Igorrr, l’omnivore : la discographie
Igorrr, l’omnivore : la discographie
Igorrr, alias Gautier Serre, est un compositeur français dont l’originalité n’a d’égal que la folie. Comme si Katerine, John Cleese (Monty Python), Tarja Turunen (ex-Nightwish), Napalm Death, Devin Townsend, Emir Kusturica et l’orchestre baroque Symphonie de Breizh décidaient de se réunir, avec le dessinateur Pierre La Police comme producteur, afin de former un super-groupe super-fou bien décidé à explorer les recoins et les excès musicaux d’un style unique tout en veillant bien à faire exploser les codes de tous les genres passés par la centrifugeuse de ce génial artiste polyvalent, polymorphe et surtout pas limité. Il y a du metal extrême, dans Igorrr. Mais il y a aussi du chant lyrique et de la musique classique, de l’électro, du rock, de la musique traditionnelle et du trip hop. On parle de « baroquecore » (contraction des mots « baroque » et « breakcore ») pour qualifier ce genre extraterrestre maîtrisé par l’allumé Gaulois. Attention cependant, c’est bien dans la folie que se niche la beauté et la vérité. Igorrr, on en veut encorrr car on adorrr sa musique de la morrr. Parcours en trois belles rondelles.
Igorrr – Nostril (2010 Ad nauseam)
Déjà, une pochette de disque comme cela, c’est la grande classe. Même King Crimson, dans ses moments les plus dépressifs n’aurait pas osé. Honnêtement, on achèterait que pour la couverture. L’écrin étant divin, visitons la fosse. Les quatorze folies qui constituent cet album magistral sont autant d’épines dans le pied pour le journaliste critique musical qui devrait en parler. Ce qui n’est pas notre cas, fort heureusement. Gautier Serre, multi-instrumentiste et créateur doué, produit des morceaux à l’aide de samples, de prises d’instruments réels, de boucles folles, de boîtes à rythme et de voix, posées par d’éthérées donzelles qui ne craignent jamais de se faire dévorer par les nombreux monstres voraces hantant ces instrumentaux infernaux. Il est inutile d’essayer de comparer la musique d’Igorrr à quoi que ce soit d’existant déjà. À la limite, on pourrait oser l’analogie avec une musique qui existera peut-être quand tout le monde sera prêt à l’entendre. Une imagination débridée, un mélange maîtrisé des genres, une puissance rythmique hors-normes mêlée à un sens aigu du mixage et de la fusion font de Nostril un ovni musical de toute première classe, destiné à un public averti, ouvert et prêt à être bousculé dans son confort d’auditeur : bruitages, césures, scratchs et citations plus ou moins absconses fusent et sèment la confusion. Le miracle est que ce chaos réglé comme une montre suisse est impossible à prendre en défaut. Un bijou fou, un cauchemar rare, un fumet de gourmet. À consommer avec modération. Faute de quoi, la crise d’épilepsie vous guette. S’il fallait comparer l’audace d’un tel projet avec une autre production lui préexistant, on pourrait parler d’Amarok de Mike Oldfield (1990), dans un tout autre registre musical bien entendu. Égale folie, égal ego, égale réussite.
L’ouverture d’esprit faite musique.
Igorrr – Hallelujah (2012 Ad nauseam)
Encore une superbe illustration. Igorrr, avec ce chef-d’œuvre, va encore plus loin dans l’expérimentation puisqu’il s’est entouré de multiples musiciens et chanteurs afin de l’aider à réaliser ses fantasmes musicaux transgenres les plus débridés. Ainsi, le côté peut-être un peu « mécanique » et figé de Nostril se trouve ici très nettement atténué. En effet, l’apport de la chanteuse baroque Laure Le Prunenec, du guitariste de Mayhem, de Benjamin Violet du groupe Tryo ainsi que tant d’autres invités prestigieux, achève de faire de Hallelujah le salut musical tant attendu. Le Graal du gramophone en vente libre. Certes, l’écoute reste ardue et la diffusion en boucle d’un tel animal sonore peut mettre en péril vos relations de bon voisinage. Mais l’artefact brille par sa maestria confondante, son attachement aux objectifs fixés et à la mise en œuvre impeccable de ceux-ci. Hallelujah semble fonctionner comme porte d’entrée idéale dans le monde enchanté et non étanche d’Igorrr le plus fort. Un sommet à la beauté complexe qui risque malheureusement de ne pas plaire à tout le monde. A offrir à un potentiel acquéreur d’un exemplaire de Génération Goldman, faisant ainsi œuvre de salubrité publique. Hallelujah.
Igorrr / Ruby my Dear – Maigre (2014 Ad nauseam)
Ah ! Cette mode d’initiés qui consiste à acheter des split E.P. Késako ? Deux groupes se partagent une seule galette, permettant ainsi au public d’initiés de s’en payer deux bonnes tranches (pour le prix d’une). Aujourd’hui malheureusement habituellement dévolu aux styles marginaux (metal extrême, post rock, punk), ce modus operandi était très répandu dans les années soixante-dix. Aujourd’hui, seuls quelques petits labels audacieux proposent encore ces rencontres au sommet de la rondelle. Ainsi, Igorrr s’est acoquiné, pour l’exercice, avec Ruby My Dear, alias Julien Chastagnol, un autre compositeur, producteur et ingénieur du son évoluant peu ou prou dans les mêmes eaux troubles que l’autre oiseau de nuit. Le mélange apparaît donc comme parfaitement homogène. Pour la troisième fois, nous relèverons la beauté indiscutable de la pochette de ce Maigre qui porte bien mal son nom tant le contenu est riche et touffu. Des rythmes obsédants, des mélodies envoûtantes, des cris et des envolées lyriques : les ingrédients habituels de la mixture haute-couture concoctée par les deux hurluberlus grandioses. Notons, pour conclure, que les séquences parlées, drôlissimes, apportent une touche d’absurde au tout. Une fois encore, l’écoute aux écouteurs semble de mise. Sortez ces artistes iconoclastes de leur remise, faites accéder les mélomanes à ces raretés. Ecoutez l’inécouté.
Christophe Gigon
Absolument fabuleux…