Katie Melua – Live At The Royal Albert Hall
BMG
2024
Thierry Folcher
Katie Melua – Live At The Royal Albert Hall
À l’époque de Piece By Piece (2005), la voix de Katie Melua brillait sur toutes les ondes et dans de nombreux foyers devenus subitement, beaux et accueillants. « There are nine million bicycles in Beijing, that a fact… », ces premiers mots de « Nine Million Bicycles » ont durablement marqué les esprits et lorsque Katie les entame sur scène, le public ne s’y trompe pas et réagit avec ferveur au bon souvenir de cette chanson d’amour qui semble ne jamais devoir vieillir. La magie d’une chanteuse au timbre clair et reconnaissable qui suit son bonhomme de chemin en drainant derrière elle une belle cohorte de fans, toujours autant attachés à son univers simple et unique. Quel bonheur de réentendre ces chansons d’autrefois, parfaitement intégrées au Love & Money Tour de 2023 qui faisait la promotion de son dernier album studio. Une tournée, au cours de laquelle ce Live At The Royal Albert Hall fut enregistré et qui fêta les vingt ans d’une carrière au service de la pureté, de la douceur et du talent. Quelques mots pour rappeler que Katie Melua est née en 1984 en Géorgie (ex-Union Soviétique), qu’elle s’est installée au début des années 90 en Irlande puis en Angleterre et que son parcours artistique, né de la rencontre avec le producteur Mike Batt déboucha sur un succès immédiat, pour ne pas dire fulgurant. Son premier album Call Off The Search, sorti en 2003, atteignant directement la première place des charts britanniques. En très peu de temps, la toute jeune Katie est devenue une valeur sûre du paysage musical anglo-saxon et a complètement affolé le monde des chanteuses populaires du moment.
Il faut savoir qu’elle écrit ses propres chansons (paroles et musique), mais qu’il lui arrive aussi de partager son savoir-faire ou même de chanter celles des autres, Mike Batt en tête. Une diversité d’écriture bien utile qui évite la redondance ou le manque d’inspiration. Son style, un peu comparable à Norah Jones, est basé sur des ambiances soft aux évidentes touches jazzy mettant en avant la beauté d’une voix à l’exceptionnelle personnalité. À présent, qu’en est-il de ce nouveau disque live sorti en fin d’année dernière ? Côté musique, c’est parfait, mais dans la forme, il y a beaucoup à redire. En effet, même si les applaudissements sont bien présents, à aucun moment, on a l’impression de revivre une authentique prestation live. Il n’y a pas de continuité, le fractionnement des morceaux est choquant et, à l’exception des remerciements inclus dans l’ultime « Those Sweet Days », les interventions parlées de Katie ont carrément été supprimées. Pourquoi ? Un problème de place pour les vinyles ? C’est possible. Une volonté artistique ? Cela m’étonnerait, surtout pour un concert anniversaire qui du coup devient froid et sans âme. Je suppose, par ailleurs, que « Call Off The Search » et « I Cried For You » étaient des rappels, car à l’écoute du disque, rien ne le laisse supposer. Le plus surprenant, c’est que dans ses commentaires, Katie insiste sur la grande différence entre un enregistrement studio et une prestation sur scène. À partir de là, l’adrénaline dégagée par les sensations uniques du spectacle vivant aurait dû se faire ressentir. Malheureusement, il n’en est rien. Comme pour se justifier, elle souligne aussi que rien n’a été retouché et que le concert est exactement celui du 16 mai 2023, joué du début à la fin. Honnêtement, je ne comprends pas et si d’aventure quelqu’un possède la raison de ces froides coupures, je serais heureux de l’apprendre.
Quel dommage ! Mais ce triste constat ne doit pas rebuter les sceptiques et entacher le bonheur de réécouter vingt-et-une des plus belles chansons de Katie Melua. La présentation en format livre du double CD est réussie, les photos intérieures sont splendides, les annotations intéressantes et les crédits, toujours très utiles. Rien à redire sur ses quatre musiciens (dont son propre frère Zurab à la guitare), tout aussi compétents que respectueux de la belle diva (à quarante ans, on peut le dire). La setlist balaye allègrement sa carrière, à commencer par les anciens « Tiger In The Night » et « The Closest Thing To Crazy », deux superbes titres de Mike Blatt issus de son premier album. On retrouve bien sûr « Nine Million Bicycles » de Piece By Piece, le passage obligatoire par « Wonderful Life » de Colin Vearncombe (a.k.a. Black) et pas moins de sept chansons tirées de Love & Money, son dernier et très bel album de 2023. À l’honneur, le remuant « Quiet Moves » qui fera lever la foule et certainement déclencher un « thank you » final fort compréhensible, mais qui malheureusement ne viendra pas (en tout cas, pas sur le CD). De Love & Money, j’aime aussi « Pick Me Up » au refrain plein de gratitude et au délicat enrobage musical. Sans oublier « 14 Windows », dédicacé au psychiatre (décédé depuis) qui l’a sortie de la dépression en 2010. Au rayon des moments forts, j’ai particulièrement bien aimé les interprétations du très beau et nostalgique « Plane Song » que l’on retrouve sur In Winter (2016), de l’entraînant single « A Love Like That » de Album N°8 (2020) et du sensible « Red Balloons » de The House (2010).
Voilà rapidement résumé ce fameux live anniversaire auquel je ne peux entièrement souscrire. Je m’intéresse à la carrière de Katie Melua depuis ses débuts et je ne pense pas qu’elle méritait cette réalisation plus ou moins tronquée de son passage au prestigieux Royal Albert Hall de Londres. La qualité de sa prestation n’est pas en cause, loin de là, mais à trop vouloir rogner sur les minutes pour d’évidentes questions de gravure, on en arrive à un véritable sabotage de son travail et de son talent. Un manque de discernement, un peu à l’image de sa magnifique robe de soirée, totalement gâchée par de grosses baskets blanches, pas du tout à leur place. Des fautes de goût vraiment incompréhensibles et évitables.