Edgar Froese – Ages
Edgar Froese
Virgin
D’après la plupart des chroniques qui sont sur le net et selon aussi les témoignages personnels que j’ai pu recueillir à propos d' »Ages » depuis sa sortie en 1978, il est clair que ce n’est pas l’album que le public d’Egar Froese préfère. On le trouve trop étiré en longueur, mal fichu, simpliste, désuet et j’en passe. Et ben moi, depuis toujours, j’adore cet album tout en acceptant l’ensemble des critiques qui ont été exprimées à son égard. Parce que « Ages », c’est la fin d’une époque, l’un des derniers albums de musique électronique de l’Age d’Or des années 70 entièrement réalisés sur du matériel 100% analogique, à l’ancienne, avec le grain de son qui va avec. C’est tout un univers sonore qui vit ses derniers instants avec « Ages » et qui s’étale sur un double album. Alors Edgar peut prendre son temps, cabotiner, en faire des tonnes, je m’en fiche, moi j’écoute, je me complais dans ces flots de Moog modulaire, de Mellotron et de phaser.
Tout juste l’année d’après, en 1979, ce même Edgar sortira « Stuntman », un excellent album également mais tellement différent, très futuriste, très digital, à l’opposé d' »Ages ». « Ages », c’est la mélancolie affirmée et assumée, la nostalgie douce et caressante, le gris nuancé de la pochette élevé au rang d’arc-en-ciel émotionnel. Beaucoup ont cherché la petite bête dans ce double album et l’ont forcément trouvé. Agissant ainsi, ils sont passé à côté de l’essentiel, qui est l’atmosphère à la fois subtile et belle de cet opus. Il y a énormément d’albums de tous poils qui ne sont que des collections de morceaux. Ici tous les titres sont comme reliés par une sorte de fil rouge invisible, de sorte que ce double-album baigne dans une indivision qui confine à l’unité d’oeuvre, voire au concept-album pas complètement intentionnel mais pourtant bien perceptible à l’écoute.
Ceci posé, il y a à boire et à manger dans ce double album. Mais c’est cela que j’aime aussi dans celui-ci. On peut s’y promener, s’y perdre même un peu sur la longueur et avoir en même temps toujours quelque chose à y découvrir ou à y ré-écouter sous un autre angle. De fait, « Ages », n’est pas juste le quatrième album d’Edgar Froese, après « Aqua », « Epsilon In Malaysian Pale » et « Macula Transfer », c’est d’évidence un album voulu spécial, différent, à part, par son auteur, d’où sa décision d’en faire un double-album, option qui n’est jamais prise à la légère, puisque deux fois plus chère. Et c’est là, si on apprécie vraiment Edgar Froese, qu’il faut le suivre dans ce qu’il a voulu nous offrir, dans une oeuvre spacieuse, sinueuse et généreuse.
Moi, je le suis sans effort dans les rythmes lents mais puissants qui parsèment « Ages », je le suis avec gourmandise de méandre en évolution mélodique, je me laisse porter par le climat rétro-moderniste de l’oeuvre et j’en redemande encore après 90 minutes ou presque. J’aime cet album-monde, par sa profusion, qui ne ressemble à aucun album de Tangerine Dream, ou de n’importe qui d’autre, où Edgar Froese s’est revélé musicalement et intérieurement comme jamais ni avant ni après. A ceux qui trouvent Tropic of Capricorn trop long, ont-ils donc zappé la magnifique partie de piano ?
A ceux qui trouvent « Ages » ennuyeux, ont-ils donc zappé la fabuleuse partie de batterie (jouée par Klaus Krieger, qui par la suite rythmera également Cyclone et Force Majeure avec sa maestria habituelle) qui survolte « Night Of Automatic Women » ? Et que dire de la partie de guitare dans Pizarro and Atahualpa, c’est du grand art ou du pipi de chat, hein ?
Bref il serait grand temps que ceux qui critiquent ce double-album se replongent dedans et prennent le temps – enfin ! – d’en savourer tous les aspects et tous les plaisirs.
Frédéric Gerchambeau
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