Terra Tenebrosa – The Reverses
Terra Tenebrosa
Debemur Morti Productions
Informe, entérique, malsain, on pourrait laisser libre court à son imagination la plus débridée comme on pourrait se téléporter dans ces espaces estropiés où seule la terreur rampe au niveau des chevilles. Terra Tenebrosa n’est pas un groupe à proprement parler ni même un buzz obscur, mais bien une entité; une forme de vie inorganique, un fantasme horrifique possédant son propre cadre, son univers, son accroche, son histoire, sa propre métaphore, son propre Charon voguant au sein d’un Styx fait d’épineux, sapins et autres formes végétales. Avec eux, une brèche s’ouvre, une tierce voix se fait entendre, des silhouettes masquées divaguent et les hypothétiques recoins de salut se raréfient autant que les éclipses se multiplient.
Quand les portes des enfers s’ouvrent, le terme stylistique d’avant-garde fait son apparition. Galvaudé, utilisé à toutes les sauces quand les mots manquent à l’appel, il est là, intrusif et solitaire, bête de foire des écrits critiques. Terra Tenebrosa est (pour l’instant) inclassable. D’un point de vue esthétique, c’est assez unique, certes. On sait que ce sont d’anciens membres des défunts Breach qui tiennent la barre, mais camouflés dans un apparat de diablotins statiques et anonymes. Visuels travaillés au poil, chaque photo donne l’impression de participer à une partie du jeu Slender Man. Forêt, obscurité, lampe-torche vacillante, apparition soudaine, coucou qui voilà, t’es mort… Voyez le topo ? Si faire sa diva peut se révéler anecdotique à me faire pousser un soupir qui fait tomber ma cendre de cigarette, on ne peut enlever cet aspect de l’impact musical. Car, avec Terra Tenebrosa, impossible de détacher l’image du son. Sludge, black metal, post-hardcore, ambient, tout se mélange dans une cohérence torturée jusqu’au bout du slip dans un reflet parfait. Pas un titre se détache, si ce n’est un passage atmosphérique grisant, un break tribal à la Neurosis, une rythmique flirtant avec le monolithisme de l’indus.
The Reverses est inaccessible et pourtant moins désordonné que les albums antérieurs. Celui-ci va direct à l’essentiel. Objectif terreur sans être ostentatoire, nauséeux mais jamais vomitif, le parfait funambule toujours à la frontière du grotesque mais toujours pesant, malaisé, de l’étrange à l’horreur en une étape. Une voix passée sous filtre allant s’accentuant, demandant même la participation de compagnons tout aussi répressibles par la brigade des mœurs. On trouvera parmi ceux-ci MkM (Antaeus, Aosoth) et surtout un Vindsval (Blut Aus Nord), dont la présence fait à peine froncer le sourcil vu les différents ponts pratiqués entre les deux formations, avec un monologue dans la langue de Molière sur l’apocalyptique et dernier morceau. Car jamais Terra Tenebrosa n’usera d’une violence ou d’une vélocité gratuite. Son tempo reste invariable, dès fois plus pesant voire absent, ses guitares sonnent comme un aplat de noir dont on rajoute des couches, ses voix trafiquées, filtrées, obsédantes, ricanantes ou bouffonnes, une ambiance, un de ces climat bien écorché, bien opaque qui emmène toujours plus loin au fond du terrier. Effrayant ? Oui, un peu. The Reverses, c’est un grimace, grinçante, manipulatrice, figée, d’où cet aspect monolithique qui semble peu affecté par une quelconque forme d’évolution, des titres calibrés selon un « critère » qui ne s’embarrasse pas des étiquettes. Un peu comme si on faisait une course, yeux bandés, mains liées au milieu d’une forêt. Le premier qui n’a pas le crâne défoncé remporte… Mais je ne sais pas quoi… La vie ou la mort ? enfin…
Alors, si vous aimez l’ambiance brouillard qui chatouille, les incantations interdites de Evil Dead et les pulsations passées sous broyeur à coup de pelle sur l’occiput, peut-être pourrez-vous tenter cette expérience théâtrale, hors-norme mais néanmoins plus accessible que les deux précédents opus. Attention, l’accessibilité ne veut pas dire que c’est « easy finger in the nose », hein ? Car ce qui restera après écoute ce sera la vision d’un masque rugueux aux yeux vides. Prévenu ?
Jéré Mignon
https://www.facebook.com/terratenebrosaofficial
Il y a 8 ou 9 ans, j’ai retourné un forum pour savoir ce qu’était devenu un chroniqueur, amoureux de la musique de Neurosis et de biens d’autres artistes qu’il m’aura permis de découvrir grâce à sa plume et son apparente facilité à mettre des mots sur des émotions et des ressentis. Il est donc très agréable aujourd’hui de le retrouver, ici, et par la même, découvrir de nouveaux artistes et des musiques qui m’interpellent, comme ce « The Reverses ». A creuser encore, mais la première écoute ne me laisse pas indifférente. Délicieusement malsain et angoissant. Merci à lui pour toutes ces heures musicales et de voyages intérieurs.