Paul Jebanasam – Continuum
Paul Jebanasam
Subtext
Quel est le rapport entre la dernière notification facebook et un laboratoire scientifique installé sous 500 mètres de roches dans le Vaucluse, où se déroulent des expériences sur les bruits parasites et la masse manquante de l’Univers, autrement appelée « la masse noire » ? Si l’humeur n’y est pas, rien, que dalle, nada, zéro. Néanmoins, de la plus petite parcelle d’un code désormais normatif et routinier à l’exploration de l’inconnu galactique, il est question d’informations traversant l’espace. Qu’elles soient physiques, numériques, parcellaires, cosmogoniques, spirituelles ou sonores, ces traces énergétiques (oui, une notification consomme et produit de l’énergie, même ça) parcourent la matière et le temps, interrogent et deviennent sources de fantasmes.
L’imagination. « L’ultime frontière » comme dirait l’autre. Celle de l’explosion d’une proto-galaxie au surnom arbitrairement mathématique et au goût de téléphone rose alléchant (UDFj-39546284), celle de la masse de l’univers dans un pop-corn, celle de formules incompréhensibles, de parasites électriques, de circuits intégrés, de mémoires vectorielles et historiques, de culture universelle ou pointilleuse. À l’humain d’y trouver sa place, même sur une notification désuète ou un tweet sonique. Bon, et la musique dans tout ce bordel, lecteur attentif ? Ici, on parle du dernier, nouveau et second opus du britannique Paul Jebanasam. D’origine Sri-lankaise, il a déjà conçu une œuvre intrigante et remarquée en 2013, que je n’ai pas vraiment écoutée, tout en étant le boss du label Subtext (qui a sorti des perles, tel le dernier Eric Holm). Mais les errements, aussi virtuels que personnels, peuvent tout aussi bien amener à un laboratoire souterrain du Vaucluse qu’à la découverte d’un album drone, ambient et électronique de toute beauté. Tout ça à la fois, si. Et Continuum de percer cette carapace.
Dedans, j’y vois des équations empiriques aux sigles compliqués. En plissant les yeux, j’y discerne résidus de vidéos, mises à jours et autres ébauches de commentaires codés. Mais aussi les partitions filtrées des grands maîtres de la musique classique, des microprocesseurs en surchauffe de complots extraterrestres, des drones accidentels, des glitchs intempestifs (à moins que ce soit du field recordings interne. Bonjour Autechre), des nappes cristallines d’un sas de décompression, VST et autres keygen téléchargés. J’y reconnais par là un fourre-tout de données perpétuelles, un grésillement sans fin, des instants de suspension dans une atmosphère reconstituée, des débordements contenus, des retournements d’intensité nébuleux avec ses pics et ses retombées poussiéreuses.
Continuum est tout aussi débordant qu’il se révèle calme et planant. Il perçoit la moindre particule d’activité magnétique du cerveau humain dans un terrain de jeu inaccessible autant qu’il consulte les références d’un trou noir lointain ou d’une mise-à-jour de profil immédiat. Il prend le tout comme le rien dans un tri faussement anarchique. En y tendant l’oreille, le petit devient inquantifiable et l’incommensurable subtilement ridicule. Joueur, espiègle et cependant mécanique. Et de son artificialité naît l’émotion s’extirpant d’une bouillabaisse chaotique. De sourire, encore moins qu’une esquisse. Intransigeantes, nébuleuses et cathartiques, les quarante minutes de cet opus sont indéchiffrables, jamais semblables et répétitives, le cortex se réajustant biologiquement à chaque écoute.
Une fois, je navigue dans des microcircuits, l’autre fois (ou en simultané), je vogue vers les anneaux de Saturne. La solitude et l’imagination comme compagnons de route. J’allume une bougie, seule source de chaleur. Peut-être y trouverais-je mon monolithe (aux senteurs de formiate d’éthyle, rhum et framboise). Maintenant, vous pouvez vous déconnecter…
Jéré Mignon
Paul Jebanasam – Continuum from Subtext Recordings on Vimeo.