Bibio – BIB10
Warp Records
2022
Thierry Folcher
Bibio – BIB10
Le petit moucheron de la Saint-Marc est de retour et tout le monde s’en réjouit. Drôle d’annonce pour vous parler de la sortie de BIB10, le dixième album du sémillant Stephen James Wilkinson aka Bibio (nom familier du moucheron en question). Un pseudo qu’il a choisi en souvenir de parties de pêche le long des rivières du Pays de Galles où cette petite mouche sert d’appât. Malgré le peu de tapage médiatique qu’on lui accorde, le discret Bibio n’est pas un inconnu pour autant. Sa carrière commencée au début des années 2000 est auréolée d’une belle série d’ouvrages partagés entre ses passions pour dame Nature, le monde de l’électronique et des recherches autour du son. Ses deux albums précédents, Ribbons en 2019 et Sleep On The Wing en 2020 étaient plutôt orientés vers le côté folk champêtre de son écriture même si quelques passages aventureux nous proposaient des structures soniques inhabituelles, pour ne pas dire bancales. Au-delà du chercheur un peu maniaque, Stephen James est aussi producteur et musicien de grand talent. Le genre de touche-à-tout capable d’associer une large gamme d’instruments à sa voix douce et chaleureuse. Car l’atout n°1 de cet artiste hors normes est d’avoir su créer son propre son, unique et reconnaissable entre tous. Bibio, c’est Bibio et on ne peut le comparer à personne. Lorsque j’ai découvert le bonhomme, assez tardivement je dois dire, j’ai su immédiatement que c’était une bonne pioche. Le genre de découverte qui s’impose et que l’on veut faire connaître à tout prix. Une chronique plus tard (Sleep On The Wing) nous voici donc avec l’annonce de ce nouvel opus et pas mal de questions en suspens. Continuité ? Chute libre ? Pas en avant ? Virage ? Consécration ? Déception ? Tout plein d’interrogations qui trouvèrent un début de réponse avec la sortie en avant première de « Off Goes The Light », un single urbain et festif, semblant annoncer de la nouveauté dans son répertoire. Alors qu’en est-il réellement ?
Du changement il y en a et de la perplexité aussi. Les premiers signaux de BIB10 sont clairs et vont dans le sens d’une rupture de style, d’une volonté de passer à autre chose. L’étonnant « Potion » offert quelques jours avant la sortie officielle avait de quoi interroger avec son aspect disco funk tout droit venu des années 80. Et puis, il y a la pochette qui interpelle pas mal. Cette belle guitare signature fabriquée par Frank Brothers Company de Toronto s’affiche en vedette et dévoile une part des intentions de notre ami Bibio. Il ne se cache pas pour dire qu’il a voulu rendre hommage à un outil merveilleux qui a traversé les âges et qui résiste encore aujourd’hui au monde du connecté et de la machine. Mais ne vous attendez pas à un album de guitariste pour autant même si l’instrument est bien présent et joliment traité. Bon, trêve de bavardage et retournons à la musique car avec « Off Goes The Light » et « Potion » en pole position, la suite des réjouissances était aussi attendue que redoutée. Le côté dance floor de ces deux titres n’étant pas forcément ce dont je rêvais. Et pourtant, il va falloir que je m’y fasse car la suite du disque va grandement poursuivre cet état d’esprit dansant et festif. Lorsque j’ai pris conscience que je ne retrouverais pas les atmosphères de Ribbons et encore moins celles de Phantom Brickworks, alors BIB10 s’est enfin dévoilé dans tout ce qu’il avait de meilleur. Le problème (ou pas) avec Bibio, c’est qu’il ne fera jamais deux fois la même chose et que son parcours créatif sera toujours sujet à surprises. C’est à prendre ou à laisser, voilà tout. Et puis, pour revenir à notre BIB10, il faut savoir qu’avant de plonger dans le pur disco de « S.O.L. », les deux petites perles que sont « Sharratt » et « Rain And Shine » vont faire en sorte de nous rabibocher et de lier la modernité du jour avec des sonorités plus anciennes.
Pour « Sharratt », ce sont des boucles de guitare sans paroles qui seront à l’honneur, histoire de crédibiliser la pochette et le vœu de Bibio. Sur un tempo resté très dansant, on a droit à une ronde de notes cristallines qui se déversent dans nos oreilles devenues accueillantes. Ici, pas de déraillement stressant (comme sur Sleep On The Wing) mais plutôt le bonheur de vivre une transe très addictive et parfaitement en place. Mais alors, que penser du superbe « Rain And Shine » et des sensations d’autrefois qui reviennent instantanément ? Toute la frilosité et toutes les craintes accumulées disparaissent d’un coup avec ce nouveau Bibio très inspiré, capable de pondre l’équivalent d’un « Oakmoss », par exemple. Les arrangements sont précis et précieux mais avec la pétulance nécessaire pour figurer dignement sur cet album à paillettes. De ce fait, l’enchaînement avec « S.O.L. » et ses clap hands d’un autre âge ne choque pas du tout. Ce titre, sur lequel figure le chanteur Olivier St.Louis, ne prend pas de gants pour faire vibrer le corps et l’esprit grâce à ce rythme binaire, éculé certes mais terriblement efficace. Un solo de guitare bien tranchant vient même rendre la chose encore plus attrayante et définitivement en phase avec l’idée première du disque. Autant vous dire que je suis sous le charme et mes doutes complètement évaporés, surtout que la suite va confirmer cet emballement joyeux et la belle réussite de ce dixième ouvrage.
On a quitté « S.O.L. » dans une ambiance de boîte de nuit avec boules à facettes et plein de souvenirs enfumés en tête. Et bien, « Cinnamon Cinematic » va continuer la fête cette fois au rythme syncopé d’une bossa tout autant addictive et sensuelle. Le corps se déhanche à nouveau, vibre à l’unisson des instruments et d’une production ultra dynamique. Et puis, le calme et le repos bien mérités arrivent sans crier gare et vont occuper quasiment tout le reste du disque. Ce changement soudain d’attitude est l’une des caractéristiques du travail de Bibio, loin de toute conformité et de toute démarche calculée. Après un « Even More Excuses » particulièrement romantique, j’en arrive au petit bijou de « A Sanctimonious Song », à mon sens une des plus belles choses écrites par ce petit phénomène. La première fois que je l’ai écouté, j’ai aussitôt pensé à Brian Eno, vous savez le gars qui a inventé la musique ambiant et qui possède un phrasé traînard si caractéristique. En plus de la voix, la guitare et les claviers tout en respirations sont absolument magnifiques. Du grand art qui aurait bien mérité une plus longue exploration et une fin moins abrupte. Un peu de frustration quand-même. Mince alors, Bibio ! Ça te connaît pourtant les plages à rallonge, alors pourquoi resserrer ce si beau moment. Enfin bref, je deviens trop exigeant. Surtout que le morceau d’après, intitulé « Lost Somewhere » ne se débrouille pas trop mal, lui aussi dans un romantisme à la Bee Gees première époque. Mine de rien on est revenu vers des vibrations du passé avec tout son cortège de références prestigieuses. Moi, j’ai la nette impression que notre ami Stephen s’amuse comme un petit fou à ressortir les « good vibrations » d’une époque qui touche beaucoup plus de gens qu’on le croit. Le court « Phonograph » poursuit l’aventure dans un agréable registre folk classique avant de laisser « Fools » terminer l’affaire. Olivier St.Louis est de retour sur cette chanson qui manque peut-être de folie et laisse un goût d’inachevé au disque. Heureusement, la Reine guitare nous gratifie d’une ultime et belle prestation qui sauve les meubles.
Vous vous rappelez les qualificatifs que j’avais énumérés en début de chronique. Eh bien, celui que je retiendrais pour BIB10 est : « pas en avant ». Mais un sérieux pas en avant, autant dans les compositions que dans la production, vraiment un cran au-dessus de tout ce que Bibio a pu sortir jusque-là. Cela dit, les émotions ont été plus que présentes et entre moments dubitatifs, petites frayeurs et belles extases, le fan compréhensif n’a pas été ménagé. Mais tout va bien, le résultat est là et plus que convaincant. En fait, le principal, c’était d’éviter de rentrer dans le rang et d’intégrer la cohorte des faiseurs en tous genres. La-dessus, pas de problème, Bibio reste concentré sur son sujet et vibre toujours autant avec ses expériences musicales. Et puis, maintenant on a compris qu’il était inutile de faire des prévisions hâtives sur ses futurs projets, on verra bien plus tard. Mais pour l’instant, laissez-nous déguster ce BIB10 comme il faut car il en vaut la peine.