Steve Porcaro – The Very Day
Green Hill Music
2025
Thierry Folcher
Steve Porcaro – The Very Day

Le 15 octobre 1978, un drôle de groupe publie son premier album éponyme et marque aussitôt les esprits. Cette nouvelle formation s’appelle Toto et je me rappelle très bien qu’à l’époque les avis étaient très tranchés. Il y avait les pros et les antis. Mais une chose est certaine, c’est que la bande à Steve Lukather et David Paich n’a jamais laissé personne indifférent. Comme l’a dit « Luke » : « Nous faisons partie de la culture pop et nous sommes l’un des rares groupes des années 70 à avoir résisté aux tendances et aux styles changeants tout en restant pertinents ». Déjà, la fameuse épée des premières pochettes était terriblement porteuse en termes de reconnaissance et de ralliement. Un symbole de puissance à jamais vénérée dans le cœur de fans abasourdis par la qualité de la musique proposée. Des compositions hyper léchées qui seront une marque de fabrique assumée pour ces requins de studio, bien décidés à sortir à l’air libre pour vivre les émotions de la scène pop-rock. Le monde de Toto était ce qu’il était, peut-être pas très rock basique, mais on ne pourra jamais leur enlever cette extraordinaire capacité à pondre des tubes qui résistent encore aujourd’hui à l’usure du temps. Dans cette fameuse équipe figurait un certain Steve Porcaro, claviériste de son état et membre d’une fratrie assez remarquable. Ses frères Jeff à la batterie et Mike à la basse (tous deux décédés depuis) feront partie, eux aussi, de l’aventure Toto. Une introduction nécessaire pour se souvenir d’où vient Steve Porcaro et pour installer son deuxième album The Very Day dans le phénoménal recueil des productions ayant un lien avec l’institution Toto. Ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est que ce nouvel effort solo possède exactement les mêmes qualités et les mêmes défauts que les produits de la maison mère, à savoir une réalisation sans faille pour des titres parfaitement calibrés, mais aussi, un ressenti un peu gênant, vis-à-vis de choses trop bien faites.
Alors, me direz-vous : « Comment est-ce possible qu’un tel musicien n’ait publié que deux disques solo à ce jour ? » La meilleure des réponses est de vous inviter à faire un tour sur son site et de parcourir l’impressionnante galerie d’albums auxquels il a contribué. La plupart sont très connus et touchent à peu près tous les courants de la musique populaire. Preuve d’une incroyable adaptation et d’un pedigree très recherché par les plus grands. Cela ressemble à une carte de visite de premier plan dont la principale conséquence est d’avoir laissé peu de place à une carrière personnelle. N’oublions pas que Steve Porcaro n’est pas seulement un excellent musicien, c’est également un songwriter de talent, en faveur de Toto bien sûr, mais aussi au bénéfice d’artistes de renommée comme Michael Jackson pour lequel il a écrit la chanson « Human Nature » que l’on retrouve sur le fameux Thriller de 1982. Voilà pour le personnage et pour ses implications pendant plus de quatre décennies sur la scène musicale de renom. The Very Day fait donc suite au fort honorable Someday/Somehow de 2016. Une première aventure en solitaire qui se distinguait par la présence d’un incroyable cortège d’invités prestigieux (Toto et autres). Et c’est exactement la même chose avec ce nouvel album qui se transforme en une réunion de gala au sein de laquelle se sont rassemblés collaborateurs et amis de longue date. Un tour d’horizon des onze titres du disque sera, à mon sens, le meilleur moyen de les passer en revue.

La musique de The Very Day est caractérisée par des tempos moyens, des arrangements luxueux et une production digne de Steely Dan, de Boz Scaggs et même d’Alan Parsons. C’est tout à fait ce que j’ai ressenti en écoutant « Marilyn », la chanson qui inaugure ce disque de fort belle façon. Le chant choral et les cuivres servent d’introduction avant que la mécanique ne se mette en action avec, entre autres, Steve Porcaro au chant, Shannon Forrest (chez Toto depuis 2014) à la batterie et l’incontournable Michael Landau à la guitare. « Marilyn » possède l’avantage (ou l’inconvénient) de dévoiler la teneur de The Very Day et ainsi de décider de continuer ou non l’écoute. C’était la même chose avec Toto et je connais bon nombre de personnes qui n’allaient jamais au-delà du premier morceau. Pourtant, la chanson « Marilyn » est chatoyante et possède un réel pouvoir de séduction émanant d’une rythmique sensuelle et d’une écriture vraiment inventive. Moi, j’accroche et donc, je continue. Bonne décision, car la suite s’appelle « Miss Jane Sinclair », un single qui avait carrément ensoleillé le paysage musical lors de sa sortie en avant-première en juillet dernier. On y reconnait l’habituel piano sautillant de Toto, la patte de l’ex-Chicago Jason Scheff à la basse et de magnifiques arrangements de cuivres évocateurs. On poursuit avec « Change » et le retour de Michael McDonald au micro. Décidément, après ses récentes retrouvailles chez les Doobie Brothers, cet immense chanteur semble vouloir se distinguer à nouveau. À noter sur ce titre la belle performance de Marcus Miller à la basse et la grosse claque des cuivres (une de plus) arrangée de main de maître par Jerry Hey (Toto, Earth Wind And Fire, Aretha Franklin…).
Après le court intermède intitulé « The EI » et magnifié par la trompette de Carl Saunders, c’est au tour de « Does It Really Matter ? » de déployer un bel arsenal musical où les claviers de Steve, la basse de Tim Lefebvre et la guitare de Marc Bonilla seront tour à tour mis à l’honneur. Morceau classique dans sa conception, mais très efficace dans sa réalisation. Du nouveau, on en a avec « Listen To My Heart » et le chant du copain Gardner Cole, lui aussi bien connu dans le milieu huppé des artistes des années 80 et 90. La balade se poursuit gentiment dans un climat qui repose et prouve que les vieilles recettes sont parfois celles qu’il nous faut. « Water From The Sky » ne révolutionnera rien, c’est certain, mais alors, quel feeling ! Marc Bonilla, qui en est le co-auteur, se fend d’un superbe solo de guitare qui rivalise sans peine avec les orchestrations démentes mises en place par Porcaro. Assurément, un des sommets du disque, dont le joli « Prelude », venant juste après, peut servir de conclusion. On constate que la diversité est de mise et que les différents vocalistes sont une aubaine pour ne pas tomber dans la routine. Concernant « 2x Lover » c’est Jude Cole qui s’y… colle (jeu de mots volontaire) avec son timbre velouté qui se fond à merveille dans la musique de son pote Porcaro. Il nous reste à voir « Tonight », une avant-dernière chanson illuminée par la surprise Tab Two. Tab, qui signifie trumpet and bass, voit son duo composé de Hellmut Hattler et de Joo Kraus donner un allant extraordinaire à ce morceau plein de charme et une fois de plus, sublimé par la voix de Porcaro (étrangement jeune pour un papy de 68 ans). La dernière étape s’appelle « Saints And Angels » et je peux vous dire qu’elle achève en beauté ce superbe album qui mérite amplement d’avoir une longue chronique. Ultime chanson et ultime casting de dingue. Jason Scheff au chant, David Paich aux claviers, Leland Sklar à la basse, Stan Lynch à la batterie et sans oublier la légende Lenny Castro aux percussions (sur cette chanson et sur tout le disque).

The Very Day, le second album solo de Steve Porcaro, est une incontestable réussite. Que vous soyez fans de Toto ou pas, la musique proposée tout au long de ces onze titres est d’une qualité telle qu’elle devrait séduire le plus grand nombre d’entre vous. Le savoir-faire n’est plus à discuter et l’envie de créer en toute liberté fait plaisir à voir et surtout à entendre. Dans ses récentes interviews, Steve Porcaro parle de ses obligations artistiques qui l’ont enfermé dans un travail collectif pendant de très longues années. Des exigences contractuelles qui lui ont permis de bien vivre, mais qui l’ont empêché de se positionner en leader et d’exprimer pleinement ses idées. Il explique par ailleurs qu’il est arrivé à un stade de sa vie et de sa carrière où il peut désormais s’extérioriser à sa guise. Et ce The Very Day faisant suite au Someday/Somehow de 2016 illustre parfaitement ce passage à l’air libre. Vous conviendrez que cela fait beaucoup de raisons pour l’accompagner et que cette délivrance permet de redécouvrir un talentueux personnage.