Steve Hackett – Darktown
Steve Hackett
Camino Records
En 1999, Steve Hackett mettait un peu de côté sa nostalgie post-Genesis et nous proposait avec « Darktown » son disque le plus éclectique, personnel, novateur et abouti depuis belle lurette ! L’album n’est pas vraiment progressif au sens stylistique du terme (rien à voir ou si peu avec son mythique « Voyage Of The Acolyte » datant de 1975), mais il se définit comme une oeuvre au son moderne, au départ difficile à apprivoiser, à la fois enfiévrée et atmosphérique, mais dont l’impact musical et émotionnel ne peut laisser indifférent. Le présent CD débute de la plus étonnante des manières, à la façon d’un « Vroom Vroom » du King Crimson de la même époque, un peu comme si le géant Tony Levin tapait le boeuf avec Robert Fripp sur fond de drummachine ! Aussi, « Omega Mecanicus », titre rythmique conçu à base de séquences et de riffs tordus, aurait pu dignement trouver sa place dans l’extra-terrestre « What’s Means Solid Traveller ? » du guitariste expérimental David Torn, publié 3 ans plus tôt. Etonnante entrée en la matière de la part de Steve Hackett !
On retrouvera plus loin dans le disque le même genre de distorsion tourmentée sur « Darktown Riot », avec sa rythmique quasi-industrielle et sa ligne mélodique flippante, pas loin de ce qu’on a pu entendre sur le cultissime « Morte Macabre », oeuvre cinématique dédiée aux vieux films d’horreurs italiens, cosignée par les géniaux frères scandinaves de Landberk et d’Anekdoten. Côté ambiance « gothique », le morceau titre de l’album, où la voix volontairement grave de Hackett (qui, pour une fois, s’en tire plutôt bien niveau chant) résonne comme une narration d’outre-tombe, n’est pas mal non plus! Le saxophone du comparse Ian Mc Donald rajoute une certaine touche d’originalité à cette chanson vraiment étonnante. Plus légères et sereines sont les ballades « Man Overboard » et « Days Of Long Ago », enveloppées dans des nappes de cordes symphoniques et des résonances de choeur céleste, où les incursions de guitare acoustique de Steve Hackett se font toujours délicates et précieuses.
La musique prend même une tournure carrément exotique avec le très latino « Dreaming With Open Eyes » et ses rythmes légers façon jazz-samba. Il ne manque plus que le grand Stan Getz pour finir l’illustration de cette petite perle nostalgique. Beau et assez inattendu ! Avant de conclure sur les deux merveilles du disque, je tiens tout de même à signaler la présence d’un « indésirable », à savoir l’insipide « Jane Austen’s Doer » (le slow de l’été 1999 ?) que le guitariste aurait aussi bien fait de laisser dans son placard à inédits. Et puis, mellotron légendaire et intemporel, quand tu nous tiens ! Il sera en effet difficile d’empêcher les 7 minutes de pure magie de « Twice Around The Sun » et sa guitare lyrique enrobée de nappes cosmiques de vous faire hérisser les poils sur les bras ! Et que dire alors de ce « In Memoriam » concluant l’album, avec son ambiance éthérée digne de « Epitaph » de King Crimson, dont la complainte langoureuse vous emmène définitivement au paradis, le vrai, avec le ciel bleu, les nuages et les anges pour seuls compagnons…
Voilà donc un disque comme je le disais plus haut, sans grande homogénéité de style, où Hackett laisse libre cours à l’expression débridée de sa créativité, ambitieux sur le fond, un peu moins sur la forme, surtout si vous étiez en attente de grandes envolées symphonique et plus typiquement « progressives ». « Dark Town » est une bien jolie collection de pièces musicales transpirant la sincérité et l’intégrité artistique, une oeuvre personnelle et originale qui ne nécessite pas l’emploi de gros déballages instrumentaux dans des pièces de 20 minutes pour vous faire vraiment décoller.
Philippe Vallin (8/10)
Site web : http://www.hackettsongs.com/