Gnaw Their Tongues – Abyss Of Longing Throats
Gnaw Their Tongues
Crucial Blast
Quand une voix lugubre et chuchotante vous susurre à l’oreille la question, « as-tu déjà touché les ténèbres ? », le plus intéressant ce n’est pas de savoir, si oui ou non on vous a posé la diabolique question, mais plutôt si vous avez déjà eu affaire à ce genre de manifestations (plus ou moins dérangeantes selon le point de vue) en vous mettant, au choix, les noix dans une pince à tenailles ou de vous faire brûler le bout du gland avec de la cire. Ce qui est plus crucial, c’est davantage de connaître si la chose qui pose la question, là, a déjà entendu parlé de ce petit projet qu’est Gnaw Their Tongues. Parce que niveau domination, on pèse d’un coup plus large sur la balance. On parle souvent de l’ambiance malsaine du black metal (c’est connu pour), ou du souffle morbide du death (ça va avec), mais avec Gnaw Their Tongues on upgrade d’un level facile.
À une époque où le maquillage « corpse paint » prend la pose sur des t-shirts certifiés H&M, quand on ne rigole pas carrément devant ces têtes de panda gambadant dans la neige (vous savez, les Immortal, Satyricon, Dark Funeral et compagnie), le souriant musiciens hollandais Maurice de Jong, dit Mories, broie nos dernières certitudes ainsi que les dernières poussières d’espoir qui traînaient. Bien que le monsieur erre ses relents putrides sur la scène underground, rayon catacombes, depuis maintenant quinze ans, son nom ne m’est réapparu que depuis la sortie du dernier album et avec lui son univers reconnaissable : un choix esthétique graveleux et malsain avec des pochettes ayant trait aux perversités les plus diverses (la dernière n’étant pas avare en la matière, bien que plus « sobre » – insistez sur les guillemets) et surtout un mélange de black metal crasseux, un peu doom, pas mal sludge, 100% charnier sur une noise acérée et compressée à l’atmosphère morbide et dérangeante, laissant le même goût dans l’œsophage qu’une mucite carabinée.
Gnaw Their Tongues c’est un peu le summum de l’horreur en écoutable, ce qui se fait de « pire » (bien que Mories, avec l’expérience, façonne dorénavant des segments plus aérés et moins concassés). Cet album-ci renvoie à la bande-son typique du film d’horreur underground (orchestrations comprises), tellement sale qu’on imagine aisément quelques cadrages craspecs pour scène de torture imaginative (si on n’est pas déjà englouti dans ce maelstrom sonore). Parce que Gnaw Their Tongues, avant tout, c’est une ambiance, flippante, entre les délires les plus tordus de la vague bruitiste japonaise des 80’s (le fameux « noise ») et des souffles sulfureux d’un black metal carnassier.
Ici, pas de mythologie de divinités disparues ou de croyances sacrificielles sur l’autel du grand cornu mais juste la saloperie qui traîne dans les égouts de la vie actuelle, pernicieuse et voisine. Le mélange ne pouvait que détonner et à l’écoute de ce Abyss Of The Longing Throats, on y ressent le même malaise bien que moins ostentatoire et plus travaillé qui n’efface pas quelques écueils à la frontière du kitch. Parce que, non, je ne me suis pas roulé en boule dans mon lit, je n’ai pas regardé en dessous de mon canapé-lit et je ne toise pas mon boucher comme un psychopathe adepte de snuff-movies sportifs.
Ceci étant énoncé, peut-être que la surprise du passé (pas si lointain) s’est transformé en un ensemble de codes dont on attend les conjonctures ou que mon seuil de tolérance se soit modifié. L’album reste, néanmoins, malaisé tout en étant écoutable, variant les rythmiques, généreux en hurlements et débordements variés. Et j’avoue que, même si je ne ressens pas l’oppression suffocante de l’album All The Dread Magnificence Of Perversity (2009), Gnaw Their Tongues reste toutefois synonyme de danger, de tabou, de peur, d’une porte cadenassée qu’on ne doit pas ouvrir tel un secret qui ferait mieux de rester dans sa cave.
Un air nauséabond, parfois, ça fait du bien.
Jéré Mignon
http://www.devotionalhymns.com/gnawtheirtongues
https://crucialblast.bandcamp.com/album/abyss-of-longing-throats
Note et intrusion du co-éditeur : cet album me paraît être le compagnon idéal pour écouter le sublime et exagérément sombre Begotten (1991), un film muet expérimental digne des premiers temps de Marilyn Manson (Elias Merhige est d’ailleurs le réalisateur d’un clip de la fameuse star sataniste). L’œuvre visuelle, travaillée par grattage sur la pellicule, crée un malaise dans le même genre. On aime, mais les lumières ouvertes…