Musical monologue : le death progressif d’Ordinance
C’est arrivé comme ça, par un hasard aussi fortuit que la rencontre d’un astéroïde avec l’un des milliards de milliards de corps célestes (la Terre), engendrant de ce fait la vie. Bon, d’accord, je suis tombé sur la musique du groupe death progressif Ordinance par hasard il y a environ 1 an, mais il s’agit d’un hasard de moindre importance que la genèse du monde, il va sans dire. Quoi qu’il en soit, je me suis dit qu’il serait bien de colporter la bonne nouvelle : il existe du death intelligent qui ne fait pas que tabasser les poubelles en aluminium et parler de mutilation, de guerre, de mort ou autre sujet sombre du genre. Il s’agit du death progressif, un genre hybride qui conjugue violence et intensité, mais aussi virtuosité, instrumentalité et harmonies. Oui, oui, j’ai bien dit harmonies. Car le death progressif du groupe originaire de Baltimore dans le nord-est des Etats-Unis, relève de la chimie entre les harmonies vocales et instrumentales. Bref, un élément n’annule pas l’autre, mais le complète et le magnifie.
Familier avec le death mélodique de Soilwork, de Persefone et de Disharmonia Mundi ? Le death plus brutal de Morbid Angel, Divine Heresy, Carcass, Obituary, Deicide, Suffocation et autres noms de groupes pour fossoyeurs en herbe, ça vous sonne une cloche ? Vous connaissez le death technique d’Obscura, Necrophagist et Cephalic Carnage ? Bon, si ce n’est pas le cas, peut-être vaut-il mieux cesser la lecture de ce papier sur le champ (vous avez mieux à faire, j’en suis sûr). Ordinance ne vous plaira pas davantage que les groupes nommés. Au mieux, la formation du Maryland vous rebutera peut-être moins, car elle présente des accalmies, une alternance entre le chant guttural et sépulcral du death « classique » avec le chant plus clean que l’on retrouve dans des genres plus neufs tels que le metalcore et le djent (genres auquel vous êtes habitués avec moi). D’ailleurs, il me semble que ce souci pour la nuance fait en sorte que la technicité de la musique en est décuplée, puisqu’elle fait montre de modulations, de variations et d’exploration profonde dans l’univers infinitésimal du spectre sonore.
Le premier album, Internal Monologue (2011), est mon chouchou. Pas un titre ne me laisse indifférent. La cervelle me pétille à chaque mesure, sollicité par le foisonnement de notes qu’offrent nos guitaristes et la rondeur caractéristique du jeu de batterie d’Alex Rüdinger, le jeune génie mitrailleur à qui l’on doit les riffs endiablés et hallucinants de Burning Shadows (2006-2008), du grandiose groupe death mélodique canadien Threat Signal (2011-2012), de l’éphémère quoiqu’excellent groupe djent The Haarp Machine (jusqu’en 2013), des rythmes djent de The Faceless (en 2013 et 2014), puis des nouvelles formations Good Tiger et Conquering Dystopia (et le môme n’a que 24 ans !). Le jeune Alex a même participé en tant que « live drummer » à des spectacles de Monuments (le groupe anglais favori de la scène djent) et Revocation (une autre merveille de formation death mélodique).
D’entrée de jeu, ce premier album nous convie à un banquet musical où tout est disponible et à profusion. On nage dans l’opulence et la variété, pénétrant dans l’introduction glauque et quasi-funéraire de « Seldom Thought » avant d’être catapulté à toute vitesse à travers le mur de brique qu’est « Opposition », un titre digne des monuments du mouvement death. Vient ensuite ce pourquoi le groupe est né, « the real thing », si vous me permettez l’expression. Déjà, à la troisième piste, on comprend rapidement à qui on a affaire. « Repress » martèle du double bass-drum et monopolise le tambour et le tympan de l’oreille pour ensuite le caresser de son doux et suave refrain. De la délicieuse torture, quoi ! Et les mecs d’Ordinance remettent ça, faisant la même chose avec « Desensitizing Process », le titre suivant…
Et ça continue comme ça pendant près de 40 minutes ! Pour ceux qui aiment que ça matraque de long en large et que ça hurle sempiternellement, le coït s’interrompt brusquement et sans crier gare. Pour ceux qui aiment les douces mélodies, vous n’en aurez que très peu, mais il y en a, enfouies qu’elles sont au cœur de riffs lourds et très techniques. La pièce éponyme illustre d’ailleurs très bien cet « entre-deux », ce compromis très réussi entre le couteau et la dentelle, entre le cuir et le velours, entre le charbon et le diamant taillé finement. En ce qui me concerne, la pièce « Internal Monologue » est ce que j’ai longtemps cherché dans le metal. J’ai même cherché ce type de titre pendant près de 15 ans, c’est vous dire ! Et puis, voilà, je suis tombé sur un nombre considérable de formations death mélodique plutôt récentes puis sur Ordinance (tout récemment, comme je vous le disais plus tôt). Tout ça commence à se raffiner, comme si les « metalleux » avaient compris qu’il n’y avait aucune obligation à la brutalité intégrale et qu’insérer certaines harmonies dans leur chanson ne mettait aucunement en doute leur si précieuse virilité…
En tout et pour tout, l’album Internal Monologue livrait une pièce d’anthologie metal qui devait difficilement être supplantée a priori. C’était mon avis. Et tout ça grâce à notre gentil et talentueux Mike Semesky, la voix derrière Ordinance, Intervals, Raunchy, Rest Among Ruins, The Haarp Machine et, petit scoop : chanteur dans le prochain Fallujah !!! Mais voilà, le quatuor américain devait récidiver et faire monter les enchères en février dernier, livrant un second album des plus attendus. Oh, putain…
Comment parler de Ides Of March tout en étant pertinent et juste ? Je n’en ai aucune idée. Il faudra pourtant bien m’y coller, puisque je dois livrer la marchandise. Eh bien, pour commencer, quand on pense qu’on a atteint des sommets de délice et que l’on ne peut faire mieux, il arrive parfois que la vie nous convainc du contraire. C’est ce qui m’est arrivé, justement. Le nouvel album d’Ordinance frappe là où il faut, contraignant le corps à se recroqueviller malgré sa robustesse. Des pièces telles que « Bloodwine » et « Of The Fatherland » m’ont envoyé un sacré uppercut droit dans la gueule. Encore une fois, la voix d’outre-tombe de Semesky nous laisse croire d’emblée que celui-ci va finir par s’arracher la trachée à force de s’époumoner alors qu’il alterne finalement avec un chant de ténor clean et haut perché à la djent (écoutez le passage à 1:20 de « Of The Fatherland », vous allez voir !). Et toujours ces riffs poignants, ce shredding mortel et ces blast beats qui tuent, ces lignes de guitares qui épuisent si on tente de les suivre et la batterie qui défit la vitesse du son et de la lumière combinée. Du grand art, les amis, du grand art, c’est ce que c’est !
Putain, je n’en peux plus. Autant d’orgasmes auditifs en aussi peu de temps, ça épuise. Surtout que ça ne s’arrête pas là. On n’en est qu’à trois titres sur quatorze ! Car « Heir Avid » procède de la même façon, toute en virtuosité, en lourdeur et en communion (allez à 3:45, c’est trop fort !). S’il y a un bémol à émettre, c’est que le death caractéristique du groupe est parfois laissé au profit des tendances djent de l’heure. Je devrais pourtant m’en réjouir, moi qui suis un fan fini du genre, mais j’aurais tendance à dire que ça sent la recette tout ça. J’ai un doute quant à l’honnêteté des compositeurs. Et si ce virage « djentiste » était une occasion de saisir une vague de popularité ? C’est ce qui m’est venu à l’esprit à la première écoute de « Forwarn, Forsake » et « Denarius, « Divine Right » et « Fear Of Discovery », quatre hymnes dans la trempe des usuels Skyharbor, The Haarp Machine et Monuments (bon, peut-être que l’implication de Semesky et Rüdinger dans ces formations y est pour quelque chose après tout).
Mais qu’à cela ne tienne, honnêteté ou non, j’ai adoré… Et puis, la thématique de l’album est axée sur la trahison et le meurtre de Jules César par Brutus et les sénateurs, comment aurais-je pu, en tant qu’historien de formation, ne pas être séduit ? Du metal intelligent, ça existe, je le dis et le redis… Et puis zut, je donne à ces deux albums un « goddamn-motherfucking-bloody » 10 sur 10, rien de moins. Pardonnez ma vulgarité, mais elle fait montre de mon intensité à l’égard de ces deux chef-d’œuvre. Siskel et Herbert auraient dit « two thumbs up » devant un bon film indépendant, moi, je dirais même plus : « two thumbs up, and two other ones to show my sincere approval ».
Dann
https://ordinanceofficial.bandcamp.com