Three Trapped Tigers – Silent Earthling (+interview)

Silent Earthling
Three Trapped Tigers
Superball Music
2016

Three Trapped Tigers – Silent Earthling (+interview)

Three Trapped Tigers Silent Earthling

Encensés par Brian Eno himself, les Three Trapped Fingers (aka TTT) ne sont pas des perdreaux de l’année. Auteurs de trois EP depuis 2008 et de deux albums, Route One Or Die (2011) et Numbers: 1-13 (compilation des EP, 2012), les Londoniens ont pris le temps pour peaufiner ce Silent Earthling. D’abord, ils ont beaucoup tourné (avec les Deftones même !). Ensuite, ils ont énormément travaillé, sous l’influence de maître Eno et de ses « stratégies obliques ». Le résultat de leurs incantations druidiques est sorti de leurs éprouvettes diaboliques sous la forme de ce Silent Earthling aux effluves improbables d’une recette d’apprentis-sorciers. Car, ce dernier album n’est pas, en effet, le résultat d’un enchevêtrement laborieux d’as du studio forgés au trompe-oreille digital. Bien plutôt, TTT a expérimenté les méthodes d’Eno afin de donner plus de spontanéité sous de paradoxales contraintes (on se souvient des fruits magnifiques que cette méthode avait donnés pour les albums dits « berlinois » de David Bowie). Du coup, Silent Earthling sonne un peu comme du post-rock électronique instrumental, sans que cette catégorisation hâtive et forcément réductrice puisse suffire à la musique de TTT. En effet, les amateurs de bien d’autres courants musicaux y trouveront leur compte, que l’on aille du metal au trip-hop, en passant par le jazz et bien entendu l’electro, à la seule condition d’aimer la musique purement instrumentale.

Three trapped tigers-band

Alors, finalement, c’est quoi ce Silent Earthling ? Eh bien, imaginez trois tigres piégés dans un appartement (celui du guitariste et claviériste Matt Calvert) auxquels on aurait laissé leurs jouets préférés. Et inventez-vous les images d’un cinéaste fou tournant caméra au poing dans tous les sens, toutes les positions et avec tous les effets de couleur voulus ! Bref, écouter Silent Earthling, c’est comme se faire une toile psychédélique en pleine transe : on reste scotché dans son fauteuil mais les images défilent et on se laisse emporter sans résistance. Si cela vous fait le même effet qu’à moi-même, vous aurez sans doute une fâcheuse tendance à augmenter le volume, ce qui pourrait nuire au caractère paisible de vos relations de voisinage… Car si un goût psyché se dégage de cette galette, elle a néanmoins été conçue par des animaux plutôt épileptiques, ce que vous risquez de devenir à l’écoute des TTT. C’est plutôt violent, mais de cette violence angoissante qui peuple par exemple certains albums ou concerts de King Crimson… On extraira, relativement, de ce coup de massue les titres « Blimp » et surtout « Rainbow Road » qui se paie le luxe d’avoir un court passage à la Mike Oldfield (à partir de 2:07) ! Pour le reste, batteries éclaboussantes (Adam Betts), guitares saturées et claviers futuristes devraient ravir les amateurs de musique sortant des sentiers battus et rebattus… Les titres « Silent Earthling », « Strebek », « Kraken » (pour son break), et « Engrams » (voir lien ci-dessous), ont particulièrement retenu mon attention dans un flot dense (ou un dance flow ?) et auto-hypnotique dont on sort épuisé, mais ravi ! Malheureusement, la tournée promotionnelle de Silent Earthling, qui commence ce 17 avril à Glasgow, ne devrait pas passer par la France, et c’est bien dommage…

Henri Vaugrand

http://www.threetrappedtigers.com

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Interview du claviériste Tom Rogerson

[Version française]

Three Trapped Tigers-band 2

Dans le cadre de la sortie du second album du trio anglais Three Trapped Tigers, Tom Rogerson (TR), leur claviériste, a répondu à nos questions pour les lecteurs de Clair & Obscur. Propos recueillis et traduits par Lucas Biela.

CO : Bonjour, nous sommes Clair & Obscur, un blog français dédié aux musiques progressives et sortant des sentiers battus. Pour éclairer nos lecteurs, pourrais-tu nous en dire un peu plus sur la genèse du projet Three Trapped Tigers ?

TR : Matt [guitare] et moi-même [claviers] venions de lancer un groupe d’improvisations quand j’ai emménagé à Londres – je jouais de l’orgue et du piano, et lui de tous les autres instruments (saxophone et percussions). Il vivait alors en colocation avec Betts [batterie], que j’avais eu l’occasion à l’époque de voir jouer avec son groupe de hardcore. Cela faisait des lustres que j’avais en tête de mettre sur pied un projet « live electronica » mais interprété et enregistré sur le vif avec des instruments tenus par de vrais musiciens. C’est ainsi que mon idée a vu le jour vers 2007, tout d’abord en conviant quelques amis à nos concerts, avant d’enregistrer le premier album en 2008. De l’eau a coulé sous les ponts depuis.

CO : Quand on écoute la musique de Three Trapped Tigers, il semble évident que le trio est fasciné par les rythmiques complexes et les nappes de claviers futuristes, parfois allant jusqu’à s’apparenter aux musiques de jeux vidéo. Quelles sont vos principales sources d’inspiration ?

TR : Oui, nous aimons ces sons-là, mais nos goûts incluent aussi des sons plus simples qui ne transparaissent pas forcément dans notre musique. Je pense que notre musique est la rencontre des styles de prédilection de chacun de nous trois (moi – la musique classique, Betts – le métal, Matt – le rock), autour d’improvisations jazz, tout en reflétant notre passion commune pour la musique électronique. Les références les plus évidentes sont à rechercher dans le label Warp (Aphex Twin, Squarepusher, Autechre), tout autant que chez quelques groupes américains du moment, comme Lightning Bolt, Health ou Volcano. Nous partageons également la même passion de la scène d’improvisation norvégienne, portée par des groupes comme Supersilent et Humcrush. Et en toute franchise, je ne pense pas que nos influences aient fondamentalement changé entre-temps !

CO : Vous avez tourné avec des groupes dont le public verse d’ordinaire dans le metal et le punk/hardcore. Comment ont-ils accueilli votre musique ?

TR : Hum… les sentiments étaient partagés. Mais, même si quelques regards restaient baissés devant nous pour signifier l’attente impatiente de la tête d’affiche, de nombreux autres manifestaient leur émerveillement. Cela ne nous trouble pas pour autant : en fait, je pense que, comme notre musique couvre un spectre assez large d’influences, elle pourrait plaire à différents types de public. Ce qui me conforte, c’est que des groupes nous sollicitent pour assurer la première partie de leur show – nous y accordons beaucoup d’importance, car cela montre que quelques-unes des grosses pointures nous connaissent et cherchent à nous épauler.

CO : Je vous ai découverts dans un premier temps avec le label Blood & Biscuits. Ce label, tout comme le label irlandais Little League Records, produit de nombreux groupes tous plus originaux les uns que les autres. Est-ce ce label qui vous a contacté ou les avez-vous rejoints de vous-mêmes ? Est-ce que l’originalité des groupes signés a été un moteur pour créer votre propre univers ?

TR : Nous avons été le premier groupe signé sur ce label, et nos enregistrements les premiers à y être publiés. Bien que le label Blood & Biscuits soit maintenant comme tu le décris, à l’époque il s’agissait pour Simon, fondateur du label et l’ami d’un ami qui était un de nos fans, de nous donner un coup de pouce. Je pense qu’il voulait de toute manière créer son propre label, mais au départ il aimait tellement notre musique qu’il avait créé un label juste pour nous. Et c’est comme ça qu’a démarré Blood & Biscuits. Par la suite, Simon est également devenu notre manager.

CO : Avec votre nouvel album, vous êtes maintenant signés sur une division d’Inside Out Music, label spécialisé dans le rock progressif. C’est un grand pas en avant pour votre carrière, et l’occasion d’obtenir plus de visibilité, particulièrement sur le marché du rock progressif. Quel regard portez-vous sur la scène « rock progressif » actuelle, si toutefois vous en avez connaissance ?

TR : En toute honnêteté, je pense qu’aucun de nous trois n’a d’avis ! Ce que je veux dire, c’est que je ne sais pas ce qu’on peut encore appeler « rock progressif » de nos jours. Je pense qu’en Europe cette étiquette a très probablement une connotation différente de celle qu’on lui donne en Angleterre. Y a t-il une différence entre « prog » et « progressif » ?! Même si c’est le cas, on compte encore bon nombre de groupes intéressants qui essaient d’innover dans le rock. Mais nous ne nous y connaissons pas assez pour nous prononcer.

CO : Est-ce que vous comptez partir en tournée pour défendre votre nouvel opus ? Si oui, cette tournée passera-t-elle par la France ?

TR : Oui, nous l’envisageons effectivement, tout en espérant que la tournée passera par la France. Nous n’y avons joué qu’en de rares occasions, mais le dernier concert, donné à Strasbourg avec nos amis de 100% Chevalier, nous a vraiment laissé un très bon souvenir : une approche DIY (Do It Yourself) comme on l’aime. Si on avait la possibilité de revivre de tels moments, ce serait génial.

CO : En dehors de Three Trapped Tigers, participez-vous également à d’autres projets ?

TR : Oui, nous participons tous trois à de nombreux projets, surtout Matt et Betts, en tant que musiciens. Et c’est pour cela d’ailleurs que cet album a mis du temps à sortir. Betts joue actuellement avec Squarepusher, et il a auparavant collaboré avec Goldie. Matt a également travaillé avec Goldie, en plus de produire de nombreux artistes : il a récemment collaboré avec un groupe français. Et il joue aussi avec un groupe du nom de Strobes, qui vaut le détour.

CO : Comment vois-tu Three Trapped Tigers évoluer à l’avenir ? Continuerez-vous à faire de la musique instrumentale ? Comptez-vous renforcer le côté électronique ? Même si c’est peut-être trop tôt pour en parler, quelle pourrait être la nouvelle orientation du groupe à l’avenir ?

TR : Oui, de nouvelles idées de sons nous viennent constamment en tête, en grande partie en écoutant d’autres groupes et en essayant de voir comment on pourrait incorporer les leurs dans notre univers. Mais également en faisant chacun évoluer notre jeu. Par exemple, sur notre nouvel album, Betts a franchi une étape supplémentaire dans l’utilisation de l’Ableton pour maîtriser son jeu de scène, et ainsi cela permet de nouvelles explorations sonores. Je pense que c’est de manière tout aussi empirique que nous modèlerons le prochain album. Que l’orientation soit davantage électronique ou toujours instrumentale, il est trop tôt pour le dire.

CO : Souhaiterais-tu ajouter quelque chose ?

TR : Non, un grand merci pour l’écoute de l’album, et j’espère qu’on se verra en France bientôt.

LB : Merci beaucoup d’avoir pris le temps de répondre à nos questions.


 

Interview with Tom Rogerson, keyboardist in Three Trapped Tigers, By Lucas Biela [English Version]

CO: Hello, we are Clair & Obscur, a french blog dedicated to progressive and adventurous music. For our readers, could you tell us about the genesis of Three Trapped Tigers?

TR: Matt [guitar] and I [keys] started playing in an improv band when I first moved to London – I was playing piano/organ and he was processing the other instruments (sax/percussion). He was living with Betts [drums] who I saw play in his then hardcore band. I’d had an idea for ages to try and do a « live electronica » thing with everything played by real players in real time. So eventually we put it together in about 2007, and got some gigs through friends, and then put our first release out in 2008. It’s come a long old way since then.

CO: When listening to your music, it is obvious you like intricate rhythms and futuristic keyboard layers, sometimes even akin to 8-bit chiptunes.  What are your main influences?

TR: Yes we do like all that stuff, but we also like a lot of simple things that might not be obvious. I think we’re a pretty good combination of our three different backgrounds (me – classical, Betts – metal, Matt – rock), who all met through jazz/improv, and bonded over our love for electronic music. The obvious direct influences in the first place were all the Warp acts (Aphex, Squarepusher, Autechre), as well as interesting US bands of the time, e.g. Lightning Bolt, Health, Volcano. We also all bonded over the Norwegian improv stuff like Supersilent and Humcrush. And to be honest, I don’t feel like our influences have changed all that much since those!

CO: You toured with bands that are usually followed by metal and punk/hardcore audiences. What was their reception to your music?

TR: Um…mixed? No, there were plenty of people who seemed to like it, and then a lot of bored looking people down at the front who were just trying to keep their place for when the main band came on. It doesn’t phase us too much: I actually think our band has a pretty broad range and could appeal to many different types of audience. What’s nice is that we get asked to do those gigs at all – that means a lot to us, that some of the bigger acts are aware of us and want to back us/help us on the way.

CO: I first discovered your music with your previous label, Blood & Biscuits. This label, just like Irish Little League Records, signs many original and diverse bands. Were you approached by this label or did you choose to join them? Was the originality of the bands a stimulating factor for the development of your music?

TR: We were the first band to be put out by that label, and in fact, I think ours were the first few releases. Although B&B is now exactly as you say, at that time, Simon (who runs it) was a friend of a friend who was a huge fan of ours, and wanted to help us somehow. I think he was keen to start his own label in any case, but in the end, he liked it enough to start a label especially for us, and that was Blood & Biscuits. He then became our manager as well.

CO: With your second album, you are now signed to a subsidiary of Inside Out Music, a label specialized in progressive rock. This is a big leap forward, and the opportunity to gain some more visibility, especially on the progressive market. What do you think of the progressive rock scene today, if you are aware of it at all?

TR: I honestly don’t think any of us can comment! I mean, I don’t know what counts as « progressive rock » any more anyway. I think in Europe it probably has a different meaning to what we describe in the UK. Is there a difference between « prog » and « progressive »?! Even so, there are clearly still a number of interesting bands out there who are trying to do stuff in the rock genre. But we’re not really experts on it.

CO: Do you plan to tour to promote your new album, and will this tour include France?

TR: Yes definitely we plan to tour, and we very much hope to make it to France. We’ve only played there a few times, but the last gig was Strasbourg with our friends 100% Chevalier, and that was a really great gig: DIY just how we like it. Any more of those would be great.

CO: Besides Three Trapped Tigers, are the members involved in other projects?

TR: Yes we’re all involved with lots of things. Matt and Betts in particular are very busy as musicians in other people’s projects, and that’s one of the reasons it’s taken us a while to get this new album recorded. Betts is currently drumming with Squarepusher, and before that was working with Goldie. Matt also worked with Goldie, as well as doing quite a lot of production: he worked with a French band recently. And he also plays with a band called Strobes who are well-worth checking out.

CO: How do you see the evolution of Three Trapped Tigers in the future? Will you continue in an instrumental way? Will you include more electronics? Even it may be too early to say, do you have ideas for the future sound of the band?

TR: Yes we always have ideas for future sounds of the band. A lot of it comes from listening to other stuff and seeing how that could be applied in our context. But then it also comes from the three of us all developing individually. For example, on this record, Betts has now stepped up a level in terms of using Ableton to manipulate his live drumming, so a lot of that then allows for certain kinds of material. I think that’s how we’ll be guided on the next album. Whether that’s more electronic or instrumental is impossible to tell at the moment though.

CO: Do you have anything to add?

TR: Not really: thanks for listening, and hope to see you in France some point!

CO: Many thanks for taking the time to answer our questions.

 

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