Wrekmeister Harmonies – Night Of Your Ascension

Night Of Your Ascension
Wrekmeister Harmonies
2015
Thrill Jockey

Wreckmeister Harmonies-Night Of Your Ascension

Voilà, le moment tant attendu où l’on se retrouve devant une page vierge, les doigts au-dessus des touches ne sachant pas sur quelles lettres taper. Seule l’imagination, le ressenti et peut-être les bières d’abbaye peuvent, à la limite, tracer un semblant de ligne directrice. En fait, il existe bien des manières de parler et de décortiquer un album de Wrekmeister Harmonies. Chaque sortie étant une nouvelle page blanche qu’il faut remplir, une nouvelle histoire à concevoir, retranscrire et raconter.

Et, cependant, je perçois toujours à l’écoute de ces morceaux aux durées marathoniennes, les premiers coups de crayons, d’abord légers frottements à la mine sèche, puis de plus en plus gras avant de passer aux pinceaux, à la couleur, couvrant les traits, d’abord évasifs avant de devenir plus francs. Les gestes se font brusques empilant les couches, chargeant l’espace jusqu’à obstruer la vision du spectateur face à une toile de Paul Rebeyrolle. Car l’œuvre picturale n’est-elle pas déjà une histoire ? Un travelling sur une portion d’imaginaire qui prend forme ?

JR Bobinson-Wrekmeister Harmonies-band

Certains diront que le rendu est cinématographique, et il l’est. Mais, pour ma part, je pencherai toujours pour un touché plastique et pictural s’inscrivant dans une chronologie (cette pochette au cachet tactile en est un exemple).

Bon, maintenant, c’est quoi Wrekmeister Harmonies ? Un (jeune) projet fou sorti de la tête de J. R Robinson, un musicien mélomane aux multiples facettes et au look de hippie en Doc Martens. Un écrivain du son convoquant autant la folk que la musique classique, le drone, le sludge ou le black metal. Ajoutons à cela que Robinson accumule les défis en invitant bon nombre d’acteurs de scènes antagonistes et de les faire cohabiter ensemble, chacun amenant son bagage, son style et son émotion, remplissant cases et chapitres. En soi c’est déjà un exploit, bien qu’il n’entre pas dans les records « gratifiants » du Guinness Book. Et je vous passe les noms, ce serait gratter des lignes pour rien mais chacun y trouvera à son goût, de la moue interrogatrice au piaffement nerveux. Une petite vidéo suffira pour vous convaincre de sa pluridisciplinarité (voir le lien plus bas).

J’ai-même éprouvé un certain doute de prime à bord, je dois l’avouer. Mais ce fourbe ne m’a pas berné bien longtemps. Quand on gère aussi bien ses intervenants (une trentaine ici), ainsi que leurs mises en place et progressions à ce point… Nondijuuuu !

Maintenant, autre chose, je ne vais pas m’empresser de résumer Night Of Your Ascension car c’est délicat et c’est le piège auquel il ne faut surtout pas tomber, ce qui est un tantinet chaud, mes agneaux ! On parle d’un titre d’ouverture du haut de ses 32 minutes marathon  arrivant à passer de l’atmosphérique sur voix diaphanes durant un rêve agréable pour glisser lentement, mais sûrement, sur des rebords plus scabreux, écornés et pesants avec un riff final, accompagné des gueulantes au papier de verre de Dylan O’Toole (Indian), qui me hante encore durant mes soirées solitaires. On parle aussi du titre suivant, et de fermeture, proprement suffocant dans sa progression, amenant un malaise voguant sur des disharmonies plombantes (merci The Body et les hurlements de corbeaux étranglés de Chip King). Et tout ça pour une raclure. Car, oui, on parle bien d’histoire, et d’Histoire avec un grand H, et celle dont nous convie Robinson c’est celle de la Religion et de la Mort au travers de deux personnages. On commence par Don Carlo Gesualdo, ce noble du XVIe siècle, génie musical ayant brutalement assassiné sa femme et son amant, ça pose l’ambiance, pour terminer par la raclure en question, le prêtre pédophile John Goeghan d’où on imagine aisément les tourments au fin fond de sa cellule avant sa mort brutale commise par son codétenu.

Et à l’écoute des dernières minutes de « Run Priest Run », nul doute possible, Robinson écrit ses textes avec son sang et des flammes, les cris proférés sont les repentis trop tardifs, perdus dans un maelstrom se densifiant davantage comme si on plongeait ses mains dans une matière spongieuse pour la traverser sans savoir toutefois ce qui s’y cache derrière. Car, en plus de peaufiner ses compositions, Robinson amène ses ambiances dans un retranchement d’où pointe une vague esquisse de sortie à plusieurs embranchements, signe d’une autre page à écrire. Et, si on me demande pourquoi j’affectionne autant Wrekmeister Harmonies, c’est que j’y retrouve tout ce que j’aime, pas plus compliqué que ça. Et en plus, il y a le mot « night » dans le titre de l’album (ajout du co-éditeur pour rigoler, en référence à la chronique de l’album Night Creeper écrite par ce cher Jérémy, celle du groupe Night Verses écrite par ce même co-éditeur, de même que sept autres papiers de C&O comportant tous le fatal « n » word, un véritable leitmotiv chez nous).

Jéré Mignon

https://wrekmeisterharmonies.bandcamp.com

Coup de Coeur C&Osmall

Note : Ceux qui aimeront le genre sont invités à écouter l’intéressant album Delirium Còrdia de la célèbre et énigmatique formation Fantômas. Dans les deux cas, le sombre et l’atmosphérique sont au rendez-vous, et pas qu’à petites doses !

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