Morbid Saint – Swallowed By Hell
High Roller Records
2024
Lucas Biela
Morbid Saint – Swallowed By Hell
Morbid Saint n’est pas un nom qui revient souvent quand on parle de thrash metal. Et pourtant, leur unique album, Spectrum Of Death, paru en 1989, est un des plus grands albums de ce style de metal. Nuançons le propos : « unique » jusqu’en 2015, quand les maquettes d’un deuxième album qui devait initialement voir le jour au début des années 90 ont été finalisées.
Je vois deux raisons au manque de reconnaissance que le groupe a connu. La première, c’est qu’à l’instar de Sepultura à l’époque de Schizophrenia, ce premier album est à cheval entre le thrash metal et le death metal naissant. Il ne ciblait donc pas un public qui ne jurait que par le thrash metal. Ensuite, ayant splitté rapidement après les démos de ce qui devait être leur deuxième album, le groupe n’a pas pu faire beaucoup parler de lui. S’étant néanmoins reformés en 2010, ils ont enchaîné les festivals (dont le Fall Of Summer en 2017, auquel j’avais assisté). Mais, à la manière de Coroner ou de Dark Angel, les fans restaient dans le flou quant à l’éventuelle sortie d’un nouvel album.
Morbid Saint ont donc devancé leurs camarades du trio suisse et du quintet américain. Avec leur nouvelle offrande, dès l’introduction du morceau d’ouverture, on comprend qu’on est invité à un festival de vitesse. En effet, galops soutenus, riffs rapides et agressifs ainsi que solos en pagaille, nous assaillent de toutes parts. Nous voilà cependant soulagés, nous sommes en terrain connu ! Côté voix, il s’est écoulé près de 35 ans entre Spectrum of Death et Swallowed By Hell. Le chant sur le premier album était assez unique. En effet, ces cris glaçants avec un côté maléfique qui donnait l’impression que Pat Lind subissait une séance d’exorcisme ou qu’il se retrouvait dans le corps d’une banshee ou d’une goule, c’était quelque chose qu’on entendait rarement dans le metal. Sur ce nouvel opus, le chant tire davantage sur les graves. On est ainsi plus proche de l’école allemande (Sodom, Destruction ou Kreator). Mais l’effet de terreur reste présent, la voix maintenant ce côté à la fois sinistre et démoniaque dans la hargne qu’elle distille. De la formation originale, outre le chanteur, ne restent que les deux guitaristes, Jay Visser et Jim Fergades. Ces derniers n’ont rien perdu de leur habileté, les riffs étant véloces et les solos percutants. Côté basse et batterie, les deux nouvelles recrues, respectivement Bob Zabel et DJ Bagemehl, ne semblent pas avoir un pedigree très important si l’on s’en tient aux biographies publiées sur Metal Archives. Cependant, leur performance est un sans-faute. C’est très professionnel sans être académique. Sur l’instrument à quatre cordes, on arrive à suivre les lignes de basse tout le long de l’opus, et on a même droit à ce fameux « clank » popularisé par DD Verni d’Overkill et qui ferait rougir de honte les producteurs du quatrième album de Metallica. DJ est certes agile dans la précipitation, mais on pourra noter qu’il y a des changements de rythme qui demandent une certaine adresse quand on est lancé à toute vitesse (l’hypnotisant « F#&K Them All» au titre très suggestif, ou encore l’indécis « Pine Tuxedo »). Pour rester dans les galops, le passage chez Morbid Saint de Bob et DJ constitue un bon galop d’essai, qui leur permettra sûrement de s’illustrer dans d’autres formations par la suite.
Après l’essai plus posé que fut Destruction System (la fameuse démo de 1992 qui a été « albumisée » en 2015), Morbid Saint reviennent à un style plus direct, celui-là même qui les a fait rentrer dans la légende. On aurait pu craindre un énième album de thrash metal « old school » comme on en voit sortir beaucoup, aussi bien chez les anciens que chez les plus jeunes. Mais la formation a su sortir la tête de l’eau et proposer un album avec une esthétique qui leur est propre. La voix a certes changé avec le temps, mais les intonations parviennent à faire passer un vent tétanisant, tandis que l’accompagnement musical revêt avec flamboyance les oripeaux d’un style qui a eu ses meilleures heures dans les années 80. Voici donc un album de thrash metal sans prétention, mais qui prouve que le temps n’est pas un obstacle dans la création.