Marillion – Radiation 2013
Marillion
Madfish
Quinze ans après « Script For A Jester’s Tear », Marillion s’est fendu, à l’automne 1998, d’un nouvel album studio qui en a laissé plus d’un perplexe. Le groupe a en effet opéré un grand nettoyage de printemps dans son abécédaire mélodique, délaissant en grande partie le progressif alambiqué de ses débuts au profit d’un rock musclé enfanté dans le sillage des Radiohead & co, à l’aise dans son époque et dans ses baskets. « Radation » est en effet, en dépit d’une production déplorable, furieusement rock. Electrique et éclectique, cette nouvelle cuvée a renvoyé dans leurs 18 mètres tous les journalistes qui ne voulaient voir dans le club des cinq qu’une formation vouée à la casse. Là où certains combos (ils se reconnaîtront) se contentent de ressortir le même album tous les ans, la bande de Steve Rothery a toujours fait preuve d’un courage exemplaire. Vous en connaissez beaucoup, vous, des groupes qui n’ont eu de cesse de se renouveler et d’explorer en permanence de nouveaux horizons, quitte à se mettre à dos une partie de leur public ? La démarche était, à notre sens, suffisamment rare pour être signalée. Mais entrons dans le vif du sujet sans plus tarder.
Après un « Costa Del Slough » évoquant le Queen le plus délirant, le combo ouvrait le bal avec le carton « Under The Sun ». Guitares agressives, rythmique en béton et chant habité constituaient les ingrédients de cette cuisine rock qui arrachait la gueule ! Et oui, Marillion avait la patate et l’ami Rothery, plutôt discret et bien davantage acoustique sur « This Strange Engine« , signait ici son retour en fanfare. Le niveau baissait de plusieurs crans, hélas, avec « The Answering Machine » dont la mélodie celtisante était, la faute à Erik Nielsen, totalement gâchée par des effets vocaux rapidement prise de tête. Après cette plantade de taille, la machine se remettait en route avec le classieux et désormais classique « Three Minute Boy », son introduction façon Beatles, son break de guitare explosif et son crescendo final impeccable. Direction ensuite « Now She’ll Never Know », sur lequel la voix frissonnante de h déroulait, au dessus de la guitare acoustique de Pete Trewavas (et oui !) un tapis mélodique poignant, pour un résultat éthéré proche du meilleur Talk Talk de Mark Hollis.
« These Chains », le premier single extrait de l’album évoquait, pour sa part, le gratin de la Brit Pop anglaise (Radiohead, The Verve) et ouvrait la voie à « Born To Run », un blues aussi soporifique qu’un discours de feu Fidel Castro. La fin du disque nous offrait deux longues pièces montées, riches en calories et en émotion. Là où « A Few Words For The Dead » renvoyait aux envolées world music de l’immense Peter Gabriel, « Cathedral Wall » prolongeait les délires telluriques de « Goodbye To All That » et « King ». Ce titre fou furieux s’imposait déjà comme un must absolu du gang d’Aylesbury.
Inclassable, intriguant et surtout (c’est là l’essentiel) habité par un esprit authentiquement rock, « Radiation » constituait un bon album, hélas plombé par une production sans relief ni saveur, évoluant à l’extrême limite du hors jeu. Tout le mérite de Michael Hunter est, du reste, d’avoir donné une nouvelle jeunesse à cette œuvre, grâce à un remix du feu de dieu fraîchement édité dans un classieux digibook double CD, avec un nouvel artwork et un livret augmenté, édition qui contient également pour les puristes la version d’origine (à moins d’être un collectionneur fanatique, vous pouvez donc revendre sans regret votre vieille galette parue en 1998). Car le lifting sonore dont bénéficie « Radiation » aujourd’hui tient du miracle, et ce travail d’orfèvrerie extraordinaire signé par le producteur de « Sounds That Can’t Be Made » ne nous propose ni plus ni moins qu’une totale redécouverte de ce disque mal aimé !
Exit le rendu musical terne et sans aucun relief dû à un mixage brouillon, bâclé, et réalisé sans passion ni talent. Ici, le son est tout bonnement énorme, boosté aux amphétamines, les basses sont profondes, les voix claires et limpides, chaque instrument est enfin mis en valeur et se distingue admirablement du lot. On se surprend même à découvrir des sonorités inédites (une partie de guitare par ici, un nouveau bruitage par là, des refrains appuyés à grand renfort de dédoublements vocaux ou de nappes de claviers « additionnelles »…) qui nous semblent avoir été ajoutées suite à un réenregistrement de l’ouvrage en studio, alors qu’il n’en est rien.
Au final, le décrié « Radiation », dans sa version 2013, bénéficie enfin de la splendeur et majesté qui lui faisaient tant défaut sur la forme, pour mieux en révéler le fond. Et l’album peut s’apprécier enfin à sa juste valeur, à savoir une œuvre osée et moderne, qui inaugurait discrètement la période « post-prog » de Marillion, un collectif de musiciens en constante exploration créative depuis le début de sa longue carrière. En 2013, « Radiation » est un album enfin réhabilité, auquel il serait grand temps que les fans (et les autres) donnent une seconde chance, largement méritée. En ce qui nous concerne, l’enchantement est à la hauteur de la surprise, vous l’aurez compris !
Bertrand Pourcheron & Philippe Vallin (8/10)
Voilà une bonne nouvelle, en fait deux! d’abord l’envie de défendre (j’en faisais partie à l’époque) cet album à l’époque massacré, conspué, honni, insulté, vomi par tous mes camarades
marillionophiles, tous pavloviens dans leur rejet instinctif de l’inconnu, du hors norme, de ce qui ne flattait pas leur attente en mal de copier-coller…Fou, dégénéré mental que j’étais, à
vouloir défendre une bonne moitié au moins des compos, et de saluer le renouvellement artistique de Marillion, dont le groupe a tant su faire preuve,et ce jusqu’à ajourd’hui fialement!!! On aime
Marillion ou pas, on les suit ou non, mais il est impossible d’ignorer la démarche hautement artistique de ces cinq anglais. Rarement, sauf chez les très grands (Bowie en tête) une oeuvre
aura touché à tant de styles, d’univers, et de productions, même si pas toujours avec bonheur, ou pas toujours visionnaire… Alors si en plus ce disque nous revient transfiguré dans sa forme (et
non le fond évidemment), et rend enfin pleinement justice à son répertoire, réjouissons-nous-en! Merci donc pour l’article.
Merci beaucoup Chfab pour ton chouette commentaire, ton analyse, et ta vision du groupe qu’on partage pleinement à C&O ! 😉
Mais tout le plaisir est partagé! Je suis très content d’avoir découvert ton site, cher Philippe, je le trouve très soigné, très complet, et dans l’ensemble très pertinent! Et puis ça me change
des grosses machines; Prog Archives, Chromatique (que j’apprécie bcp d’ailleurs!), Music Wave, Amarock etc… Je suis moi-même chroniqueur chez Progressive Area, et je fais également de la
musique, sous le nom de « Micro Mégas », pour un progressif oscillant entre passé et présent, et sous le nom de « Chfab », pour des chansons art rock, tous deux présents sur mes pages facebook, dont
voici l’adresse: fabrice.chouette@facebook.com
j’ai également un compte soundcloud, sur lequel il te suffirait de t’inscrire (une adresse mail, un mot de passe…) afin d’approfondir ton écoute, étant donné que plusieurs albums sont déjà mis
en ligne… bref, j’ai besoin de soutien car mon travail est encore absolument inconnu… Si tu aimes, parles-en à tes collègues , amis, ou ennemis si tu n’aimes pas!… Alors à très bientôt!
ps: si tu as un facebook, n’hésite pas à me le communiquer, un perso et celui de ton site!
à bientôt!
Fabrice/Chfab/Micro Mégas