Supersilent – 1-3
Supersilent
Rune Grammophon
Si j’avais évoqué l’envergure atonale du monolithe Deathprod et du stupéfiant « Morals & Dogma » alors, la première sortie de Supersilent se compare à l’aise à un mur de glace condensé. Mais d’abord Supersilent c’est quoi hein ? Quatre bonhommes, dont Helge Sten, maître de Deathprod, bidouilleur et façonneur de sculptures sonores. Ils aiment l’improvisation, à tel point qu’ils en ont fait leur cheval de bataille, afin de toucher la quintessence musicale par la voie de l’imagination créatrice la plus pure. C’est dépouillé et extrêmement compact, rapide et étiré dans le temps et l’espace. C’est une expérience, une de celle qui ne laisse pas insensible. Ça intrigue, un peu de peur s’en mêle face à ce design minimaliste. C’est une interrogation qui prend le temps de se mettre en place dans un maelstrom de sonorités diverses, une bourrasque d’énergie, une indépendance de ton et de formes, le silence convoqué par la résonnance la plus discrète comme la plus bruitiste. Non, ce ne sera pas un voyage d’agrément. Supersilent vous poursuivra, vous acculera, vous mettra genou à terre. Il est découvreur de structures inédites. Son audace formelle marque, son autonomie quasi-libertaire du son, plus que d’un style, subjugue l’auditeur craintif. Quelque part, on subit cet objet colossal.
Mais, plus que la durée astronomique de la chose (plus de trois heures), c’est la sensation de pénétrer dans une terre vierge, d’approfondir un trip, qui domine. Oubliez le jazz tel que vous l’entendez par le commun des mortels ou tel que vous vous le définissez « 1-3 » est une mise à plat, une déstructuration des formes, des symboles et des clichés. Plus que ça, c’est un manifeste, une base sur du diffus, de l’éphémère. Il en ressortira ce que les quatre compositeurs auront injecté, leur finesse, leur cohésion, leur folie divagatrice, la rage de poser leur empreinte. Un lieu, un espace en formation. Une main qui extirpe la matière, encore malléable, et la pose sur bande le temps que durera cet instant n’appartenant qu’à celui qui écoute et celui qui fait. Extrême dans son culot et fascinant dans ses mouvements infinis se gorgeant de substances organiques, électroniques, intenses, répétitives, brutales, « 1-3 » est à part. Son extrémisme et sa radicalité sonore en font une pièce unique, le sentiment d’avoir touché quelque chose.
Est-ce encore du jazz ? De l’électro ? De la musique acousmatique ? Tout en même temps ? À cela, je répondrai seulement un esprit, un état d’âme, une implication sensorielle, une manière de sentir les choses et l’environnement. Car le jazz, free-jazz, nu-jazz, electro-jazz, peu importe son style et son nom d’ailleurs, se construit, et se vit, dans sa perception primaire, et l’abandon qu’on veut bien lui accorder. Supersilent n’est pas qu’un groupe de malades vivant leur musique jusqu’au bout des poils, mais une entité, et en cela absolument unique. Un putain de trip d’avant-garde.
Jérémy Urbain (8,5/10)