The Body – No One Deserves Happiness

No One Deserves Happiness
The Body
2016
Thrill Jockey

The Body-No One Deserves Happiness

Par où commencer ?

Quand on tient entre ses mains un objet dont les règles d’écoute d’usage s’annulent automatiquement et que la règle première est, justement, de ne pas en tenir compte, on se retrouve instantanément perdu. The Body, c’est le corps, ce cadavre posé là aux yeux de ceux qui oseront poser un regard dessus. Il est putrescent, la fonction biologique faisant son travail qui lui a été accordé. Cependant, de cette décomposition émergent, ici et là, de nouvelles formes, organiques et/ou parasitaires. Les sens se brouillent. The Body sème ses graines au vent, tout en labourant généreusement et méthodiquement les genres dans lesquels il s’aventure au fil de ses nombreuses collaborations (Krieg, Sandworm, Thou, The Bug, Full Of Hell, Wrekmeister Harmonies), sans oublier les albums studios en un peu plus de dix ans. Le premier repère c’est qu’il n’y en a pas. C’est posé. Chaque œuvre est une page vierge, une toile dont le premier coup de pinceau n’a pas été donné. Alors, franchement, ne cherchez pas midi à quatorze heures.

Quand l’accroche de ce nouvel album, d’après Chip King, est d’avoir créé le pire album pop de tous les temps, on est en droit d’avoir un rictus sardonique sur une vague d’excitation au vu du pedigree du duo. Et le groupe de ne pas décevoir. De son titre d’introduction, nul doute permis, The Body transporte sur les chœurs féminins de The Assembly of Light Choir avant de déverser sa crasse, sa lourdeur « caractéristique ». Les guillemets ne sont pas pour faire joli, je précise. Parce qu’au lieu de rendre l’ensemble indigeste comme un gros doigt d’honneur dans la face, Chip King et Lee Buford réactualisent leur code qu’ils peaufinent années après années. Et le style de ce duo, il est surréaliste, minimaliste, volontairement outrancier, expressionniste même. Ce style ne se conforte pas dans des cases, il brûle les frontières tout en élaguant la haie du jardin au sécateur. En moins imagé, on pourrait dire que sous les rythmiques lourdes, les arrangements poissards, la voix hurlée et inquisitrice de Chip King (me faisant tout aussi curieusement que solennellement pensé à la mouette rieuse de Gaston Lagaffe), The Body, ce cadavre, a insufflé chants féminins profonds, touches de piano sur un nuage bruitiste analogique ainsi qu’un dérèglement des valeurs qui tord les boyaux.

The Body-band

Oui, No One Deserves Happiness n’est pas aisé à écouter. Oui, il est le pire album pop parce qu’il s’en fout royalement de ce qu’il est pop ou pas, parce que ce n’est pas vraiment le problème et puis, on s’en fout, non… Mais, il est aussi la fleur qui grandit et éclos sur le tas de fiente, ces chœurs féminins qui apparaissent telle une rosée après une froide nuit de printemps, cette propension à ne pas rentrer dans le graveleux et à laisser en toute politesse les ondées passer dans un sourire qui n’en ai pas un. C’est cette pochette. Ce regard cerné, épiant faits et gestes dans le salon, ce sourire crispé sous une couche de rouge à lèvre gribouillé par un enfant, le malaise qui se fixe sur un espace indéterminé, attractif, inquiétante étrangeté se dessinant sur les sillons d’un vinyle coloré de rose.

The Body, c’est intriguant, catalogué dans le sludge et consorts, alors qu’il s’en bat le steak, le cadavre ! C’est autant sa force de persuasion que sa fragilité qui fait tendre les mains. Sur ce coup là, les américains ont créé un album majeur, certains diront culte, d’autre essentiel. Bien leur en fasse, No One Deserves Happiness est une présence, une empreinte farouche qui étreint l’épaule pour mieux torturer le concept de l’âme. En cela, il est essentiel. Et si vous me demandez s’il existe un groupe qui ressort du lot cette année, il n’y en a qu’un seul à mon avis, et c’est : The Body.

Et maintenant, on commence par où ?

Jéré Mignon

Coup de Coeur C&Osmall

http://thebody.bandcamp.com

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