Bibio – Sleep On The Wing
Warp Records
2020
Thierry Folcher
Bibio – Sleep On The Wing
En voilà un drôle de bonhomme ! Stephen James Wilkinson, plus connu sous le sobriquet de Bibio, est l’exemple type du gars qu’il sera difficile de mettre dans une case tant il fait preuve de versatilité et d’inconstance dans ses publications discographiques. On désigne même son approche par cette contraction plutôt choquante de « folktronica », un mélange de musique folk et d’électronique. Deux univers à priori incompatibles mais tout à fait cohérents chez ce natif des West Midlands. Une évidence pour lui car ses créations font référence à la fois à ses études universitaires sur le son et à son amour pour cette région proche du Pays de Galles. Le nom même de Bibio vient d’une mouche que papa Wilkinson utilisait lors des fameuses sorties de pêche de son enfance. Des enseignements qui vont aboutir à une œuvre originale faite d’explorations soniques et de chansons printanières, le plus souvent à caractère pastoral. Même sur Sleep On The Wing, sa toute dernière production, il ne peut s’empêcher de déformer certains passages pourtant imprégnés d’un folk britannique bien classique. Stephen Wilkinson va mettre à profit sa passion pour la musique expérimentale dès son tout premier album Fi paru en 2005. Un disque étonnant, un peu vert mais plein de promesses. On perçoit une évidente qualité d’écriture mais c’est surtout le traitement du son, pas toujours propre qui peut heurter. On se dit que le temps va polir certaines aspérités et ne retenir que l’essentiel. Ici Bibio nous sert de longues suites de musiques électroniques à forte connotation « ambient » (« Cantaloup Carousel ») entrecoupées ça et là de guitares folk évocatrices (« Looking Throught The Facets Of A Plastic Jewel »). De la musique expérimentale certes mais chaleureuse et ensoleillée.
Sa discographie forte d’une dizaine d’albums va suivre ce même tracé en devenant, et c’était à prévoir, bien plus maîtrisée. Ses récentes parutions comme le funky-pop A Mineral Love (2016), le planant Phantom Brickworks (2017) ou le champêtre Ribbons (2019) vont rassembler un auditoire de plus en plus conquis. Pour sa part, Sleep On The Wing annoncé comme la suite logique de Ribbons nous est proposé dans un format plus court, proche d’un EP. Trente minutes de bonheur, de nonchalance, de douceur et de rêverie composées, enregistrées et interprétées par un gars au sommet de son art. C’est le fameux label Warp Records, celui de Brian Eno et des Aphex Twin, qui publie l’album et se présente comme un gage de qualité et d’orientation pour les grands consommateurs de musique que nous sommes. Il faut bien admettre que certains épisodes de Bibio rappellent sans équivoque la série Ambient du père Eno et resserrent ainsi l’auditoire. Mais là où les choses diffèrent, c’est que Bibio arpente régulièrement les chemins bucoliques d’une folk celtique qui le rapproche d’avantage d’un Mike Oldfield ou d’un Anthony Phillips. Vous l’aurez compris, avec lui il y en a pour tous les goûts. Les fans de rock progressif devraient même y trouver leur compte. Mais revenons d’un peu plus près à ce nouvel album enjôleur et particulièrement addictif au fil des écoutes. Cela commence par le superbe « Sleep On The Wing » et ses trois minutes de guitare cristalline et de violon traditionnel (fiddle) qui ne laissent planer aucun doute sur l’orientation folk du morceau. Seule la fin innove avec ce passage « ambient » bien à sa place et somme toute, assez logique. Ici le message est clair et l’adorable clip vidéo repris ci-dessous est sans surprise. Le rêve d’évasion, de couleur et de frisson est flagrant et Stephen Wilkinson nous le chante de sa voix diaphane.
Le charme opère d’entrée et ne va pas nous lâcher un instant. Nous voilà partis pour un joli voyage qui fleure bon le printemps, la nature retrouvée et le plaisir de danser parmi les chants d’oiseaux et le murmure des ruisseaux. Il ne faudra surtout pas être choqué par les quelques dissonances et les quelques traitements hasardeux sur certains titres car on est chez Bibio et il faut l’accepter. Autant commencer par ça et parler de « Lightspout Hollow » de « Otter Shadows » et de « Crocus » qui vont vous faire écarquiller les yeux avec leurs notes bancales et surprenantes. On est ici dans de la musique vibratoire qui touche l’âme et sort l’auditeur de son confort habituel. D’un point de vue artistique, il faut accepter d’abandonner ses repères pour visiter d’autres lieux, d’autres rêveries. Et ce qui est vrai pour la musique l’est également pour la peinture, la littérature ou le cinéma. Celui qui franchit le pas va découvrir un monde insoupçonné, irrationnel mais finalement très attirant. Ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est que ces trois titres gardent en filigrane une texture classique et bien connue pour en quelque sorte, tendre les bras aux auditeurs incrédules. La belle trouvaille de Bibio, c’est d’intercaler ces moments plus délicats avec des pièces bien propres et conventionnelles. Le magnifique « Oakmoss » qui suit « Lightspout Hollow » est pour sa part une merveille de folk. Vous allez découvrir un musicien-magicien pétri de talent, digne héritier des bardes et des druides. Les notes tourbillonnent et nous enveloppent en alternant les nombreux instruments et la courte partie chantée. Un petit bijou très simple en apparence mais qui témoigne d’un savoir-faire évident.
Le clip de « Oakmoss » est significatif pour dépeindre l’univers de Bibio. Il avoue lui-même adorer le travail en studio et préférer de loin vivre sa passion dans cet environnement familier et confiné. Sa musique n’existe que là et vous aurez peu de chance de l’écouter sur scène. Notre ami ne ressent pas le besoin de la transporter ailleurs, pour lui la magie n’opérerait plus. Ce n’est pas le premier ni même le dernier à vivre ainsi la création artistique, il faut l’accepter et jouir simplement des enregistrements qu’il nous adresse. Nous sommes son public de l’ombre qu’il n’a pas besoin de regarder dans les yeux pour savoir qu’il existe. Ce bel EP (ou court album) suffit au bonheur de tous. Pour finir, je ne peux vous laisser là sans parler du sémillant « The Milky Way Over Rattinghope » qui va vous surprendre avec ses vocalises aériennes qui semblent sorties tout droit d’une B.O. ancienne. Plein de petites choses vont attirer votre attention comme par exemple l’approche classique de « Awpockes » qui met en avant la belle dextérité du bonhomme ou encore le « clap hand » de « Miss Blennerhassett » taillé pour une belle ronde endiablée avec le petit peuple des landes et des forêts.
Juste un dernier mot pour vous dire que je viens de recevoir la version vinyle de Sleep On The Wing et vivre ainsi un autre moment d’exaltation. Ici, la musique se touche, s’ouvre et se déplie comme un livre. Magnifique emballage plein de promesse qui complète à merveille une œuvre sortie d’un atelier d’orfèvre. C’est à la portée de tous et ça vous tend les bras, précipitez-vous !