vers les souvenirs antiques de « Close To The Edge ». Un titre de plus de 18 minutes qui va déployer tout l’arsenal progressif fait de tensions et d’apaisements. Le rock pêchu s’impose assez largement, entrecoupé ça et là de moments jazzy et de belles séquences aériennes. Ce sont le piano, l’orgue et les synthés d’Eliot Minn qui mènent la danse jusqu’au solo ébouriffant de Denis Warren dans la plus pure tradition progressive. Tout s’accorde à merveille et cette introduction se transforme du coup en une imposante réussite.
On retient notre souffle en souhaitant que la suite soit à la hauteur de ce colossal démarrage. « Sulis Rise » va vite nous rassurer en maintenant la même intensité sur plus de huit minutes de partage entre claviers jubilatoires, chorus de guitare et vocaux magnifiques. Marguerita chante de façon plus lyrique et élève le titre vers des sommets de sensibilité. Une autre belle réalisation, certainement un des meilleurs moments de l’album. Côté paroles, on est sur des thèmes liés aux mythes anciens avec une prose alambiquée qui sert surtout à déployer le bel instrument qu’est la voix humaine. Avec « Mud », The Far Meadow appuie sur la touche métal et Marguerita s’en sort très bien. Là aussi les alternances sont de mise et l’ennui ne vient pas. Il se passe toujours quelque chose et on tend l’oreille à chaque intervention en se rappelant au bon souvenir des écoutes d’un autre temps. Sur « The Fugitive », le rythme ralentit un peu mais l’ambiance reste tendue pour mettre en scène cette histoire d’un homme traqué. La musique prend des accents jazzy et la batterie entame une cavalcade effrénée. Le bon niveau se maintient et la guitare est particulièrement inspirée sur deux solos différents mais complémentaires. L’album se termine avec les onze minutes de « Foreign Land » et son message d’espoir d’une vie nouvelle, vierge de tout souvenir. Un morceau émouvant bien servi par le chant impliqué de Marguerita qui reproduit furtivement des mimiques vocales de Kate Bush. Là aussi, la guitare arrache tout et comme à chaque fois envoie la musique dans une autre dimension. C’est elle qui clôt magistralement ce Foreign Land de grande classe et sans aucun temps mort.
Avec ce troisième album, The Far Meadow a réussi à produire une œuvre aboutie, énergique et très accrocheuse. Nos amis londoniens font désormais partie des formations à suivre dans un genre où il devient de plus en plus difficile de trouver sa place. L’arrivée de Marguerita Alexandrou a été un sacré coup de poker gagnant comme on en voit peu aujourd’hui. Alors bien sûr, The Far Meadow ne va pas révolutionner le monde de la musique mais c’est sans importance. Ce qui est important, c’est que les amateurs de rock progressif peuvent désormais compter sur une solide référence à consommer sans modération.
https://thefarmeadow.bandcamp.com/
Je confirme la critique, c’était inespéré, depuis quelques temps la planète rock progressif tournait en rond. Les éternels type Steve Hackett, la génération qui relevait le challenge, Arena, Pendragon, Knight Area, celui qui ne peut plus répondre au besoin Camel, celui qui nous gave, même si… Yes, et tellement d’autres. Riverside était prometteur, mais plus « contemporain », Mostly Autumn pétrit de talent, mais peut-être sans ambitions. Bref, je me repassais éternellement les Genesis, Kansas mixés, remixés, live en tout genre. Et puis écoute de cette superbe galette, rafraichissante, élaborée, bien composée, alternant les mouvements cool, plus sec, plus mélodieux; La voix féminine n’est effectivement pas la garantis du succés, mais désolé elle assure et participe à la musicalité globale de cet oeuvre. La qualité des compos, du son, de l’équilbre des instruments, nous fait vivre une excellent moment de progressif d’essence anglo saxonne. Bravo
Une belle analyse que je partage pleinement. The Far Meadow nous permet de croire encore en la magie d’un genre musical hors norme mais trop souvent caricaturé ou manquant d’originalité