Hildur Guðnadóttir – Leyfðu Ljósinu
Hildur Guðnadóttir
Touch
Quand j’y pense, j’ai découvert cet album en deux fois. Oui, car à l’écoute de ce disque, je me suis rendu compte que j’avais déjà entendu Leyfðu Ljósinu, mais sous un autre nom, et dans des conditions particulières. Si vous voulez le savoir, lisez le live report du Festival Présences Electronique, tout en bas (consultable ici). Comprenez, première écoute (en live donc) la pièce se nomme « Haloes », sur disque, ça se transforme en « Leyfðu Ljósinu ». Je pourrais faire un copié-collé de feignasse, mais chaque chose à sa place et son temps. Je préfère mettre un avis plus posé et réfléchi maintenant que j’ai avalé et digéré cette pièce. Hildur Guðnadóttir, je n’apprends rien, fait partie de ces personnes dont on tombe instantanément amoureux. On se demande pourquoi, mais on se trouve comme attiré par sa musique tel un enfant hypnotisé par un nuage qui change de forme. C’est cette simplicité de contact qui fait qu’on entre, si facilement, dans le monde de l’Islandaise. Et pourtant, il faut être amateur de « modern classical », ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Je ne vais pas vous refaire une biographie de la demoiselle. Après tout, checkez vous même sur le net (et ce n’est pas pour économiser des lignes de textes) car cet album, celui-là, ne demande pas de documentation ou d’approche préalable. Il demande juste notre attention, aussi tenue soit-elle.
Il suffit de peu, vraiment peu, pour être réceptif à « Leyfðu Ljósinu ». Pensez que Guðnadóttir prend des risques. Une performance, enregistrée telle quelle (bien que l’album soit découpé en deux parties), sans effets rajoutés que le matériel utilisé, sans public. Une mise à nu des sentiments de l’Islandaise et de sa musique sur quarante minutes. Si les quatre premières se révèlent être une introduction classe et sans « surprise » (j’insiste sur les guillemets), la suite en est plus aventureuse. Traitement subtil du violoncelle (delay, reberb), répétition de motifs vocaux angéliques, composition sur le grain et l’espace montant crescendo jusqu’à ne plus nous lacher. Bref, une démonstration simple dans la forme, mais qui tire dans sa progression vers une abstraction faite de couleurs et d’éléments mouvants qui, oui, devient magnétique. Ce qu’on ressent en premier, c’est de la timidité dans la musique de Guðnadóttir. Pas maladroite, loin de là, mais la sensation que la violoncelliste se rend attendrissante et touchante dans ses coups d’archets. C’est une confrontation entre elle et son instrument, mais aussi avec son public potentiel et ses questionnements intérieurs. Résultat, c’est bel et bien son ressenti que nous touchons, les sens en éxergue, presque honteux d’approcher de manière si importune les sentiments et interrogations de l’Islandaise.
Et pourtant, on suit le déroulement, on note toutes les variations tonales qui s’empilent, se rapprochant par là d’une musique drone, fine, éclatante et manifeste. Ce chant éthéré émerveille, l’investigation graduelle de l’espace sonore retient notre souffle. On se tait et on laisse transporter comme si on nous prenait la main. D’une obscurité sourde un raie de lumière surgit. Celui-ci est rejoint par une montée de tension. Cette distention qui se renforce, seconde après seconde, minute après minute, nous empêchant de faire marche arrière. Décuplant ses forces, le violoncelle en devient immatériel, illusoire même. Cet instrument est juste la prolongation, la connection entre l’Islandaise et le monde. Ce n’est plus une performance mais une invitation… Celle qui nous fait voyager, réfléchir, sentir, éxalter, vivre… L’auditeur, lui, tourbillone, se détache progressivement de son corps, écrasé par le poids de la création et le final marquera surtout une frustration. Le regret de la note finale, celle qu’on se refuse d’entendre, de ce qu’on refuse d’interpréter (on remarquera le temps séparant le dernier son et la fin effective du disque).
On n’explique pas « Leyfðu Ljósinu ».
On le vit.
On le crie.
On le respire.
On autorise la lumière…
(L’extrait vidéo montre la fin du concert de la violoncelliste au festival Présences Electronique. C’est une version légèrement différente, aux basses plus présentes et spatialisée par l’Accousmonium. Et puis, je ne pouvais m’empêcher de vous montrer ceci !)
Jérémy Urbain (10/10)
Site web : http://www.hildurness.com/
sublime