Cradle Of Filth – Hammer Of The Witches
Cradle Of Filth
Nuclear Blast
Cradle Of Filth, c’est ce groupe qu’il est aussi difficile de classer qu’un Celtic Frost, tellement les références sont éloignées les unes des autres. Ainsi, là où l’imagerie, le maquillage, l’accoutrement et la violence sonore font sans conteste pencher la balance du côté d’un métal extrême underground, les rythmiques galopantes, les solos flamboyants, les mélodies, les refrains et la popularité grandissante sont davantage l’apanage d’un groupe de heavy metal habitué à remplir les stades. Ajoutez un chant bitonal et des orchestrations, et la confusion est entière. Après vingt ans et autant de changements dans le line-up, la formation britannique, sous la houlette du seul membre originel, Dani Filth, retrouve néanmoins avec « Hammer Of The Witches » l’inspiration et l’énergie qui lui manquaient depuis l’album-phare « Dusk…And Her Embrace ». Le maître à penser, fidèle à son modèle King Diamond, y fait à nouveau cohabiter cris stridents et chant guttural pour susciter tour à tour la terreur et la damnation. Ce dédoublement vocal chasse toute monotonie et l’effet de surprise est à nouveau garanti.
Les orchestrations assurent un lien entre les morceaux, certains motifs se répétant comme sur « Blackest Magick In Practice » et « Right Wing Of The Garden Triptych ». En effet, c’est un nouvel album-concept qui nous est proposé, l’ensemble s’articulant autour de « chasses aux sorcières » relatées dans un traité datant de la Renaissance. Féériques au travers des nappes légères de clavier, grandioses avec les cuivres majestueux, chargées de tension quand les violons se font insistants, les couleurs orchestrales apportent par ailleurs la touche dramatique que ce feuilleton en musique exige.
Trois éléments chers au maître de cérémonie se retrouvent dans ce nouveau méfait. L’occulte et l’horreur sont portés par sa voix ambivalente et les éléments de messe noire (cloches, grand orgue et incantations féminines), tandis que l’érotisme et plus particulièrement les orgies sont à nouveau à l’honneur dans les assauts orgasmiques de la batterie et des guitares. Celles-ci évoluent d’ailleurs à une vitesse tellement ébouriffante qu’il est à se demander si leurs interprètes ne se sont pas lancés le défi de réaliser la performance musicale la plus éprouvante qui soit.
Vitesse ne rime cependant pas avec précipitation ici, le jeu est d’une précision redoutable et nos lascars savent y faire en matière de dextérité et de virtuosité. Les riffs et les solos s’écoulent ainsi de manière aussi fluide et rapide que l’eau dans une clepsydre, tandis que les variations de tempo sont abordées avec autant d’assurance qu’un pilote de formule 1 dans les virages d’un circuit sur lequel il dépasserait allègrement tous ses concurrents. Ainsi, loin d’être anarchique, la profusion d’éléments vocaux et instrumentaux, au premier abord incompatibles, forme au contraire une symbiose harmonique.
L’on notera que deux morceaux complètent l’édition limitée pour les plus chanceux. Ils soulignent davantage l’importance que la mélodie revêt aux yeux de la troupe d’Albion. Le premier, avec son motif de violon espiègle, s’apparente par moments à une danse païenne exécutée en pleine forêt (le titre n’est pas usurpé !). Dans la droite lignée des pistes qui jalonnent « Hammer Of The Witches », il est néanmoins en contraste avec la seconde chanson bonus. En effet, celle-ci est bien poussive et assez dispensable, quand son tempo plus lent et ses voix plus lancinantes nous lassent, même si nous sommes tentés de tendre à nouveau une oreille attentive quand une fureur pregnante vient finalement se manifester.
Se moquant des étiquettes et des tendances, Cradle Of Filth a voulu à nouveau frapper fort avec un album qui renoue avec son passé glorieux. La nouvelle équipe qui entoure Dani semble maintenant bien a l’aise dans l’exercice périlleux d’un bûcheronnage à grande vitesse au service d’un courroux qui pourrait fatiguer à long terme s’il n’était pas modulé ni accompagné d’éléments de tension et de sérénité baignant dans un contexte mélodique.
Lucas Biela
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