Trioscapes – Digital Dream Sequence
Metal Blade Records
2014
La trame sonore d’un film noir où se déroulerait un récit surréaliste écrit par William S. Burroughs du genre Naked Lunch, la rencontre du personnage de Eraserhead et du musicien-réalisateur David Lynch, voilà ce que pourrait être Digital Dream Sequence (d’ailleurs, on imaginerait bien la pièce « The Jungle » jouer en fond lors d’une exposition carnée et plutôt faisandée de Lynch où sont insérés des morceaux de viande dans l’empâtement de ses peintures psychédéliquement troublantes).
La musique de Trioscapes est à la fois passionnée et névrosée. On y dénote une certaine folie, un puissant délire et un talent plus que certain pour l’évocation. Je trimballe cet album comme un état d’âme qui colle à la peau et qui décide de se prendre pour mon ombre. Le saxophone de Walter Fancourt fracasse mon âme jusqu’à la réduire en tessons de verre. Cet instrument est d’une terrible toxicité (dans le sens anglais du terme « intoxicating »). Je me demande même comment la plupart des groupes metal ou progressif peuvent s’en passer. Cet instrument a une dimension si unique…
Et que dire du solo de batterie de Matt Lynch entre 3:07 à 3:26 en plein cœur de la piste « From The Earth To The Moon » ? Déjantée et totalement délirée, la section qui débute avec ce solo de batterie et dégénère avec des lignes de basse pleines de distorsion et des arrangements inattendus nous laisse joliment sur notre derrière (parce qu’on est tombé à la renverse au préalable). Je me souviens avoir ressenti pareille sensation à l’écoute de « 21st Century Schizoid Man » de King Crimson (on y discerne d’ailleurs une folie et une inventivité communes).
Puis, dans toute cette complexité et ce lyrisme musical échevelé, on ne se rend pas compte qu’il n’y a aucune ligne de guitare ! Aucune ! Que nenni ! C’est la basse de Dan Briggs qui assure la partie harmonique avec toute son indépendance et sa rondeur ! Qui l’eût cru !
Franchement, cet album est un délice pour les oreilles. J’adore la folie créatrice de ces musiciens (folie que l’on peut d’ailleurs entendre, mais à un degré légèrement moindre, dans Between The Buried And Me, puisque Briggs fait à la fois partie de Trioscapes, BTBAM et de Nova Collective).
De l’acid jazz, du prog, du metal, mais principalement du jazz, voilà que l’on retrouve chez Trioscapes. Car le sax prédomine et « lead » du début à la fin de l’album comme une voix. Instrument principal ici, alors qu’on le considère secondaire comme un acteur de soutien dans la plupart des autres cas, le saxophone lyrique de Fancourt imprègne tout le reste. D’ailleurs, que seraient les albums Dark Side Of The Moon et In The Court Of The Crimson King, les groupes Ever Forthright, Shining, Zu, Diablo Swing Orchestra, Deep Limbic System, Kayo Dot et l’avant-garde metal d’Ihsahn sans saxophone ? (un autre sur lequel je vais revenir prochainement). Difficile de répondre, car ces formations ne reposent pas entièrement sur cet instrument, bien qu’il soit le sel qui permet à la sauce de révéler ses saveurs. Dans ce cas-ci, il va sans dire que tout partirait en couille si on y supprimait le saxophone, littéralement. Le sax est à la fois brique et mortier, structure et pan de mur. J’adore, tout simplement ! Ce n’est cependant pas pour toutes les oreilles… Cela dit, c’est pour les miennes, en tout cas !
Dann ‘the djentle giant’
https://trioscapes.bandcamp.com/album/digital-dream-sequence