Zanov – Green Ray
Zanov
Polydor
En matière de musique électronique, il est habituel de se référer avec une certaine déférence envieuse à l’Ecole de Berlin. Mais savons-nous, nous français, que nous n’avons pas à rougir de nos praticiens hexagonaux de la musique électronique ? Je ne parle même pas de Jean-Michel Jarre, qui s’est placé de lui-même dans une catégorie à part. Mais je pourrais commencer par nommer Pierre Schaeffer et Pierre Henry, nos deux pierres angulaires et références historiques du genre. Viendraient ensuite dans le désordre Didier Bocquet, Richard Pinhas, Bernard Szajner, Jean-Philippe Rykiel, Cyrille Verdeaux, Besombes et Rizet, Olivier Roy, Lightwave et encore plein d’autres, sans oublier tous les membres du GRM et du GMEM et j’en passe. Ça fait du monde, autant de talents et énormément de musiques, étonnantes, passionnantes, immortelles. Alors les gars, qui se penchera un jour sur le cas extraordinaire de l’Ecole Française de musique électronique ?
Tout ceci pour en venir à Zanov, de son vrai nom Pierre Salkazanov, et à son Green Ray qui fut son premier album. Ce n’est pas seulement que cet opus sorti en 1976 soit un véritable chef-d’oeuvre dans son domaine, rivalisant sans peine avec d’autres joyaux absolus tels que le Timewind de Klaus Schulze ou le Phaedra de Tangerine Dream, c’est l’économie de moyens qui sidère comparée à la somptuosité du résultat obtenu. Car là où Klaus Schulze et Tangerine Dream peuvent se targuer d’un gros modulaire Moog d’un prix effarant, notre Zanov n’a utilisé qu’un EMS VCS3, un clavier EMS DK2, un TEAC 4 pistes, un Revox A77, et c’est tout. Certes, c’est indéniablement du beau matos. Mais si faire tout un album avec juste un VCS3 relève de l’exploit, faire une cathédrale sonique aussi époustouflante et magnifique que Green Ray relève du surnaturel. C’est encore plus fort que ça puisque Zanov, usant de toutes les ruses et finesses possibles, parvient avec une facilité déconcertante à nous faire croire qu’il a tout un arsenal de synthés et de séquenceurs. Bref, ça sonne monstrueusement alors que le monsieur est tout seul devant son petit synthé dans son petit studio. C’est la victoire de l’intelligence sur la multiplication des claviers, le plaisir sans égal d’une musique sans concession mais aussi sans esbrouffe, le royaume incontesté du foisonnement sonore, à la fois atmosphérique et rythmique, riche et subtil, étrange et lumineux.
Laissons la parole à Zanov pour quelques mots d’explication :
« Oui, j’avais le clavier EMS DK2 vendu avec le VCS3.
J’avais aussi un Revox A77 utilisé pour faire les effets.
Je n’ai pas fait de re-recording pour ne pas pénaliser la qualité de l’enregistrement. Donc j’enregistrais 2 pistes (stéréo) live et ensuite des compléments et effets mono sur les 2 autres pistes.
J’ai du pousser le VCS3 à ses limites pour enregistrer les 2 pistes live de chaque morceau sans coupure.
Je faisais varier mes sons tout au long des morceaux en jouant avec les potentiomètres, mais en plus comme je n’avais qu’un seul synthé, j’ai du trouver des astuces pour faire des changements rapides des réglages entre les différentes parties. J’ai du faire beaucoup de recherches, mais j’ai aussi beaucoup appris.
J’ai du aussi répéter et enregistrer des dizaines de fois pour arriver à ce que je voulais. »
Voilà comment avec presque rien, un talent en acier trempé et une bonne dose de boulot, on crée un chef-d’oeuvre à toutes épreuves. Et pour avoir eu la chance de rencontrer Zanov, je peux vous dire que l’homme est aussi humble, aimable et fin que ses albums sont exceptionnels. Un grand bonhomme en vérité, un maître en musique méconnu qui représente à merveille cette Ecole Française de musique électronique que j’évoquais plus haut. Chapeau l’artiste !
Frédéric Gerchambeau
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