Neal Morse – Lifeline
Neal Morse
Inside Out
Au début des années 90, un groupe américain a déboulé sur la scène progressive, soufflant un vent d’originalité et de technicité sans pareil : Spock’s Beard. Mené par un certain Neal Morse, la formation a révolutionné le rock progressif en proposant une synthèse ébouriffante de cette musique : maîtrise technique, suites épiques de 20 minutes, soli à tomber, compos ambitieuses. Et ce qu’elle a apporté de plus ? Le fun ! En effet, Neal et sa bande n’avaient qu’un mot d’ordre, et tout particulièrement sur scène : s’amuser. Et ce autant dans la musique, en s’échangeant les instruments, en ajoutant des sons rigolos ici et là, ou en se moquant d’eux-mêmes à la moindre fausseté, que dans les paroles, en faisant du grand n’importe quoi ou en multipliant les images absurdes. Quelques albums plus tard et le groupe se trouve porté en géant incontournable du genre progressif. Neal Morse devient alors un génie acclamé de tous, multi-instrumentiste surdoué et compositeur prolifique aux mélodies imprenables, écrivant absolument tout. L’escapade Transatlantic, avec Mike Portnoy de Dream Theater (qui jouera sur l’ensemble de ses albums solos), Pete Trewavas de Marillion et Roine Stolt des Flower Kings, parachève l’avènement du nouveau roi du prog. Et ce n’était pas sans compter Dieu dans l’affaire !
En effet, notre homme, au passé assez tourmenté, se trouve une voie dans le Christianisme qui le pousse à tout laisser tomber afin de porter la bonne parole. Exit Transatlantic et Spock’s Beard donc, au grand dam des fans et des musiciens des groupes sus-cités. Et là, c’est le drame, ou du moins l’incompréhension la plus totale. Neal Morse expliquera que son départ de Spock’s Beard était dû à son état de « born again » et que toute attache à son ancienne vie devait disparaître. Il n’empêche, son oeuvre solo est très proche de ce qu’il faisait auparavant. Mais avec les groupes disparaît aussi l’essentiel de l’esprit Spock’s Beard : le fun. Seule la musique, d’une maîtrise technique et mélodique exemplaire, a résisté à la folie des premiers jours. Question mark est un chef d’oeuvre hallucinant de grandiloquence maitrisée, certains passages de One et Sola Scriptura sont plus metal qu’un album entier de Dream Theater, et Testimony est un condensé de tous les styles maîtrisés par notre homme. Par ailleurs, Neal sort également 3 CD’s Worship Sessions où il clame son amour de dieu, ainsi qu »un disque folk, Songs from the highway. Neal est inspiré et donc toujours prolifique. Sa discographie progressive est sans faille mais il faut bien l’avouer, le dernier opus, Sola Scriptura, oeuvre conceptuelle puisant son inspiration dans les heures sombres du catholicisme, avait déçu car les morceaux n’étaient pas assez découpés, entendez par là qu’on les trouvaient en blocs de 15 à 30 minutes, ce qui n’était pas toujours évident à digérer. Mais aussi parce que l’ensemble était moins original, moins inspiré, avec quelques plans redondants, dans une ambiance très sombre et très sérieuse.
Puis vient ce nouvel album, Lifeline. Dénué cette fois-ci de concept central, ses 7 morceaux indépendants vont de la pop au rock progressif en passant par la folk country. Moins heavy et plus équilibré que les précédents, Lifeline montre aussi, que, grâce à la folie d’un titre comme Leviathan, Neal s’autorise à être moins austère, comme en témoignent aussi certains titres bonus du deuxième disque (une cover des Bee-gees est tout particulièrement hilarante !). Son style musical, reconnaissable entre tous, va donc un peu plus loin cette fois-ci. Peut-être est-ce dû au mélange des styles de ces précédents groupes, Spock’s Beard et Transatlantic, couplée à ses influences, Beatles en tête. Peut-être est-ce dû également au « relâchement », relatif il est vrai, de sa volonté d’évangéliser les masses. Du coup, Lifeline est un voyage musical empli de feeling et techniquement abouti, où l’auditeur pousse des « Oooooh » des « Ahhhh » d’admiration. Et pour les Anglophones, ils retrouveront d’inévitables citations bibliques sans être trop dérangés par les « Jesus » ou « Lord » trop encombrants dans les albums précédents. Un équilibre en somme entre religieux et… fun ! Cet album est un concentré de bonheur qui vous remet sur pied si vous avez un coup de mou. Et dire que ce n’est même pas remboursé par la sécu…
Fred Natuzzi (9,5/10)