Batushka – Litourgiya
Batushka
Witching Hours Productions
Si on parlait black metal ? Oui, mais de black metal orthodoxe, faut pas déconner. Ben oui, ce tag qui apparaît sur last.fm. Cette forme de l’art noir qui étudie, digère, réinterprète et dégorge la liturgie catholique, le chant sacré, le mysticisme clérical, la représentation byzantine de la chrétienté dans un jeu de « je t’aime, moi non plus, après toi, je n’en ferais rien ». Banco ! me dira mon ami imaginaire lors de mes soirées « écoutons du black metal dans le noir ».
Batushka, ce projet sorti de nulle part, possède pourtant en son sein des membres théoriquement « imminents » de la scène black polonaise. Des rumeurs courrent à l’effet qu’un des membres ferait partie du groupe polonais Mgła . L’identité des trois musiciens originels (8 musiciens en live) demeure un mystère volontaire et l’on garde le silence parce que ça le fait bien. La formule est convaincante et se trouve être la bonne pioche. La musique de Batushka est un mélange entre le sacré et le profane, la violence souterraine et l’élévation spirituelle. Et dans le genre, bien que l’écriture cyrillique est tout aussi loin d’être mon fort que ma connaissance dans la dernière compilation RTL des Prêtres, d’où une incompréhension légitime d’un concept fascinant, Litourgiya reste intriguant. « Je t’aime, moi non plus »… la même rengaine. Une production d’une propreté presque inconcevable, un son d’une clarté et d’une précision limpide, une alternance entre chant raclé du fond de la gorge et chœurs liturgiques omniprésents, ni poussive, ni gratuite, seulement juste. Mélangez, versez et attendez. Une ouverture des plus dantesques que j’ai pu écouter depuis un chouia de temps imparti. Vous savez, du genre qui fait « tilt », et qui fait dire : « Oh, c’est bon ça ma bonne dame ! ».
Litourgiya m’est d’abord apparu comme un de ces projets fou qui perce on ne sait comment. Ni trop long, ni trop court, presque trop facile, le genre de sortie que votre « ami » hipster peut vous sortir entre deux verres de vin bio alors qu’il n’y pige que dalle au black metal. Méfiant, j’étais, évidemment. Mais, si je dois admettre qu’avec le temps, la seconde partie de ce méfait me paraît moins attractive et pertinente, il y reste ce sentiment de sacralité, ces chœurs slaves (ni russes, ni polonais, précisons), cette sensation d’assister à une messe en huit parties délimitées, cette ouverture qui fait ouvrir les bras face à une assemblée médusée, parce que vu l’apparat qu’affiche le groupe, ce sérieux quasi ostentatoire, cette dualité, vaut mieux chercher une critique de l’Église dans son absolution. Et vu l’aspect sociétal polonais régressif mais bien actuel, je ne pense pas que Batushka face office de lèche-cul envers le Seigneur et les dirigeants des parties traditionalistes. Mais ambiguïté, toujours, le groupe ne laissant aucune place à l’interprétation, Litourgiya garde ce cachet insaisissable qui fait rager les plumes de l’internet parce qu’on ne sait pas vraiment de quoi parler entre érudition quasi théologique (ce qui fait penser aux textes Bac +5 de Deathspell Omega) et black metal incisif qui ne racole pas dans le pathos misanthropique du fond de garage. Signé sur un label reconnu, jouant des rumeurs et officiant en Europe de la manière la plus théâtrale qui soit, Batushka reste une énigme, désirée et sans réponse. J’ai beau penser à autre chose, Litourgiya revient souvent dans mes soirées « écoutons du black metal dans le noir ». Allumez vos bougies, faites chauffer l’encens. Amen…
Jéré Mignon
http://batushkaofficial.com
https://witchinghourproductions.bandcamp.com/album/litourgiya