David Lynch – The Big Dream
David Lynch
Love Records
Barré, incompréhensible, aventureux, glauque… Ce sont les adjectifs qui reviennent le plus pour qualifier l’œuvre de David Lynch. Cinéaste des idées, ses visions ont donné lieu à des chefs d’œuvre comme Eraserhead, Blue Velvet, ou encore Lost Highway. L’homme est peintre également, ses toiles brossant un monde fantasmé empli de violence, d’une noirceur qui confine à la folie. Et quand il touche à la musique, c’est pour mieux en détourner les codes et inventer son langage à lui : torturé, abstrait, et prenant racine dans la musique blues ou rétro américaine. Après le fabuleux « Twin Peaks » au début des années 90 et sa bande son signée Angelo Badalamenti (à laquelle, bien sûr, Lynch a participé en y apportant sa couleur), l’artiste produit Julee Cruise, et compose également des symphonies industrielles, au moment où Nine Inch Nails explose. En 2001, il s’associe à John Neff pour un premier album sous le nom de « Bluebob ». Distordu, malade, et pourtant addictif, la patte Lynch était là à 100%. On pensait que « Bluebob » serait son seul album, eh bien 10 ans plus tard, « Crazy Clown Time » vient nous donner tort. Signé sous son nom, David Lynch triture sa voix jusqu’à la rendre parfois à la limite du supportable. Tel un Neil Young malade, ses complaintes donnent un sens tragi-comique voulu aux compositions. Et la musique teintée de blues, évoluant entre les strates éthérés des rêves et évoquant le son Twin Peaks, fascine et hypnotise.
Ayant pris goût à cet exercice, Lynch récidive deux ans plus tard avec « The Big Dream ». Toujours en compagnie de Dean Hurley, les 12 titres de l’album nous emmènent en voyage sur des routes peu fréquentées, c’est le moins que l’on puisse dire. Musicalement, l’électro blues expérimental est toujours aussi bon, comme sur les titres « Sun Can’t Be Seen No More » (qui aurait presque pu figurer sur la B.O d’ « Une Nuit En Enfer », le road movie vampirique de Robert Rodriguez), l’excellent « Star Dream Girl », « The Ballad Of Hollis Brown » écrit par Bob Dylan, « Say It », ou « The Line It Curves ». Le son un peu rétro 50’s inspire des paysages de diner américain où les serveuses évolueraient au ralenti, comme sur « Cold Wind Blowin’ » ou « Are You Sure ».
David Lynch assure le chant, mais continue à trafiquer sa voix d’une manière qui ne laisse personne insensible. Certains pourront dire qu’elle gâche les morceaux, mais si l’on rentre suffisamment dans ce trip halluciné, on ne peut qu’être admiratif du travail de cet homme libre, et adhérer au résultat final. Ceux qui aime les guitares réverbérées et en suspens, le mélange electro , blues rock, et même hip-hop (« Wishin’ Well »), et qui possèdent un grain de folie devront jeter une oreille au « Big Dream » lynchien.
Bien qu’inférieur à « Crazy Clown Time », cet opus continue à tracer un sillon des plus original, et invite à tester de plus près l’univers fiévreux de David Lynch, qui, à 68 ans, continue d’explorer ce monde mental étrange qu’il capte, entre méditations transcendantales et délires cauchemardesques.
Fred Natuzzi (7,5/10)