La Revue du Cybermetal

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Cybermetal : l’homme, la machine et l’horlogerie made in Switzerland

Tout un chacun connaît le metal industriel. Rammstein, Nine Inch Nails, Ministry, Pain, Mass Hysteria, KMFDM, Deathstar Assembly sont des noms qui vous dirons probablement quelque chose. Il en existe un nombre important, mais de notoriétés inégales. Comme pour le progressif qui possède une pléthore de sous-genres (rock progressif, space rock, mathrock, death progressif, death technique, djent, post-hardcore, metalcore, crossover prog, etc.), la musique électronique possède elle aussi son lot de déclinaisons. Du synthpop au dark electro, du drone et du dubstep en passant par le aggrotech et le Neue Deutsche Härte, on trouve une palette musicale variée, riche en couleurs et en variations, en ambiances et en violence.

J’ai personnellement une affection particulière pour la musique électronique qui donne dans la combinaison guitare/voix/batterie/basse avec claviers/échantillonnages et pédales à effets. Les musiques purement synthétiques ne m’attirent pas du tout (question de goût). Nine Inch Nails nous a introduit à cette fusion. Côté richesse sonore et expérimentation, on ne peut faire mieux. Reste la question des thèmes… Ah, là, on est gâtés, car depuis les premiers textes noirs et engagés de KMFDM et de Ministry, on a beaucoup évolué. Finie l’utopie, fini l’enthousiasme vis-à-vis du futur. La musique électronique dénonce elle-même la course folle à l’innovation technologique et à l’évolution hypermoderne du monde. Ironie, il va s’en dire, puisque la musique électronique elle-même profite de l’innovation des technologies qu’elle utilise.

Le cybermetal, s’il en est, est le genre le plus enclin à s’opposer au progrès outrancier. Le cybermetal est néoluddiste, ou presque. On a souvent l’impression que ce genre souhaite que l’humanité, aussi au bord du gouffre que possible, se précipite dans ce même abîme, condamné par lui-même comme pour expier ses travers et son non-sens. Le cybermetal, c’est la tour Eiffel envahie par le lierre, un cerf broutant les toits verts des mégalopoles, c’est l’océan asséché par un effet de serre généré depuis un siècle, c’est un amas de débris fait de nos cités triomphantes, des carcasses d’ogives, un paysage à la Terminator II.

Le cybermetal, c’est une combinaison agressive de metal extrême (dans les guitares) et de metal industriel plus conventionnel (du côté rythme, le genre fait autant dans la vraie batterie physique que le rythme programmé au synthétiseur). C’est une école un peu plus homogène que les autres sous-genres de la musique électronique. On croirait parfois que les groupes qui représentent cette sous-culture sont tous un peu guidés par le même leader. Le taux d’agressivité de chacun et la qualité du chant est ce qui diffère généralement entre deux formations. La formule globale, elle, est sensiblement la même (ce n’est pas une critique négative, mais un constat). On y décèle une précision mécanique du tempo, des fichiers sonores denses et ultra-compressés, des rideaux de guitares impénétrables, des voix artificiellement texturées et saturées de distorsion, une batterie synthétique et des échantillonnages qui viennent boucher les nano-fissures créées par le vide. Bref, le cybermetal souffre d’horror vacui.

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Wow, une pochette de disque inspirée de H.R. Giger, ça, ça me va ! Et sous cette image se cache une musique qui met en son ce visuel torturé. « What you see is what you get » (ou presque). Ma plus récente découverte elle celle du groupe italien Subliminal Fear (l’une des rares formations à ne pas faire du cybermetal sous le drapeau helvétique tout en en possédant les caractéristiques). Efficace formule revisitant la musique froide et techniquement parfaite du défunt groupe Sybreed. Leur second album, paru en mai dernier, ne comporte aucune fausse note. Chaque morceau est chirurgicalement élaboré, visiblement dirigé par un métronome au césium et une horloge atomique. Escape From Leviathan est probablement mon album préféré dans le genre. Il y a dans cette musique quelque chose de moléculaire, de texturé comme un white noise, un grain dans l’impulsion électrique qui génère le son. Difficile à décrire, mais facile à déceler à l’audition. Jugez-en par vous-même :

https://subliminalfear.bandcamp.com

 

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Dans le même registre, toujours, la formation suisse Clawerfield a elle aussi quelques tubes dignes de mention. Détenteur de deux albums et d’un maxi sorti il y a quelques semaines, le groupe de Thoune, dans le canton de Berne, nous offre aussi une musique franche sans bout qui dépasse. Une musique mécanique programmée visiblement par un logiciel extra-terrestre qui se joue de la nano-seconde. Leur premier album, Circular Line (2013), relevait de la réussite d’un greffon de death à un organisme typiquement industriel. J’estime que cet album est un apéritif pour ne pas subir d’indigestion avant d’attaquer Engines Of Creation (2014), la réussite de la formation. Ironiquement, la chanson « Emotion Zero » crée chez moi une gamme d’émotions marquantes : j’ai cette impression de voyager dans le futur à coup de bits et de hertz. En revanche, je n’en dirais pas autant du maxi Butterfly Of Smoke (2016) qui m’a laissé de glace et de pierre… mais bon, tous les goûts se discutent !

https://clawerfield.bandcamp.com

 

Dans une nuance de gris tout aussi réjouissante (quoi que plus anthracite encore), le groupe Breach The Void donne aussi dans le béton, l’acier, la sillice et les polymères. Un peu plus artificiel et plus synthétique que le gazon du voisin d’à côté ou le grain de Mosanto, l’album de 2010 fait partie malgré tout de mon palmarès. On se demande pourquoi il n’y a pas eu de lendemain à Monochromatic Era. Peut-être est-ce parce que les voix ne sont pas assez puissantes, que la musique est beaucoup trop lissée, vitrifiée, pressée dans un moule où tout est compressé. C’est une musique à la Procuste (ce personnage mythologique qui coupait les membres des voyageurs trop grands et étirait jusqu’à rupture les bras et jambes des voyageurs de trop petite taille pour son lit).

www.facebook/breachthevoid

nakaruga-terramorpher

Un autre incontournable du genre est Nakaruga. De Suisse, toujours, le sextuor de Lugano, dans le canton de Tessin, autoproduit ses propres disques et peaufine son ouvrage sur de très longues périodes. Et le résultat en vaut toujours la peine ! Or, en se questionnant sur leur origine, on se demande : « qu’est-ce que le pays du chocolat et de l’horlogerie a à entretenir une pareille musique ? ». Je l’ignore, mais il semble que le style musical s’y ait bien implanté. On aurait tendance à croire que par ses sujets tels que la technologie, la surpopulation, la conquête de l’espace, l’établissement de colonies humaines sur d’autres planètes et l’industrialisation effrénée que cette musique aurait trouvé foyer dans une Allemagne progressiste ou un Japon hyperindustrialisé. Elle ne semble pas cadrer avec la beauté sublime des Alpes.

Mais enfin… cette formation, aussi agressive qu’elle soit, empiète légèrement sur les territoires du djent. Plus complexe et nuancée que celle de ses compatriotes plus industriel, la musique de Nakaruga est techniquement riche et ses mélodies à la guitare sont moins brutes, moins monolithiques. On se lasse moins d’écouter leurs albums Nakaruga (2008) et Terramorpher (2015) que bien d’autres formations cybermetal à formules. Et pour les amoureux de sampling, Nakaruga a de quoi vous inspirer. Le moindre vide hertzien est comblé par un échantillonnage, complétant le rideau sonore très dense des guitares et l’assaut auditif de ses batteries synthétiques aux rythmes syncopés.

https://nakaruga.bandcamp.com

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Parler de cybermetal et ne pas mentionner Sybreed est l’équivalent de parler de rock progressif et de ne pas nommer Pink Floyd. Sybreed, c’est la noyau atomique du cybermetal, son A.R.N. Sans Sybreed, la génétique du cybermetal manque un chromosome, littéralement. Fondée en 2003 à Genève, la formation suisse enchaîne succès après succès (dans la sphère de l’industrial metal, on s’entend…). La production de leurs albums est très égale, c’est-à-dire qu’elle est toujours impec, gracieuseté de Drop, guitariste du groupe et propriétaire du studio The Drone où la formation enregistre tous ses morceaux. Les textes de Benjamin Nominet (chant) sont toujours axés sur l’anticipation, avec ce regard défaitiste, voire fatal, sur le sort de l’humanité moderne. On y sent la corrosion, la pluie acide, l’odeur de la rouille et du béton mouillé. Une belle saloperie, quoi !

Sybreed fait une musique intelligente et novatrice. On n’avait jamais rien entendu de tel avant l’arrivée du groupe genevois. On pourrait même dire que la plupart des groupes de cybermetal clonent celui-ci ou du moins s’en réclament. Par contre, on pourrait ici affirmer que Sybreed est souvent imité, mais très rarement égalé. Il est donc difficile pour moi de retenir un morceau ou un album en particulier pour vous aider à vous faire une idée. Or, si j’ai à faire un choix parmi tous leurs titres, je crois bien que la pièce « Nomenklatura  » et l’intégralité de l’album The Pulse Of Awakening (2009) figurent en première position dans mon top 10 de la musique électronique. Or, Slave Design (2004) est aussi mon album chouchou, car c’est lui qui m’a introduit au monde du cybermetal en particulier. Enfin, disons que le seul aspect négatif du groupe, c’est sa dissolution officielle annoncée l’an passé. À souhaiter que les membres de la formation éprouvent une nostalgie du studio et de la scène, au grand plaisir des fans dont je suis.

https://listenable-records.bandcamp.com

***

D’autres formations sont également de grand intérêt de par la qualité de leur production et leur lourdeur salvatrice qui confère à la catharsis la plus totale. Il me semble qu’avec ce genre de musique, on fait un énorme doigt d’honneur à la productivité folle de ce monde en déroute, on manifeste en petites bandes contre ce système débridé dont nous n’aurions pas pu anticiper la portée et les limites il y a moins d’un siècle au temps du socle, du cheval et du charbon. Des autres formations qui me semblent d’intérêt, les groupes Interbeing (Danemark), Conflict (Russie), Cipher System (Suède) et Ever Since (Suisse) sont ceux qui attirent principalement mon attention.

Par leur énergie, leur lourdeur, par la qualité de leur instrumentation et leur soif d’exploration sonore, on a envie de dire : « foutons le feu et rebâtissons sur les cendres du monde ! » (c’est une métaphore, précisons). Et puis, si vous voulez vraiment goûter à la rage fait machine, Tyrant Of Death est pour vous ou votre âme de replicant… Ne pensez pas rêver de licornes ou de caresser le grand duc de Tyrell, pensez plutôt à ce que vous répondriez si on vous demandait ce que vous feriez si vous trouviez une tortue renversée exposée au brûlant soleil du désert. Eh bien, Tyrant Of Death, c’est l’énorme coup de fusil de Leon dans le bide du blade runner Holden lors de son test de Voight-Kampf… Pas fait pour tout le monde et toutes les oreilles, mais lourd et dur comme l’osmium (donc plus lourd que le simple métal) et corrosif comme la salive de xénomorphe. Bon, suffit la geekness… retour au monde réel ! Bonne semaine !

Dann ‘the djentle giant’

Bon, eh bien le cours Cybermetal-101 est terminé. Vous trouverez ci-joint la liste de vos lectures complémentaires pour le prochain séminaire :

  • Subliminal Fear Escape The Leviathan (2016)
  • Clawerfield Circular Line (2013)
  • Clawerfield Engines Of Creation (2014)
  • Clawerfield Butterfly Of Smoke (2016)
  • Breach The Void Monochromatic Era (2010)
  • Nakaruga Nakaruga (2008)
  • Nakaruga Terramorpher (2015)
  • Sybreed Slave Design (2004)
  • Sybreed Antares (2007)
  • Sybreed A.E.O.N. (EP 2009)
  • Sybreed The Pulse Of Awakening (2009)
  • Sybreed Challenger (EP 2011)
  • Sybreed God Is An Automaton (2012)
  • The Interbeing Edge Of The Obscure (2011)
  • Conflict Prototype (2009)
  • Conflict Transform Into A Human (2014)
  • Cipher System Central Tunnel Eight (2004)
  • Cipher System Communicate The Storm (2011)
  • Ever Since Between Heaven And Hell (2006)
  • Ever Since Bring Out The Gimp (2014)
  • Tyrant Of Death Re-Connect (2012)
  • Tyrant Of Death Cyanide (2012)
  • Tyrant Of Death Nuclear Nanosecond (2013)
  • Tyrant Of Deat Ascendency (2014)
  • Tyrant Of Death Ion Legacy (2015)

5 commentaires

  • Guillaume Beauvois

    Mais…mais… il manque Fear Factory non ?! 😉

    • Dann

      perso, j’estime que Fear Factory est davantage dans le metal industriel ‘at large’ et non pas dans le cybermetal spécifiquement. La différence est dans le son. Et puis, FF comporte toujours de la vraie batterie, le côté aussi très, voire trop lissé du cybermetal et son côté artificiel sont moins présents chez Fear. Fear, pour moi, est plus près du metal que de l’électronique. On pourrait par contre le classer comme un ‘chaînon manquant’ qui fait le pont entre les deux univers.

      Enfin, à ce compte, Combichrist et KMFDM, Wumpscut et Deathstar Assembly pourraient faire partie du nombre… mais côté sonorité, c’es vraiment indus pur (à mon avis, toujours).

      Je sais pas si je m’explique clairement. Il faut que tu écoutes les albums que j,ai cité un par et un et tu comprendras la filiation du son cybermetal et ce qu’il a de légèrement différent d’avec l’industrial metal à proprement parler. C’est subtil, mais marquant. Le cybermetal est hyper stérile et compressé côté son. L’industrial possède un plus large spectre et des défauts qui le rendent plus ‘humain’, plus ‘naturel’. Enfin, ce sont des perceptions et de la classification outrancière, j’en conviens.

      • Lucas

        Pas que fear Factory, il faut aussi mentionner le « millenium » de front line assembly (avec hevy devy en guest sur 3 morceaux) et le « passage » de samael. Bref les premiers pas du cyber Metal ont été franchis au milieu des 90’s.

  • Salut ! Une petite modération s’impose. Je rappelle à la team de C&0 que la rubrique « commentaires » n’est pas un forum de discussion pour les chroniqueurs, mais un espace de réactions et d’échanges dédié à nos lecteurs (à eux de lancer l’initiative, et là, tout le monde peut participer pour avoir son droit de réponse et apporter son point de vue et son expérience 😉 )
    Comptant sur votre compréhension.
    PV.

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