The Last Embrace – The Winding Path
The Last Embrace
Longfellowdeeds Records
The Last Embrace est décidément un groupe qui n’aura eu de cesse d’évoluer, aussi bien en termes de formule et line-up que de contenu purement musical. Quel chemin parcouru depuis le premier EP sorti en 1998 par le trio originel (dont il ne reste plus qu’un seul membre fondateur en la personne d’Olivier) ! Les parisiens s’illustraient alors dans une veine metal atmosphérique, inspirés entre autres par The Gathering, dont ils ont assuré une première partie dans la mythique Elysée-Montmartre qui nous manque tant aujourd’hui. Suivront ensuite « Inside » (2005) et surtout l’abouti « Aerial » (2009), qui finira d’asseoir la réputation de The Last Embrace parmi les formations hexagonales à suivre dans la galaxie métallique à tendance progressive. Nous avions été ensuite particulièrement séduits par « Essentia » (2013), un opus acoustique de caractère et d’une grande finesse au niveau des arrangements (avec quatuor à cordes et flûte traversière), qui proposait une série de titres revisités de leur répertoire, ainsi que deux inédits. Autant vous dire que le « The Winding Path » qui nous intéresse ici était attendu de pied ferme à la rédaction. Et le résultat dépasse nos espérances, tout simplement !
Le groupe au grand complet s’est adjoint les services d’un mini ensemble orchestral (cordes, hautbois, flûte et clarinette) pour nous délivrer un album somptueux qui diversifie comme jamais ses influences, glissant ici vers un rock progressif racé et diablement intelligent. Car à l’inverse d’un Opeth qui se contente juste de sonner « rétro » avec sa dernière livraison, parce que c’est cool et à la mode (merci Steven Wilson), Olivier et ses comparses intègrent des sonorités certes vintage (piano rhodes, orgue hammond), mais pour clairement faire évoluer son propos artistique, avec une sincérité, une cohésion d’ensemble et une passion partagée plus que palpables. Ici, l’écriture et la technique sont clairement au service de l’émotion d’un bout à l’autre du voyage, avec à l’arrivée un très grand disque, magnifiquement produit par le groupe, et mixé par les oreilles esthètes et les mains expertes de Francis Caste.
L’album s’ouvre sur une jolie balade cinématique où on retrouve avec plaisir le timbre délicat et sensuel de Sandy, une chanteuse qui a bien assimilé qu’expressivité et lyrisme ne sont pas qu’une affaire de performance. En cela, je la rapprocherais de l’excellente Lee Helen Douglas d’Anathema, ou encore de Christina Booth de Magenta, deux vocalistes qui révèlent d’autant plus leurs forces qu’elles sont conscientes de leurs fragilités. On se délectera également de ses phrasés (en anglais) sur la complainte folk aux arpèges acoustiques « The Fear Of Loss », délicieux moment suspendu au beau milieu d’un album mouvementé dans le meilleur sens du terme. Signalons aussi la présence d’un unique titre instrumental, le puissant et mélancolique « Let The Light Take Us », durant lequel le groupe nous montre toute l’étendue de son savoir-faire dans l’art du « spleen contemplatif » (on pense ici autant au Anathema actuel qu’à son alter-ego Antimatter, et peut être encore plus au génial Nicklas Barker d’Anekdoten).
D’autres compositions qui jalonnent l’opus savent se montrer aussi plus « nerveuses », à commencer par « Nescience », morceau peu avare en riffs de guitares, déflagrations rythmiques et cavalcades de claviers façon ELP, tout cela en parfaite harmonie et sans jamais sombrer dans le démonstratif stérile. Même constat pour le jazzy et aérien « White Bird », qui démarre à la manière d’un Goldfrapp des origines (« Morriconien » donc) pour s’achever en un climax heavy-rock typique des glorieuses 70’s. Enfin, impossible de ne pas mentionner le plat de résistance de ce menu sans faute de goût, soit les 18 minutes de « The Field Of Mind », véritable pyramide de climats et de sensations aux enchaînements parfaits. C’est l’archétype même de la suite progressive réussie, car sachant doser avec sagacité chacun des éléments apportés à l’édifice (thèmes mélodiques, passages atmosphériques, séquences et breaks instrumentaux) jusqu’à un climax de folie.
Raffinement, élégance, maestria… Les qualificatifs ne manquent pas pour porter aux nues cet album qui, vous l’aurez compris, compte parmi nos coups de cœur du moment, car il s’agit bien là d’une œuvre solide et singulière qu’on écoutera encore avec bonheur d’ici quelques années. En bref, le disque de la maturité pour The Last Embrace, formation qui, en 2015, fait irruption en fanfare dans la cour des grands, ni plus ni moins.
Philippe Vallin (9/10)