Ihsahn – Eremita
Candlelight Records/Menmosyne Productions
2012
Ihsahn, une autre étrange bestiole du monde metal… C’est quoi ce groupe ? Ce n’est pas un groupe, c’est un mec ; un compositeur norvégien d’une incroyable polyvalence. Un multi-instrumentiste et un musicien qui a la pêche dans plus d’un style, c’est ça Ihsahn. C’est également le guerrier affublé de « war paints » du légendaire groupe Emperor. C’est également l’explorateur musical du groupe Peccatus, de Thou Shalt Suffer et du projet folk metal Hardingrock. En plus de baigner dans le metal tout accabi, le mec est également éditorialiste chez Metal World, en plus d’être producteur et professeur de guitare ! On s’entendra donc pour dire que Vegard Sverre Tveitan, dit Ihsahn (ça fait plus simple), a tout un pedigree !
Ihsahn, en tant que musicien en solo, en est à son sixième album. On se souviendra de The Adversary (2006), avec son amalgame de progressif triomphant et de reliques black metal, de AngL (2008), une œuvre à la fois black metal et progressive où apparaît Mikael Akerfeldt de Opeth le temps d’une chanson, puis de l’excellent album After (2010) sur lequel débouchera notre incroyable découverte, celle de l’album Eremita, paru en 2012.
C’est lors des exquises pièces « Undercurrent », « Heaven’s Black Sea » et « On The Shores » que se dessine pour la première fois la trajectoire nouvelle d’Ihsahn, celle où il intègrera éventuellement quelques mesures de saxophone à son metal pour donner à son black progressif une dimension tout à fait nouvelle ; un bref aperçu du greffon de jazz fusion que l’on retrouvera plus tard comme une hybridation naturelle dans une portion malheureusement isolée de la discographie de l’artiste.
Grandioses, magistrales, les titres mentionnés plus haut préfigurent l’avant-garde qui caractérisera plus tard la musique d’Ihsahn. Voix supplémentaires qui haussent le ton et l’aspect symphonique de la chose, les mesures de cuivre de cet album sont folles comme le vol d’un oiseau ivre. On a droit au grand concert d’un héritier de Wagner et de Mahler pour qui l’orchestration n’avait d’égal que les orages et les typhons. Avec Ihsahn, c’est pareil, mais encore plus multidimensionnel…
Ici, au cœur d’Eremita, en toute violence et en toute harmonie, on poursuit la pèlerinage sur une voie déjà tracée deux ans auparavant. En fait, pourquoi parler d’un album paru en 2012, alors que Das Seelenbrechen (2013) et Arktis (2016) sont apparus plus récemment sur le marché ? C’est que les deux derniers disques ne m’ont pas semblé si exceptionnels. Certes, on y trouve de bonnes idées, des ambiances incroyables qui nous font voyager en plein brouillard de novembre jusqu’aux neiges éternelles des sommets hyperboréens ; le compositeur fait également mention de son inspiration puisée dans la musique névrosée et possédée de Diamanda Gallas (pour qui connaît, nul mot n’est utile, mais pour qui ne connaît pas, imaginez une artiste extravagante, toute vêtue de noir à la Morticia Adams, qui détestent la plupart des artistes et fait de sa voix une trainée d’ongles sur une ardoise ou bien un couteau au diamant grinçant doucement sur le verre). Mais je revendique plus d’originalité que ça, ou du moins, plus d’efficacité. Et comme Ihsahn sait y faire côté exploration musicale, j’opte pour un album plus couillu du genre Eremita. En fait, j’aime bien l’aspect Opeth de Das Seelenbrechen, mais le côté un peu mou, plus léthargique me soûle (en revanche, ça peut être au goût de plusieurs). Idem pour Arktis, c’est un album très opethien qui a du mérite, mais ce n’est pas ce que je retiens de cet artiste. C’est son éclatement qui me plait et me séduit. Il faut toutefois remarquer, voire souligner, que l’artiste n’aime pas rester cantonner à un style ou à une idée.
Revenons-en à Eremita pour un bref instant. J’ai une profonde affection pour les cuivres, là où on s’en attend le moins, comme dans le black metal progressif du groupe grec Aeneon, tout comme ici, au cœur-même de ce disque. Mais outre cet aspect qui, je le sais, peut en rebuter plusieurs, il faut aussi faire la part des choses : Eremita renferme presque à lui seul la moitié du registre metal à la façon d’une encyclopédie sonore. Du death symphonique, on passe au black metal norvégien, en passant par le metal prog, le prog rock à la Opeth (comme on l’a déjà dit), en plus de flirter avec le jazz fusion. Ça, c’est un point. L’autre aspect brillant de cet opus est qu’un seul morceau intègre parfois plusieurs genres, dans des contextes parfois loin d’être évidents. On s’imagine mal les transitions apportées par l’artiste d’une mesure à l’autre. Si vous aimez la redondance, désolé, vous n’en trouverez pas !
Chanteur aux mille spectres vocaux (passant du chant ténor au screech ou au growl), guitariste talentueux dont la technique est aussi vaste que les steppes, claviériste de renom, Ihsahn est tout cela. Et celui-ci se livre totalement. Il n’y a que la batterie qu’il laisse à d’autres (on ne peut pas être parfait !). Et comment fait le mec quand il se produit live ? Eh bien, il appelle ses amis de Leprous pour l’accompagner sur scène… c’est y pas génial !?
58 minutes de musique en montagnes russes, des descentes aux enfers les plus chtoniens aux élévations vers les empyrées, c’est ce qui vous attend avec Eremita. Mais au passage, si vous le pouvez, et si vous le voulez, tapez-vous l’écoute de l’album After. Il s’agit, en mon sens, d’un superbe diptyque (bien que l’artiste ne l’ait pas envisagé ainsi). De la lumière, vous marcherez vers l’ombre, puis à nouveau vers la clarté aveuglante et salvatrice ; du clair, vous vous rendrez vers les recoins obscurs de votre existence, puis vous reviendrez ensuite à la vie, réanimé par un défibrillateur. Noir/blanc, sombre/étincelant, une œuvre bipolaire qui pourrait seoir à ravir aux mélomanes un peu fous, dont je suis le saint patron.
Dann ‘the djentle giant’
Impressionnant. Merci saint patron (-;