Monoglot – Wrong Turns And Dead Ends

Wrong Turns And Dead Ends
Monoglot
Hout Record
2017

Monoglot – Wrong Turns And Dead Ends

Monoglot Wrong Turns And Dead Ends

Amis des culs-de-sac et des détours imprévus, bonsoir.

Avez-vous déjà eu le sentiment d’écouter quelque chose qui vous dépassait ? Ça m’était arrivé il y a très, très longtemps, dans une lointaine galaxie, celle de Frank Zappa, à l’aube de mes vertes années (tu n’es pas très vieux ce jour-là, crois-moi). Dans le doute, j’avais enregistré sa discographie sur des mini-cassettes, confiant qu’un jour je comprendrais ce qui s’y passe. Vingt ans plus tard, je pense que, globalement, j’ai fini par comprendre. Eh bien cette fois-ci, en découvrant Wrong Turns And Dead Ends de Monoglot, j’ai décidé de ne pas attendre aussi longtemps (j’ai vachement moins de temps qu’à l’époque, il faut dire…) pour prendre la juste mesure de la leçon d’humilité que ces musiciens de malheur m’infligeaient à chaque nouvelle écoute. J’ai même eu la chance de pouvoir être en contact avec eux pour écrire cette chronique et j’en ai profité pour leur demander quelques tuyaux, l’air de rien. Eh bien tu me croiras si tu veux, mais, même avec les explications, il y a  toujours des passages trop forts pour moi ! Perdre mon latin (ce qui est  quand même un comble pour des monoglots, quand tu y penses), a toujours été un état qui me ravit et provoque des sensations qui laissent souvent présager de meilleurs augures. Ceux qui ont la patience de me lire (et qui n’y sont pas contraints comme mon correcteur, « Salut Lucas »…) savent que me couper la chique est plus facile à dire qu’à faire. Qui sont donc ces barbares qui torturent le jazz au point de ne plus en reconnaître la mesure, au point d’en perdre le sens (moi qui suis, d’ordinaire, si mesuré) ?

Ils sont suisse, allemand et islandais, se sont rencontrés à Bâle où ils étudiaient le Jazz à l’université. Devenus un groupe en 2011-2012 (par là), depuis six ans, ils s’amusent à épuiser les bassistes. Cinq déjà. Et moi qui suis bassiste, je trouve ça très, très, très triste ! Je souhaite donc bon courage à Florian Keller qui manie, pour longtemps encore je l’espère, les basses fréquences sur cet album ! Ils ont sorti leur premier album en 2014 et les quatre autres musiciens mangeurs de bassistes sont : Fabien Willmann et Sébastian Von Keler aux saxophones ténor et soprano, Kristinn Smàri à la guitare et Lucas Glausen à la batterie. L’un d’entre eux aime la viande, trois autres sont végétariens et le dernier est vegan. Comment ça tu t’en fous ? Bon, très bien, j’enchaîne donc. Ils ont chacun des projets parallèles : Kristinn et Fabien jouent dans un autre groupe, Minua, Lucas a un projet hip-hop électro (https://lukeleloup.bandcamp.com/) et Sébastien va bientôt sortir un nouvel album, distribué par Hout Records qui est un label et un collectif de musiciens fondé par trois des musiciens de Monoglot parce qu’on est jamais mieux servi que par soi-même (https://tonhaufendeluxe.bandcamp.com/).

Monoglot Wrong Turns And Dead Ends band2

L’album est composé de six morceaux de bravoure. « Wake Up Song » est à mourir : a) de rire, b) d’incompréhension, c) de plaisir, d) de suffocation. 3 minutes 17 secondes de hoquet où tu oscilles entre rendre l’âme ou faire dans ton slip (tu y fais ce que tu veux cela dit, n’est ce pas ?). Le petit bijou est en 13/16, ce qui veut dire qu’ils glissent dans chaque mesure 13 double croches (tu tapes du pied à chaque fois que tu dis « 1 », tu va voir, c’est très bancal si tu restes régulier), genre 1234, 1234, 12345 (compte, y’en a 13)  ou 123, 123, 1234, 123 (compte, y’en a 13 aussi) etc. Tu n’as qu’à trouver d’autres exemples si ton voisin ne comprend toujours pas. C’est un peu comme si King Crimson rencontrait Gong et ensemble, décidaient de te faire une blague. D’ailleurs, même le titre est une blague parce que celui qui voudrait se réveiller avec ce morceau serait vite bon pour l‘asile. C’est connu, l’orgasme est court car le corps ne pourrait pas en supporter davantage. « Wake Up Song », c’est pareil.

C’est sans doute la raison pour laquelle « N192 », le morceau suivant, est en 4/4 (d’ailleurs « Route Nationale 7 » de Charles Trenet est également en 4/4). Très Gong « post-Daevid-Allen », la pièce se compose d’un accompagnement aux saxes sur trois notes legato, sur lequel est exposé un thème en duo guitare/basse qui va pas mal dans tous les sens pour le plus grand bonheur du chroniqueur. Suivra un cycle plus improvisé avant d’exposer le thème une seconde fois. C’est une structure très utilisée en jazz : thème, impro, thème mais l’esprit même de la musique en est radicalement opposé. Monoglot joue énormément sur cette antinomie tout au long de l’album et le terme de jazz-rock (jazz vs rock) a rarement décrit aussi bien une musique, à ceci près qu’il illustre généralement un style qui fusionne les deux genres alors que dans ce cas, au contraire, ils se neutralisent.

Monoglot Wrong Turns And Dead Ends band3

« Swing » est mon morceau favori, je crois. Ample, osé harmoniquement et rythmiquement. Le thème, globalement en 3/4 (tu te souviens que c’est la signature rythmique de la valse) avec des intrusions en 5/4, est sobrement exposé à la guitare puis aux saxophones. Kristinn nous offre ensuite, à la guitare et sur un lit de tierces aux saxophones, une dentelle mélodique faite de 7e, 9e, 11e  et 13e qui font frissonner les oreilles, et rappellent élégamment à l’auditeur, à l’instar de l’album de Terje Rypdal, After The Rain, que le paradis peut aussi se trouver sur la terre. Le thème est exposé à nouveau aux saxophones mais il est rapidement submergé par un marasme rythmique aussi soudain qu’inattendu, fait de quintolets (ce n’est pas moi qui l’aie trouvé, c’est un des tuyaux de Monoglot, parce que moi je n’y comprends vraiment rien, c’est délicieux). Le thème ne perd pas sa structure interne mais le nouvel environnement rythmique te fait perdre, en revanche, instantanément, le sens de la mesure et du temps, comme si le sol se dérobait sous tes pieds.

La plage suivante est poétiquement intitulée « Staphylocoque Doré ». Ai-je besoin de te faire un dessin ? Va falloir prévoir des antibiotiques (et de la « Biafine » contre les coups de soleil). La mesure est en 7/4 et l’ensemble est plus traditionnel que le reste de l’album. Plus traditionnellement progressif ou plus traditionnellement jazz en fonction d’où tu te trouves sur la plage : dans l’eau ou sur le sable. La deuxième partie évolue en 5/8 mais personnellement, je n’insiste pas trop pour éviter tout risque d’infection et enchaîne, non sans te faire remarquer à quel point les dernières notes de saxo rappellent à nouveau Gong dernière mouture (A propos, « Tu veux un camembert ? »)

La suivante s’appelle « Mess ». Et pas « mess », la traduction anglaise de pagaille, nooooooooon, Mess pour Messiaen. Qui l’eut cru ? Mais je ne connais sans doute pas assez bien l’œuvre de ce compositeur français de génie (Cocoricooooo). « Mess », donc, est  en 4/4, emberlificoté comme un thème pour teenagers de Zappa (genre « Black Page ») ou une phrase de Proust. Le tout flirte avec la polytonalité (c’est sans doute là où se trouve la référence à Messiaen) mais reste amarré aux canons du rock grâce à une batterie et une guitare bien carrées.

Monoglot Wrong Turns And Dead Ends band1

Avec « Coast », nos casseurs de genre nous offrent le premier véritable thème jazz – rock de l’album, qu’ils se font un plaisir de réduire en bouillie dès la trentième seconde du morceau. Ca vaut quand même le coup d’écouter attentivement la partie de basse, il tricote le Florian. La deuxième partie de la pièce inverse les rôles, la basse devient statique et c’est le saxophone qui tricote dans un pur style d’improvisation jazz mais encore une fois, utilisé de manière antinomique. (C’est qui qui joue de l’improvisation saxée ? mystèèèèèèère !)

  • « Tu reprendras bien un peu de bouillie pour finir ?
  • Avec plaisir, elle arrive à point nommé. »

« Sirens » ? Chouette, ils recommencent !! Et le comble c’est qu’il paraît que c’est en 4/4 (oui oui, exactement,  comme « Route National 7 » de Charles Trenet). Eh bien moi, même avec le mode d’emploi, je mange mon chapeau !

  • « Qu’est-ce qu’il est fort ce morceau ! (Non, je ne parle pas la bouche pleine, je viens juste de finir d’avaler mon chapeau). »

Les deux saxes se partagent une mélodie complètement débridée et fragmentée, un peu à la manière de Belew et de Fripp avant qu’ils ne se fâchent, sur une section rythmique complètement « fucked up » (je cite les compositeurs, je ne me serais jamais permis une telle familiarité). Tu sais ce que c’est qu’un « tuxedo » ? Bin, c’est le nom qu’utilisent nos amis les Yankees pour parler d’un smoking. En fait, à l’origine, « Tuxedo » c’était une boite à New York ou les clients venaient super bien habillés… Ah tu t’en fous aussi ? Très bien et puis de toute façon dans ce morceau il y a un peu de tout ce dont je t’ai parlé avant, mais en plus poli. Ils ne peuvent pas toujours jouer les pourfendeurs/arracheurs de dents nos petits génies, alors j’enchaîne.

« Suna Rosa » ? Ca y est, ils recommencent. Hmmmmmm, que c’est bon !! Ce morceau est complètement barré rythmiquement mais tellement délicat et élégant. Cette fois-ci, c’est la partie de batterie qui me laisse sur les fesses en m’en bouchant un coin (y’a d’ailleurs certainement une relation de cause à effet…). Non mais écoute ce qu’il fait le Lucas, à partir de 1:20, en jouant avec les polyrythmies, il te donne l’impression d’accélérer et de ralentir, je ne crois pas avoir jamais entendu un truc pareil. Ces gars sont aussi précis que des montres suisses au point qu’ils peuvent même se permettre de donner l’impression d’une irrégularité métronomique, sans que cela ne devienne cacophonique (ni pathétique ou gymnastique sans être critique ou euphorique). Bref, « La vaFFe quelle baCHe !! » Et en plus, autour de cette prouesse rythmique, ce que font les saxophones et la basse, est vachement beau. Pour conclure le morceau, l’album, et garder toute l’homogénéité de la pièce, notre quatuor conserve dans la partie finale, les notes scandées en forme d’ostinato mais jouées dans la détente, alors que la guitare s’étale et s’étiole en magnifiques notes ténues là où la basse avance épuisée, toujours harmonique et mélodieuse, jusqu’à l’accord majeur où tout le monde se retrouve et se met d’accord. Ça serait si bien si nous pouvions faire la même chose en politique et finir par nous mettre d’accord. Malheureusement, la musique reste pour le moment le seul langage où tout le monde est Monoglot. Quoi qu’il en soit, moi qui vis au pays de la « Trumpette » bouchée, je peux t’assurer que ça fait du bien d’entendre un peu de Saxophone.

Pascal Bouquillard

http://monoglot.net/

www.facebook.com/monoglotband

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