Sianvar – Stay Lost
Sianvar
Blue Swans Records
Sianvar, ce n’est pas pour tout le monde. Il faut d’abord aimer le rock indie, mais aussi le post-hardcore et le math rock. En ce qui me concerne, je n’ai pas à être convaincu; le post-hardcore est l’un de mes genres musicaux de prédilection parce qu’il y a dans cette musique une énergie bouillonnante d’une part, et un calme aérien voire stellaire dans une autre mesure. Et comme j’apprécie l’équilibre et les variations, ce style me va comme un gant. D’ailleurs, ce genre réunit dynamisme et passion, tumultes et accalmies en un seul et unique morceau. C’est la façon qu’a trouvé la nouvelle génération de musiciens pour exprimer leur amour et leur frustration, leur poésie et leur rage, leur fascination et leur dégoût envers notre temps commun. Et ils le font à travers une musique progressive aux envolées rythmiques débridées (on se demande d’ailleurs où ces jeunes compositeurs ont acquis ce talent pour la déstructuration intelligible des rythmes et des temps).
La jeune formation californienne nous étonne ici avec un premier album tout à fait convaincant. On avait bien pris connaissance du EP Sianvar en 2014, mais celui-ci n’avait fait que peu de bruit, il n’avait émis jusqu’ici qu’un murmure médiatique très ténu et très distant. On sentait bien que le groupe hésitait et n’avait pas encore trouvé sa voie/voix. Mais tout ceci est un dossier réglé : on sent l’affirmation, l’assurance, la détermination dans l’ensemble de ce premier opus. Dans le même genre, Artifex Pereo avait déjà conquis son petit bassin de fans, tout comme l’avait fait avant eux (en tant que pionniers ou presque), les légendaires Circa Survive. Il ne restait donc qu’une toute petite place pour Sianvar. Et Sianvar vient de la prendre avec fermeté !
Force m’est d’admettre que chaque groupe de post-hardcore ne possède pas nécessairement un recette propre. C’est une école qui se veut tellement marginale qu’elle finit par finalement s’inscrire dans un créneau, dans un « branding » intello et quasi-hipster qui la normalise effroyablement. À l’écoute d’un album X, on a l’impression d’entendre un album Y déjà entendu quelque part sans savoir quelle tube est de qui. Bref, tout se ressemble un peu. L’effort déployé à vouloir construire quelque chose d’unique et de singulier qui anéanti tout héritage musical antérieur (hormis le prog auquel il répond) résulte en une élaboration aliénante qui annule toute tentative de démarcation entre ses nombreux représentants. Écoutez Hail The Sun, Eidola, Artifex Pereo, Icarus The Owl, A Lot Like Birds, Harvard, Secret & Whisper, The Receiving End Of Sirens, Hands Like Houses ou In Angles et risquez-vous à identifier une chanson et à l’associer avec la formation de laquelle elle provient… je vous souhaite bonne chance (on pourrait même en faire un épisode de Who Wants To Be A Millionnaire et ainsi s’assurer que le gros lot ne serait pas remporté). Je suis bel et bien un fan de Sianvar et des groupes nommés précédemment, mais il me semble bien qu’à trop vouloir faire différent, l’issue devient inexorablement la même. Bon, d’accord, il est vrai que chacun des membres de Sianvar œuvre au sein de quelques-uns des groupes susnommés; le chanteur Donovan Melero fait aussi partie de Hail The Sun, le guitariste Will Swan est aussi membre de Dance Gavin Dance et de Secret Band, Sergio Medina travaille avec l’excellente formation Stolas, alors que le bassiste Michael Franzino et le batteur Joseph Arrington bossent tous deux pour A Lot Like Birds, mais enfin…
Or, il faut admettre que Stay Lost possède malgré tout sa propre énergie. Les lignes de guitares modulantes comme le tracé d’un sismographe nous font voyager mentalement, la voix de Melero est puissante et dynamique, la batterie est désarticulée à son paroxysme et il règne dans ce chaos apparent tout un flux atomique. En fait, Sianvar ressemble à du plasma : un condensé de matière subatomique très dense où se concentre un lot d’énergie qui dépasse l’entendement. Chaque instrument est une particule en errance qui, dans sa course à travers le vide et le désordre, cherche à rencontrer une autre particule et ainsi fusionner pour engendrer un nouvel élément. Je crois que c’est ainsi qu’il convient de décrire cette musique. C’est une poésie cardiaque (car les voix et les textes sont très intérieurs), c’est un élan créateur qui confère au monde de la physique quantique. Sianvar, c’est l’accélérateur de hadrons de l’univers progressif. Ouais, c’est à peu près ça…
Mais bien sûr, si vous n’avez aucune sympathie pour la musique émotionnelle comme le emo, l’indie rock, le shoegaze ou le math rock, Sianvar ne vous fera pas frémir le moins du monde. La formation s’adresse aux adeptes des musiques viscéralement ressenties, aux intéressés qui recherchent une autre façon de composer, une autre façon de créer une distorsion de la fibre de l’espace-temps, des dimensions sonores et des mathématiques compositionnelles. Car Sianvar est, comme ses comparses du milieu post-hardcore, un astre défilant qui ne suit ni orbite ni trajectoire fixe. Moi, j’aime. J’adore. Mais n’est pas adepte qui veut. Ceci n’est pas une musique universelle, hélas ! Tentez tout de même le coup… vous verrez bien.
Dann ‘the djentle giant’