Radio Massacre International – Republic
Radio Massacre International
Centaur
Malgré un nom à coucher dehors (à moins de se contenter du sigle RMI, qui rappellera forcément quelque chose aux connaisseurs en claviers vintage), ce groupe anglais est apparu sur la scène internationale alors même que la Berlin School était mourante. Tout au moins devenue si discrète qu’on la croyait disparue ou réservée à quelques dinosaures aux cheveux grisonnants comme Ian Boddy, qui officie encore sur son label Din. Et voilà qu’au début des années 90, ce trio 100 % britannique (deux claviers et un guitariste à l’origine, voilà qui vous rappellera forcément quelque chose) vient piétiner les plates-bandes du dit trio le plus célèbre de la Berlin School historique et nous offrir avec ses premiers opus ce qui ressemble aux concerts que Tangerine Dream n’a jamais faits… mais qu’il aurait dû faire ! Les fans ne se tiennent plus, à l’apparition de « Frozen North », leur premier album chez Centaur, suivi de celui-ci, « Republic », qui suit le même schéma global ; une session studio ressemblant à s’y méprendre à un live oublié du « plus grand » TD, celui des années 70. Sur « Republic », ce sont trois longs titres dépassant les 20 minutes, bourrés de séquences au punch à tout démolir lorsqu’elles sont lancées. Malgré l’absence de la liste des claviers sur celui-là, on peut s’en tenir à celle de leur précédent opus (mêmes signatures sonores), et ce sont à peu de choses près ceux du TD des grandes années, qui ont culminé avec l’album live « Encore » : Moog, mellotron, Fender Stratocaster et quelques machines et séquenceurs plus récents (et sans doute moins capricieux !) mais qui gardent tout l’esprit et le grain des machines vintage, comme le séquenceur boutonneux Doepfer visible sur la jaquette.
A l’écoute, « Republic » est du pur Berlin School au développement classique : intros plus ou moins ambient avec nappes de mellotron bienvenues, quelques sweeps et bubbles dignes du mythique VCS3, puis arrivée en fanfare de la séquence musclée et assez obsédante, souvent plus percutante que celles de Klaus Schulze à la même époque, puis solos de Moog et/ou de Stratocaster où l’on retrouve ici et là ces gammes orientalisantes si chères au Dream des années classiques. Rien de bien original, pourrait dire qui a déjà vu et entendu le Dream en concert « tout analogique » avant 1980 (depuis lors, certains de ces concerts sont devenus disponibles dans différentes éditions, deux coffrets « Bootlegs Series » (le bleu et l’orange) de Sanctuary puis les « Bootmoon Series », et nous ne parlons pas de tout le reste, désormais facile à trouver sur Youtube !). Certes, ça y ressemble. Sauf que quand c’est aussi bien fait, on ne peut que s’incliner et en redemander ; les élèves ont rejoint les maîtres ! Par la suite, RMI conservera peu ou prou le même son (et le même arsenal de machines, ce qui va de pair,) mais s’essaiera à quelques albums plus soft ou ambient, tel le suivant, « Organ Harvest », qui délaisse souvent le séquenceur au profit de plages calmes et apaisées au tempo ralenti, mais avec toujours ce grain analogique si caractéristique. Ce qui est mille fois mieux que cet ambient au kilomètre de « nappes industrielles » au son formaté, digitalisé et uniformisé que nous concoctent depuis bien longtemps déjà certains groupes, sans se rendre compte qu’ils n’apportent rien au genre et le desservent souvent, faute de valeur ajoutée . Radio Massacre International, c’est autre chose, un grand retour vers le passé, et un clin d’œil hommage (pas forcément revendiqué, semble-t-il) au trio berlinois par qui tout est arrivé.
De fait, le précédent « Frozen North » et le présent « Republic » semblent ainsi répondre à la question muette de beaucoup de savoir ce qui ce serait passé si l’année 1975 n’avait jamais fini et que Tangerine Dream était depuis resté tel que dans « Phaedra », « Rubycon » et « Ricochet ». Une simple et plaisante uchronie, donc, que Radio Massacre International ? Allons, ne plaisantons pas. Radio Massacre International est avant tout un vrai groupe, avec sa personnalité et son histoire propre, histoire qui n’a d’ailleurs pas toujours été facile. Sachez que la formation, qui s’appelait encore DAS à cette époque, n’a pas mis moins de 12 albums sur bande avant que ne sorte enfin « Frozen North » qui lui-même a bien failli ne jamais voir le jour. Comme quoi il ne suffit pas de faire du Tangerine Dream aussi bien que Tangerine Dream pour avoir le même succès que Tangerine Dream. C’est aussi une affaire de persévérance sans faille. Pire, au départ le groupe n’avait carrément rien de rien. Il fallait qu’il emprunte un clavier ici et une table de mixage là. Ce n’est que peu à peu que l’argent est venu, en vendant des cassettes enregistrées du mieux qu’ils le pouvaient. Alors vous imaginez quand ils ont pu enfin sortir un album vrai de vrai, il y avait tellement de morceaux à mettre dessus que « Frozen North » a été tout simplement… double ! Mais ce qui a continué d’étonner avec « Republic », c’est le caractère extrêmement abouti de chacune des compositions, ou devrait-on parler d’improvisations ? Ben oui, messieurs dames, après tant d’années de trou noir discographique, ces gars-là ont fini par être encore plus entraînés au maniement des séquenceurs que Tangerine Dream à sa meilleure époque ! Et le mellotron n’a pas été en reste. C’est donc toute une bouffée de passé qui s’est rappelée à nous, quand sont sortis « Frozen North » et « Republic ». Et avec même les solos de stratocaster comme au bon vieux temps…
Mais encore une fois, Radio Massacre International n’est pas Tangerine Dream. Et, à bien y réfléchir, il n’est même pas sûr qu’ils n’aient jamais voulu qu’on les compare à eux. Certes, ces gars-là ont dû kiffer grave « Stratosfear », « Encore » et « Sorcerer », mais c’est surtout le climat de ces albums qu’ils ont retenu, l’étrange atmosphère qui s’en dégage et le plaisir exaltant de savoir qu’à partir de là tout est possible. Alors, ils y ont mis aussi leur âme, celle de chacun, afin qu’on sache bien que Radio Massacre International est un groupe d’aujourd’hui et non d’hier, et anglais qui plus est, pas allemand. En fait, il est presque dommage que « Frozen North » et « Republic » aient donné l’impression d’une resucée du Tangerine Dream d’antan, cela a dû empêcher beaucoup de s’intéresser à Radio Massacre International en tant que groupe unique et spécifique. En réalité, il faut écouter cette formation sur la longueur pour comprendre les subtilités de son style propre et accéder à l’univers intérieur de chacun des musiciens. La vérité oblige aussi à dire que la musique de Radio Massacre International est en règle générale bien plus apaisée et apaisante que celle de ses aînés. Comme si le temps avait pacifié les aspérités originelles de la Berlin School sans lui enlever sa puissance évocatrice. Il n’y a plus de combat ni de révolution à mener pour promouvoir la Berlin School. Il n’y plus à insuffler d’urgence dans les séquences ni de violence dans la cadence. Il n’y a désormais qu’à rêver au son du mellotron, porté par un tapis d’arpèges sorti d’un séquenceur. Radio Massacre International, le nom fait peut-être peur. Mais au-delà, quelle splendeur !
Jean-Michel Calvez & Frédéric Gerchambeau (9,5/10)
http://www.radiomassacreinternational.com/
Extrait de l’album « Frozen North » (1995) :
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