Orissa – Resurrection
Orissa
Autoproduction
Comment diable peut-on faire une musique si complète, si complexe, si structurée, si dédalesque en étant seul maître d’œuvre ? Comment peut-on procéder ainsi de génie sans mériter quelques distinctions ? Car si la musique d’Orissa peut facilement être associée à celle du légendaire groupe Tool, celle-ci ne récolte pas la même notoriété. Mais pourquoi donc, puisqu’à mon oreille, la musique du projet new-yorkais me semble tout aussi complexe et éthérée que celle de la bande à Maynard J. Keenan.
Orissa, c’est l’œuvre d’un seul homme : David Allan Dodini. Le musicien américain, seul compositeur du projet, est également multi-instrumentiste. Seule la batterie et les instruments à vent disséminés ça et là à travers l’album sont assurés par d’autres musiciens. Basse, voix, guitares, claviers, instruments virtuels, tout transite entre les mains de maestro Dodini. J’ai d’abord découvert l’album Resurrection en parcourant la collection d’un abonné de Bandcamp parmi mes contacts (pour qui connaît Bandcamp, il est possible de voir les collections de disques virtuels d’autres membres dont les intérêts sont similaires; y sont même dénombrés les albums que vous avez en commun avec certains abonnés et vice-versa). Un membre du site, mélomane compulsif comme moi et possédant quelques 35 albums qui sont également dans ma propre collection, a suscité ma curiosité. « Si ce mec possède autant d’albums communs aux miens, il doit bien y avoir quelques bijoux dans sa collection qui pourraient aussi m’intéresser, me suis-je dit ». Et mon instinct ne m’a pas trompé. J’ ai trouvé un tas d’albums qui avaient échappé à mon radar et que je me suis empressé d’ajouter à ma « wishlist » Bandcamp. Or, parmi les découvertes d’albums via cette page de membre, un album a piqué ma curiosité plus que tous les autres. Il s’agissait du second opus d’Orissa.
On ne devrait pas juger un livre à sa couverture, ni un homme à son visage, pas plus que nous ne devrions juger un disque à sa pochette. Mais parfois, ce que l’on voit s’avère être fidèle au contenu. C’est ici le cas. À l’image d’une musique méditative, transcendante et parfois ésotérique, la couverture de Resurrection rappelle la nadānta, la danse cosmique de Shiva dont l’influence engendre la destruction du monde pour en créer un nouveau. Ici, une figure féminine caucasienne métissée vêtue d’un vêtement traditionnel et d’ornements hindous tient dans ses multiples bras des planètes à l’aura flamboyante. La musique d’Orissa, à l’instar de cette image des plus symboliques, exhorte à un respect mêlé de fascination envers les forces du monde, appelle à une réévaluation de notre vision du monde, de notre place dans l’univers, de notre époque qui, bien que nous le pensions autrement, n’est qu’une époque parmi tant d’autres, pas plus glorieuse, pas plus sanglante quand on y pense. L’atmosphère générale de ce disque est celle de la méditation, de l’introspection sincère qui mène à l’éveil spirituel (en premier lieu) et à l’éveil universel (dans un second temps). Il n’est pas non plus exclu que le message à en retenir est que le monde n’est qu’illusions et que malgré notre matérialité, la vie, le temps, l’univers ne soient que purs effets secondaires de la conscience.
Enfin, outre cette conceptualisation plutôt originale, quoi que loin d’être nouvelle puisqu’on l’a vue dans le metal plus métaphysique des susnommés Tool, et des formations telles que Born Of Osiris, Gojira, Karnivool, The Contortionnist, Kardashev et Kartikeya, la musique est excellente et convaincante, réellement bien produite, rythmée à fond comme tout bon metal progressif digne de ce nom, et ponctuée d’accalmies où l’on peut sentir sans odorama les effluves d’encens, mais aussi les cendres d’un feu évanoui, le vent humide et salin provenant d’un détroit entre deux montagnes sacrées, l’eau calcaire d’une source éternelle et pure, la terre matricielle et le pétrichor. La musique d’Orissa revêt un sens du sacré, du grand, du fondamental, de l’originel. Mais elle n’est pas lourde comme l’enseignement, comme le purisme, la dévotion ou l’attrition qu’exigent la culture méditative stricte des millénaires. Elle est légère, naturelle, attirante et sensuelle parce qu’elle suscite et implique tous les sens.
Et comme dans l’introduction de la pièce « Circle x », vous vous réveillerez au son vibratoire du bol chantant tibétain et du tintement des tingshas. Vous vous retrouverez dans un autre dimension, lévitant au-delà du monde et toisant cette sphère bleuâtre et tourmentée en vous disant : « j’étais bien, perdu dans cet univers sonore et immatériel, pourquoi dois-je revenir ici-bas dans cette vallée de larmes, de violence et d’animalité ? ». La réponse est simple, mon ami, le disque est terminé.
Dann ‘the djentle giant’