Kessoncoda – Outerstate

Outerstate
Kessoncoda
Gondwana Records
2024
Thierry Folcher

Kessoncoda – Outerstate

Kessoncoda Outerstate

Lorsque les émotions musicales tardent à venir satisfaire nos oreilles exigeantes, il ne faut pas hésiter à aller faire un tour chez Gondwana Records. C’est le genre de visite qui permet de repérer de belles sorties et, pourquoi pas, de nouveaux talents. Tous ces jeunes poulains qui viennent enrichir l’écurie de Matthew Halsall sont rarement quelconques et trouvent souvent une écoute de choix auprès des amateurs d’électro-jazz contemporain. C’est ce qu’il se passe avec les londoniens de Kessoncoda dont le premier ouvrage intitulé Outerstate vaut vraiment la peine que l’on s’y attarde. Un album étonnant dont les dix titres explorent un univers sonore bien connu du label mancunien. Il s’agit de ce fameux spiritual jazz, qui peut être aussi minimaliste que richement décoré de beaux arrangements électro-symphoniques. Mais qui se cache derrière ce curieux patronyme ? Kessoncoda c’est Thomas Sunney aux percussions et Filip Sowa aux claviers, deux jeunes musiciens qui font preuve d’une réelle maîtrise d’écriture et d’interprétation. La grosse demi-heure (c’est le tarif vinyle actuel) d’Outerstate passe comme un rêve et se partage entre rythmes pleins d’allant, atmosphères brumeuses et séquences mélodiques de toute beauté. Alors, c’est vrai que la pochette ne rend pas hommage à la richesse de la musique. Il faut juste la voir comme une mise en conformité avec la charte graphique (assez minimaliste) voulue par les frères Halsall. Et même si ce n’est pas forcément beau, c’est à coup sûr le meilleur moyen de créer une identité reconnaissable au premier coup d’œil. Une façon de procéder assez courante, que l’on retrouve par exemple chez ECM ou No Format.

Je suis d’accord, ceci n’est qu’un détail, mais cela permet de nous rappeler où se situent les priorités. À l’honneur donc : la musique. Et c’est bien là l’essentiel. Avant de continuer, je ne peux m’empêcher de comparer Kessoncoda aux Danois de Svaneborg Kardyb, eux aussi pensionnaires de Gondwana Records. Il y a effectivement certaines similitudes dans les attitudes et dans la manière de jouer (la dualité batterie/claviers, par exemple), mais c’est vraiment tout, car les ambiances et les intentions ne sont pas du tout les mêmes. Surtout par rapport aux origines des deux duos. D’un côté, ce sont les influences pastorales du jazz nordique que l’on ressent et de l’autre, c’est plutôt l’empreinte londonienne qui domine. J’en veux pour preuve « The Sum Of All The Parts », le premier morceau d’Outerstate qui nous ouvre la porte du monde troublant de Kessoncoda. L’atmosphère est lourde et les vocalises de Caoilfhionn Rose rendent la partition plutôt étrange et oppressante. Ici, on est très loin de la légèreté insouciante et pleine de gaité du duo danois. « The Sum Of All The Parts » démarre donc doucement et de façon assez craintive, avec en toile de fond un mal-être né des confinements passés et du repli sur soi. Le titre Outerstate fait ouvertement référence à cet état de névrose qui pousse les gens à s’extraire de tout lien social. Cela n’empêche pas la musique d’être belle et bourrée de sensibilité. Les notes nous effleurent tendrement à la manière d’une plainte communicative qui ne s’effacera qu’avec le réveil des percussions. Morceau très (trop) court laissant une part de frustration vite compensée par « Greyscale » qui enchaîne juste après. Si l’on excepte une coupure perturbante dans les premiers instants, ce second titre nous fait véritablement découvrir le groupe.

Kessoncoda Outerstate Band 1

Sur « Greyscale » on remarque aussitôt la place assez lointaine du piano, un peu comme si on l’avait installé au fond d’une pièce. Et c’est cette captation insolite qui rend l’atmosphère si intime, voire tristounette. Apparemment, c’est dans un hangar au fond du jardin de Thomas que l’album a été enregistré, ceci explique peut-être cela. La voix de Caoilfhionn Rose est toujours là dans son registre plaintif, mais la musique reste attractive et assez bien rythmée. Sans vouloir donner plus d’importance à l’un qu’à l’autre, je pense qu’il faut remercier Thomas Sunney de secouer par moments les dérives nonchalantes de Filip Sowa. Cette alchimie particulière entre les deux amis aboutit à un savant mélange d’ambient et de jazz qui fait tout le charme de ce disque. Par ailleurs, le monde du 7ième Art est sans cesse effleuré ou même carrément présent, à l’image des bruitages de « Talk To Me I’m Sleeping », un court intermède sur lequel Siân O’Connor chuchote quelques mots lointains. En fait, ce sont aussi ces rencontres impromptues et cette diversité qui rendent Outerstate si attractif. Ce n’est pas grand-chose, mais le saxophone de Jasmine Myra sur « Dreambend » est tout sauf anecdotique. Dans un emballage où le piano et la batterie donnent avec régularité la coloration et le tempo des morceaux, ces ajouts venus d’ailleurs sont vécus comme autant de petites bulles décoratives absolument indispensables. C’est notamment le cas des synthés qui enrichissent merveilleusement chaque morceau d’une draperie aussi soyeuse que bien portée. Pour finir, je vous recommande « Reverie » et « Amaya » les deux derniers titres qui accélèrent la cadence dans une euphorie proche de l’extase et qui mettent en avant l’extraordinaire maîtrise des deux instrumentistes.

Kessoncoda Outerstate Band 2

Kessoncoda, Svaneborg Kardyd, Caoilfhionn Rose, Jasmine Myra, Hania Rani ou Portico Quartet, tous ces artistes font partie de la famille Gondwana et croyez-moi, leur approche musicale est plus que séduisante. Je ne saurais trop vous inciter à ouvrir la porte de leurs univers et d’en franchir le seuil sans retenue. Aujourd’hui, c’est Kessoncoda et son superbe Outerstate qu’il m’ait offert de partager, mais demain, je pense que je reviendrai avec Constellation de Caoilfhionn Rose et pourquoi pas avec le deuxième opus de Svaneborg Kardyb qui s’annonce pour très bientôt (il devrait même être sorti quand cette chronique paraîtra). Je suis peut-être un peu exclusif, mais lorsqu’un bon filon est proposé avec autant d’attraits, il serait bien dommage de ne pas en profiter. À bientôt donc chez Matthew Halsall et sa belle constellation d’étoiles.

https://kessoncoda.co.uk/

 

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