Fragile – Without A Fight
Handle With Care
2017
Fragile – Without A Fight
Fragile ! C’est drôle, quand on nous a proposé de chroniquer ce groupe, j’ai d’abord souri… Un souvenir me ramenait aux années 90, durant lesquelles je faisais partie d’un groupe portant le même nom. Le combo d’alors devait son nom à mon amour pour Yes, même si la musique était plus influencée par le Marillion époque Fish. Mais des groupes qui s’appellent Fragile, il y en a beaucoup (d’ailleurs, les Lyonnais de Fragile ont sorti cette année leur quatrième album…). On reste quand même surpris qu’à l’ère d’Internet, une ambigüité puisse demeurer sur les patronymes des artistes (hors noms propres, évidemment).
Fragile, de Bordeaux celui-là, rime avec le chiffre 2. D’abord, parce qu’il s’agit en fait d’un duo constitué de David Dupuy (chant, piano et batterie) et Mathieu Pittet (guitare et basse). Ensuite parce que la dualité du chant, tantôt en anglais, tantôt en français, semble résulter d’un choix assumé. Aussi, parce que le duel est également un aspect singulier de Fragile, comme l’illustre la vidéo de « Without A Fight You Die », composée d’un montage d’images du légendaire combat de boxe Ali-Foreman (Kinshasa, 30 octobre 1974).
Enfin, visuellement, que ce soit la vidéo susmentionnée, la belle illustration de la pochette ou encore la photo promotionnelle ci-dessous (crédit photos : Alexandre Garreau © 2017, tous droits réservés), tout participe de la signification ésotérique du 2, à la fois symbole de l’union et d’une certaine alliance – même des contraires, ce qui induit, justement, une certaine forme de… fragilité – encore renforcée par le nom de l’association qui produit l’album : Handle With Care !
Cette dichotomie conflictuelle de Fragile est établie sur Without A Fight dans l’alternance légèrement déséquilibrée des titres en anglais et en français (à savoir [instrumental]-2a-4f-2a-[instrumental]-2f-1fa). L’instrumental intitulé « Sans Visage » marque bien cette disparition de la représentation du duo, sans que la tension latente soit résorbée – comme il en est dans le clip de « Je Cours » avec la multiplicité de personnages interprétant les musiciens. Tout comme l’autre instrumental, « Sixty Nine » qui introduit l’album, exhale cette tension à son paroxysme – tout comme il nous fait comprendre pourquoi le mixage a été confié à Joe Barresi (Queens Of The Stone Age).
À la première écoute, on est surpris par les changements de langue qui correspondent à autant de changements de style (ou presque). Car après l’intro éruptive, Fragile nous sert deux belles réussites anglophones : « Either You Or Me » et sa superbe montée en puissance, « Without A Fight You Die » et sa scansion répétitive et nerveuse. Et puis, d’un coup, retombée avec le très court « Un Par Un » (0:52), interprété piano-voix et qui fait immanquablement penser à d’autres Bordelais – ceux de Noir Désir. D’autant que la comparaison ne s’arrête pas avec un « Je Cours », très Noir Désir lui aussi (d’ailleurs, on aperçoit le batteur Denis Barthe dans le joli clip réalisé par Laurent Seroussi). Il n’empêche, ce titre fonctionne parfaitement (et je suis même surpris du peu de vues du clip sur YouTube). On en oublierait même, cette propension qu’a David, ici ou là, à imiter quelque peu Saez et sa façon particulière de prononcer les rimes en « é » – qui passent toutes en « è » en dépit du bon français !
« Droit Devant » est un peu construit comme « Un Par Un » et permet un peu plus de remarquer la qualité des textes (comme c’est la période Nouvelle Star au moment où j’écris cette chronique, il n’est jamais inutile d’appuyer sur le fait que des artistes francophones savent encore écrire des textes poétiques). « Revoir Un Printemps » aurait pu figurer sur Des Visages Des Figures de Noir Désir. Et quand j’écris ça, c’est dans mes doigts un compliment. Le titre est magnifique de bout en bout, depuis son long développement doux mais tendu jusqu’à son explosion finale.
Si « Smile(s) » et « If I Could » prennent un tournant britpop assez prononcé, « Juste Un Instant » est quant à lui un mélange de Cali – qui a soutenu Fragile avec ses musiciens en leur permettant d’enregistrer dans son studio – et de Mickey 3D (ce qui est encore un compliment de ma part). « Je reste » n’apporte rien de nouveau, laissant entendre un certain essoufflement de l’album si le titre final, « Sang conclure », ne venait parachever de belle manière un Without A Fight prometteur, que ce soit par la montée crescendo, le parlé-chanté d’un texte fouillé ou l’étrange final d’arpèges de guitare électrique (après un blanc de 5:57 à 7:07).
D’aucuns seront peut-être dérangés par un mélange des langues qui cache un peu une hésitation sur le chemin musical que souhaite suivre Fragile. Pour ma part, même si j’apprécie les titres en anglais, je trouve que le duo bordelais a largement assez de talent pour s’exprimer dans sa langue maternelle. Dans tous les cas, on attendra avec envie la suite d’un Without A Fight plus que prometteur !
Henri Vaugrand