Entretien exclusif avec Steve Hogarth : « what a brave, brave man… »
A l’occasion de la sortie du divin Blu-ray « Brave Live 2013 » et de ses déclinaisons DVD et CD, Steve Hogarth a eu la gentillesse de répondre au feu nourri de nos questions. Réagissant tout naturellement et tout simplement en artiste, il nous a précisé bien des choses sur « la griffe » Marillion . L’homme nous a ainsi confié que le groupe avait appliqué à la musique de « Brave » (comme à celle de tous ses successeurs) des critères d’appréciation typiquement artistiques, sans se soucier des modes et des ukases dictés par les grands labels. Ainsi, « Brave » est un chef d’œuvre car cet opus est né d’un lien particulier de l’artiste avec son subconscient, de cette étincelle que l’on appelle l’inspiration. On comprend mieux, du reste, au passage l’aversion des majors et des critiques officiels pour le gang d’Aylesbury et la marginalisation de la formation qui en a découlé : par de tels propos et par l’ambition qui préside à sa musique, Marillion a, en effet, toujours vogué à contre-courant de cette idéologie de « contre-culture » faite de révolte et de refus du passé qu’est sensé véhiculer le rock. Place maintenant à la parole de Steve !
C&O : Vous venez de fêter le quasi 20ème anniversaire de « Brave ». Quelle est l’importance de cet album pour le groupe ? A-t-il une valeur sentimentale pour toi ?
h : Alors que nous mixions l’album, je me demandais ce que nos fans allaient en penser. A l’époque, le son de ce disque était complètement différent de ce que nous faisions. Il a reçu des critiques mitigées de la part de la presse comme de des fans, mais avec le temps, les gens le considèrent comme notre meilleure oeuvre. Personnellement, je sais qu’il a un feeling unique, et tous les souvenirs que j’ai de l’enregistrement de « Brave » au château de Miles Copeland en Dordogne et à Liverpool sont chers à mon coeur. Je pense que le CD est meilleur que chacun des morceaux pris séparemment. Ce n’est pas le meilleur ensemble de chansons que nous ayons écrit, mais c’est un voyage comme aucun autre.
C&O : A quoi ressemblait l’atmosphère au château Marouatte quand vous enregistriez l’album ?
h : Marouatte est un château médiéval construit sur une haute colline qui domine une forêt. On se croirait en dehors du monde. J’avais ma propre tour qui surplombait le jardin, où j’avais mes quartiers. Nous avons transformé tout le château en studio d’enregistrement. Dave Meegan, le producteur, avait posé des micros partout, dans les chambres, dans les escaliers en pierre, « au cas où il y aurait des fantômes, au moins on les aurait sur le disque » ! Je pense qu’on en a capturé au passage, je ne peux pas les entendre mais je peux les ressentir. L’endroit était assez isolé et au bout d’un certain temps, le besoin de s’échapper a été nécessaire. La ville la plus proche était Périgueux, et j’avais l’habitude d’y aller avec mon van et d’y prendre un café dans un square. J’ai acheté là bas un bol à prière bouddhiste et naturellement, on peut l’entendre sur le CD, comme également le son de l’eau des grottes alentours ou le silence du crépuscule. Une nuit, on a entendu Mark Kelly faire un raffut du tonnerre dans un des couloirs, il portait du rouge à lèvres et … une armure ! C’était ça l’atmosphère là bas : fantômatique, isolée, un peu bizarre et une bonne dose d’humour de prison.
C&O : Est-ce que « Brave » est ton album préféré ? Il semble être celui d’un grand nombre de fans.
h : Mon préféré ? je ne sais pas. C’est aux gens de se prononcer, pas à moi. Je n’écoute pas beaucoup notre musique, mais lorsque je le fais, je pense que chaque disque que nous avons réalisé depuis « Brave » est extraordinaire, chacun dans son genre. Avant « Brave », la musique semble naïve et datée, même si je suis fier de « No One Can », « The Party » et « Easter ».
C&O : Les paroles de cet album sont sombres et introspectives. L’écriture constitue-t-elle une thérapie pour toi ?
h : Oui, ça peut l’être. Quelquefois, j’écris des mots dont je suis sûr qu’ils ne seront jamais utilisés. Mon écriture n’a pas un but prédéfini, je couche juste mes sentiments sur le papier. Ce peut être des sentiments de frustration, de colère, d’amour ou de gratitude. Je suis souvent inspiré par l’injustice, quand je peux la constater, et par l’étrange comportement de la condition humaine, chose que je ne peux m’empêcher de commenter.
C&O : Les textes de « Brave » sont parfois si personnels qu’il doit être par moment un peu flippant de les interpréter en concert, non ? Comment fais-tu pour garder un équilibre entre les émotions que tu veux que les gens ressentent et les tiennes ?
h : Je ne garde aucun équilibre. Je ne fais que ressentir les choses. A quoi cela sert-il de tenter d’avoir un équilibre quand cela concerne les sentiments ? Ceux-ci doivent être vécus. Quand je chante, j’essaye le plus possible de vivre les paroles à chaque instant. C’est difficile car il y a beaucoup de distractions sur scène. C’est comme un funambule par grand vent. Chanter « Brave » chaque soir m’avait vraiment épuisé émotionnellement. J’éclatais souvent en sanglots dans la journée, sans raison apparente.
C&O : Sur « Brave », tu abordes des sujets de société très fort : l’inceste, la drogue, la folie, thèmes que la plupart des autres musiciens éludent soigneusement, sans doute par peur de rebuter le public. Qu’en penses-tu ?
h : Au fil des années, je me suis souvent demandé si je ne dépassais pas les limites. J’écrivais des choses et je me disais « Personne ne va avoir envie d’entendre cela », mais j’ai eu ensuite des retours incroyablements forts et positifs. Cela m’a donné confiance et j’ai continué à écrire des choses encore plus profondes et difficiles. J’étais inquiet lors de la sortie de « STCBM » que « The Sky Above The Rain » soit la limite à ce type d’écriture, et pourtant ce morceau a vraiment été bien perçu. J’ai reçu des emails de gens qui me remerciaient en me disant que ce morceau avait sauvé leur relation. Je suppose que ce qui relève de la douleur et de l’honnêteté, souvent décrites au théâtre et dans les films (les bons !), est rarement dépeint en musique. J’ai donc essayé d’aller sur ce terrain là.
C&O : Penses-tu que tes prises de position dans les lyrics de « Brave » ou « Gaza » aient pu influencer certains fans de Marillion dans leur engagement au quotidien ? Est-ce un but pour toi que de réveiller les consciences sur des problèmes politiques et sociaux ?
h : Bien sûr, ça vaut le coup si un morceau éclaire l’auditeur. « Imagine » a eu un profond effet sur moi quand je l’ai écoutée pour la première fois et elle est toujours pour moi une excellente chanson, mais plus encore, une chanson IMPORTANTE. Je n’ai pu qu’aspirer à reprendre le flambeau, au nom de l’amour, de la fraternité, de la paix, de la tolérance, pour essayer d’éradiquer la peur et toutes les conneries qui en découlent : la violence, la cupidité, le racisme et, je suis désolé de le dire, la religion. Lennon a dit que Dieu était une échelle sur laquelle on pouvait mesurer notre douleur (« God is a concept by which we measure our pain« ). Je pense qu’on peut aussi y mesurer notre peur. Seul l’amour peut nous rendre véritablement libre. Nous devrions être assez éclairés pour ne pas aller chercher dans un bouquin poussiéreux vieux de 2000 ans des règles pour nous apprendre comment vivre. Si Dieu EST amour, alors, je suis pour Dieu. Mais si Dieu EST amour, alors vous devez vous demander pourquoi tant de haine est générée en son nom. Alors je pense qu’on s’en sortirait mieux sans Dieu.
C&O : Tu effectues aujourd’hui encore, sur « Brave », des prouesses vocales impressionnantes. N’es-tu pas un peu inquiet lorsqu’il s’agit de les reproduire sur scène, d’autant que ta voix souffre en live sur certains titres extraits d’autres albums, comme « The Space » par exemple.
h : Si vous pouviez m’écouter quelques jours après le début des répétitions, vous vous rendriez compte que je peux chanter tout le répertoire de Marillion. Les problèmes apparaissent une semaine après le début de la tournée, alors que je chante pendant 150 minutes chaque soir. Des parties de ma voix en souffrent : je perds une ou deux notes au top de mon chant et peut-être une ou deux autres en milieu de gamme de falsetto. Du coup, je ne peux interpréter « The Space » que si j’en change la mélodie à la fin. Dès la moitié de la tournée, je ne peux plus interpréter « Dry Land », c’est pour cela que ce titre est devenu rare sur scène. Je peux cependant chanter ces morceaux si je ne suis pas totalement les mélodies, et je me réconforte en pensant que Robert Plant a fait des tournées avec Led Zeppelin pendant des années en étant assez loin des mélodies qu’il avait chantées sur les disques. Il semble que cela n’a affecté ni leur carrière ni leur réputation. Cependant, si je change la mélodie, j’ai un peu l’impression d’être un charlatan.
C&O : De tous les titres composés par Marillion sur « Brave » lesquels, selon toi, représentent le mieux « l’identité musicale » du groupe ?
h : Je ne sais pas ce qu’est l’identité musicale de Marillion. Nous en avons plusieurs en fait.
– Du long power prog, ce serait « The Great Escape »
– Du déclamatoire maniaque sur un tempo inhabituel, ce serait « Mad »
– Du blues expérimental sans règles, donnerait « Living With The Big Lie »
– Du folk influencé celtique, bien sûr « Brave »
– Du psychédélique sensuel en forme libre, « The Slide »
Tout ceci pourrait définir notre identité. Ce qui habite nos chansons relève plus de l’honnêté, de l’âme et du savoir-faire plutôt que de la volonté de respecter un genre musical dont on aurait conscience.
C&O : Peux-tu nous dire quelques mots sur le Blu-ray ? Je suppose que cela requiert des heures de travail au montage pour atteindre une telle qualité.
h : Le concert a été filmé et monté par Tim Sidwell. Nous avions eu de la chance de le rencontrer il y a quelques années. Il a un talent naturel pour monter des concerts filmés, et en plus c’est un de nos fans, donc il connait notre musique et sait pourquoi on l’a écrite. Son travail parle pour lui et nous essayerons toujours de travailler avec lui si cela est possible.En ce qui concerne le son, il a été enregistré en multi-pistes au concert et mixé par Michael Hunter, notre sorcier du son. Il est un excellent musicien lui-même et un brillant ingénieur du son. On ne pouvait pas rêver meilleure équipe.
C&O : L’enregistrement de « Sounds That Can’t Be Made » a été long et douloureux. Le groupe parle-t-il de faire un nouvel album ? Sera-t-il écrit par vous cinq, de la même façon que vous le faisiez auparavant ? Quels sont tes souhaits pour le futur de Marillion ?
h : Nous avions envisagé par le passé d’essayer de composer d’une autre manière mais à chaque fois, nous sommes revenus à ce que nous faisons toujours : jammer pendant des mois et filtrer les bonnes choses qui en sortaient. Très souvent, j’ai déjà les paroles depuis des mois, voire des années, avant que la musique ne soit finalisée, ce qui peut être très frustrant. D’un autre côté, je peux dire que je n’ai pas à me presser pour sortir des lyrics. J’ai du temps pour y penser longuement et pour affuter mes idées. En ce qui concerne le futur de Marillion, je ne veux que ce que l’on a déjà : une liberté de création, des fans à l’esprit ouvert, un groupe composés de mecs sympas, un peu de célébrité mais pas trop, une marge de manoeuvre suffisamment large pour ne pas s’asphyxier.
C&O : Une dernière question : si le h de 1989 voyait le h de 2013, que penserait-il de lui ?
h :
a. Mon dieu qu’il est marqué !
b. Qu’est-ce qui est arrivé à mon mariage ?
c. Où a-t-il trouvé cette incroyable beauté Danoise ?
d. Wow, j’ai gardé tous mes cheveux !
e. J’ai réussi à tenir jusqu’en 2013 sans devenir un alcoolique. Qui l’aurait cru ?
f. Putain ! Je suis encore dans ce groupe ??
g. Putain ! Je suis vraiment toujours dans ce groupe ?????
h. Nom de Dieu, il y a encore des gens qui font chier avec Fish ????
Propos reccueillis par Fred Natuzzi, Bertrand Pourcheron & Philippe Vallin
Photos : © Marillion
Merci à Marillion de nous faire vivre ces instants de bonheur pour de nombreux fans … pour moi je suis une fan inconditionnelle de ce groupe depuis plus de 20 ans
c’est une pure merveille de les voir sur scène en live , une ressource bénéfique , indispensable pour moi même , une thérapie , un bien être hors du commun
. Je
Je vous adore tous
Salut, Merci pour ton message. A Clair & Obscur on est des fans absolus de Marillion. Pour mes collègues comme pour moi, c’est surtout la période Hogarth (j’ai connu la période Fish dans
ma jeunesse et les ai vus une dizaine de fois en concert avec le poisson sur les tournées « MC » & « CAS », mais il n’y a pas photo entre h et son prédécesseur).
Marillion est en effet une raison de vivre pour espérer, d’espérer pour vivre, ou les deux mêlés inextricablement (séance pétage de plombs – lol -).
Bonne soirée,
Bertrand
Merci Kathy pour ce gentil commentaire!
Nous adorons nos lecteurs aussi !
A bientôt !
Quel bonheur de lire, d’écouter, et de voir ressentir, sur scène, Steve Hogarth …
Oui, c’est un être au talent et à la générosité immenses
Bon week-end,
Bertrand